Jean-Pierre Ransonnet : une biographie

Signature2Une exposition singulière s’est nichée en Neuvice le 25 janvier dernier : sur fond de peintures, de collages, et de photographies se détachait un livre à la couverture cinglée de rouge. Imposante biographie consacrée à Jean-Pierre Ransonnet – et orchestrée par les incontournables éditions Yellow Now –, elle retrace le parcours de l’artiste ardennais, de ses recherches formelles des années 60 au Sapin rouge venu récemment enrichir les collections du Musée en Plein Air du Sart Tilman. Une plongée au coeur d’une carrière d’une surprenante cohérence.

416. Le nombre de pages nécessaires pour croquer la production de Jean-Pierre Ransonnet. Outre la richesse des illustrations (qui présentent de nombreuses œuvres aujourd’hui inaccessibles au public), le plasticien a su s’entourer de plumes averties pour décrire sa démarche : les critiques d’art René Debanterlé – également artiste – et Roger Pierre Turine, le journaliste Alain Delaunois, et bien d’autres encore, suivent la synthèse introductive de Julie Bawin1. Docteur en histoire de l’art contemporain, cette enseignante et chercheuse à l’Université de Liège nous emmène à la découverte de l’homme et de son oeuvre – faisant partager, au fil des mots, son coup de foudre esthétique.

1962. Le sol de Saint-Luc est foulé par un nouvel étudiant, quittant sa campagne natale pour poser ses toiles au coeur de la Cité Ardente. Partagé entre ses premières influences – Cézanne, Matisse, Picasso –, les recherches matiéristes, et surtout la beauté sauvage de l’art brut, le jeune Rensonnet livre une série de portraits au trait spontané et à la texture généreuse. Dans sa quête d’une identité plastique, il se familiarise avec le microcosme artistique liégeois, participant au milieu des années 1960 à sa première collective à l’APIAW. Lizène, Nyst, Charlier, Vandeloise, Boulanger, Blavier, ou encore Jungblut constituent autant de rencontres décisives pour l’artiste. De l'exiguïté de son atelier (alors confiné à sa table de cuisine) à la précarité financière, de la soif d’expérimentations formelles à la découverte du Surréalisme de Breton et Bataille, les facteurs se conjuguent pour marquer un tournant dans la production de Rensonnet. Délaissant momentanément la peinture, il s’essaye à de nouvelles techniques : les collages et les dessins érotico-comiques flirtent avec des photographies décalquées et veinées de gouache. Malgré l’apparente hétérogénéité qui caractérise ses œuvres au tournant des années 1970, une constante se dessine d’ores et déjà dans ses premières séries, comme Chaos : la volonté de « projeter les événements de la vie tels qu’ils viennent à la conscience ».

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1971. Ransonnet succède à Rensonnet. Un subtil changement de lettre qui signe une rupture essentielle : en altérant son nom, l’artiste tourne une page de son histoire – histoire qui peut désormais imprégner son œuvre. Depuis lors, les souvenirs glanés sous le ciel de Lierneux hantent chacune de ses créations, jetant des ponts entre la douceur éthérée du passé et la vivante immédiateté du présent. De cet intérêt pour la mémoire et la démarche autobiographique – qui n’est pas sans rappeler celle d’un Boltanski – naît le projet Lierneux, les lieux, les liens, jalon incontournable dans la carrière de Ransonnet. Au fil des séries, dessins et photographies se partagent les réminiscences de sa jeunesse, de la maison familiale à l’asile du village, des sourires d’anciennes connaissances aux étangs et aux bois ardennais, du terrain de foot et des parties de billes à la pierre de la Falhotte toute proche. Ces figures, incarnations de la sacralité de l’ordinaire, sont bardées d’annotations fébriles : Ransonnet y aligne des noms, des idées, des dates, des indications météorologiques. De la banalité parfois potache des mots et de la charge affective des images surgit la griffe poétique qui ne quittera plus l’œuvre du plasticien.

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1979. Le retour au pictural. Alors que son art narratif semblait avoir trouvé sa place au sein de la modernité liégeoise, Ransonnet brise son image avant-gardiste en se plongeant dans la peinture de paysages ardennais. L’installation récente à la campagne, l’espace et la lumière que fournissent désormais son atelier, la matité des nouvelles peintures vinyliques le poussent à reprendre ses pinceaux et ses toiles. Mais loin de n’avoir constitué qu’un détour distrait, les années 1970 ont vu se construire le pivot central de son travail : l’omniprésence de la mémoire et des liens. Au delà du basculement technique, cette nouvelle étape de son parcours s’inscrit dans la continuité de la précédente : de tableau en tableau, il convoque le même imaginaire ardennais, celui de l’étang, du ciel, de la forêt. Avec la série Ça peint, l’artiste revient à ce qu’il sait faire et surtout, à ce qu’il a envie de faire : des premiers essais abstraits émerge rapidement la sombre verticalité du sapin, motif qui traverse toute son oeuvre.

20131008sapinrouge0941979 marque aussi l’ouverture de la galerie L’A, espace d’expression engagé qu’il fonde avec Guy Vandeloise, Marie-Henriette Nassogne et Juliette Roussef. Réponse à la méfiance ambiante vis-à-vis de la création contemporaine, cette galerie se positionne comme un acteur important de la scène culturelle liégeoise jusqu’à sa fermeture en 1986. Cette date, qui coïncide avec l’engagement de Ransonnet comme professeur de dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, augure également un retour à la solitude de l’atelier. Une solitude féconde, qui donnera naissance aux Outils, aux Figures-paysages, ou encore, dans le courant des années 2000, aux Sapins rouges et aux Jardins. S’il ne s’enlise jamais dans une formule plastique figée, l’artiste manipule une série de signes récurrents, garants de la cohérence de son vocabulaire formel : au cours des dernières décennies, son travail entretient un équilibre subtil entre constance et renouvellement. En témoigne en 2013 le Sapin rouge, sa première sculpture monumentale : à l’incursion dans une autre discipline artistique se conjugue la permanence familière du conifère cher au plasticien.

Jean-Paul Ransonnet auprès de son Sapin rouge
photo © Jean Housen - Musée en plein air

Ces quelques dates – avant-goût succinct du texte de Julie Bawin – ne font qu’effleurer la riche carrière de l’artiste lierneusien, qui se cristallise autour du signe "l’". Ornement vermillon de la couverture de sa biographie, le  "l" apparaît avec sa série L’Étang, et s’impose progressivement comme signature esthétique. Référence subliminale à Lierneux. Aux lieux. Aux liens. À elles, les filles qui ont laissé une empreinte dans sa vie. À ses parents, Lucien et Lucienne. Plus encore, l’élision incarnée par l’apostrophe évoque le manque, l’absence, la disparition, mais aussi la promesse de l’oeuvre à venir. Une oeuvre intime et touchante, qui distille une délicate poétique de la mémoire.

 

 

Julie Delbouille
Février 2014

crayongris2Julie Delbouille est journaliste indépendante, diplômée en histoire de l'art et en médiation culturelle.



1 Les informations et citations de cet article proviennent de Bawin, Julie, Introduction, dans Jean-Pierre Ransonnet : une biographie, éditions Yellow Now, Liège, 2013, pp. 5-18.