De l'animation à la BD et réciproquement

À la C.B.A., ils ont également été amenés à travailler sur des films fixes, qui sont un peu des entre-deux entre la projection de l’animation et la fixité de la BD. Qu'en ont-ils retiré ?

Cela les amène à penser l’image fixe, ou plutôt, la narration en images fixes. Le film fixe est assez équivalent à une projection-dias, avec du texte ajouté. Ce qui est très intéressant à cet égard, c’est qu’ils pensaient assez naïvement qu’il suffirait d’isoler quelques images extraites de la séquence, mais ils doivent bien se rendre compte que ça ne fonctionne pas du tout. L’image isolée a un côté statique, artificiel. Il faut la redessiner. Ils réalisent que l’image en bande dessinée, ce n’est pas un instantané, ce n’est pratiquement jamais un instantané. C’est une contraction de mouvement. C’est ce qui fait son côté particulier, paradoxal, fascinant, déconcertant. Il y a du temps qui s’écoule dans l'image. Cette première expérience les confrontera donc à la problématique de l’image fixe mais pas encore à celle de la mise en page et sa dynamique propre. 

Dans l’immédiat après-guerre, ces passionnés de cinéma migrent vers la bande dessinée et pour la plupart, vers le journal Spirou. Comment vont-ils adapter le dessin animé pour rendre, dans l'image fixe, le son et le mouvement ?

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il n’y a plus d’industrie du dessin animé. Il faut bien gagner sa vie. Morris, qui est plus pragmatique et a une vision claire de sa carrière, propose ses dessins et devient illustrateur dans Moustique. Puis il entraîne Franquin (qui va lui-même aller rechercher Peyo) chez Spirou créé par Dupuis.

Dans la bande dessinée, le son est absent : comment faire pour le restituer ? Les dessins animés américains étaient d’une très grande inventivité du point de vue sonore. Si on voit les Popeye des frères Fleischer, par exemple, c’est assez hallucinant. Je pense que le génie est peut-être là, en adaptant un dessin animé en bande dessinée : d’accentuer l’aspect qui est absent dans les créations d’origine. Ça a marqué Franquin, c’est indéniable. Lui, en BD, essaie de créer des sons. Il y est particulièrement inventif, là où Morris et Peyo utilisent des onomatopées assez conventionnelles, qui ont été forgées aux États-Unis (« WHAM », par exemple, pour une explosion, « snif » quand on a le nez qui coule). Il a une manière personnelle de penser la lettre, sa forme, dans le volume qu’elle occupe. Ce n’est pas seulement l’expression d’un son : on ressent la vibration liée au son.

QRN2Planche de « QRN sur Bretzelburg » (Franquin)

Le mouvement y est lui aussi absent. Ce qui semble aujourd’hui être un cliché existait déjà dans les bandes desssinées américaines : ils vont notamment recourir à l’idée de faire précéder un personnage de lignes qui n’existent pas dans la réalité, qui rendent de manière très crédible le mouvement. Ce sont des procédés qu’on retrouvait chez Segar (Popeye) ou Gottfredson (Mickey) aux États-Unis, mais ils les ont repensés. Ce qui va les différencier de la génération qui va suivre dans le journal Spirou, c’est qu’ils sont vraiment repartis à la base. Ils se sont posé la question de la représentation crédible du son et du mouvement.


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