Portrait d’Antoine Compagnon en essayiste et professeur

Six ans avec Barthes

Dès son arrivée à Paris, à l’aube des années 1970, il se fond dans une vie intellectuelle passionnante, « une vraie fête de l’esprit pour les garçons qui arrivaient de province ». Parallèlement à ses études d’ingénieur, il s’en va écouter Michel Foucault au Collège de France, Louis Althusser à Normale Sup, Jacques Lacan à la faculté de droit, et aussi Bettelheim, Deleuze et d’autres « maîtres à penser » de ce temps. Tout en passant de longues heures à discuter dans la libraire de François Maspero, la bien-nommée Joie de lire. Le déclic sera finalement son compagnonnage avec Roland Barthes dont il suit en 1974 le séminaire à l’École pratique des hautes études et qu’il verra ensuite régulièrement. « Je pense que notre dialogue a été franc, jusqu’au bout, explique-t-il à Jean-Baptiste Amadieu. Notre amitié a duré six ans, jusqu’à sa mort en 1980. Ce furent des années capitales dans ma vie. Ce sont aussi celles de mon basculement professionnel. Je l’ai connu alors que j’étais étudiant et ingénieur. Juste après sa mort, je suis parti comme professeur à l’Institut français de Londres. »

Entretemps, il a commencé à enseigner (à Paris VII) et a bénéficié de trois années à la Fondation Thiers, de 1975 à 1978, pour se consacrer à une thèse de lettres qu’il publiera en 1979, La Seconde main ou le travail de la citation. Dès lors, il va centrer ses activités sur deux domaines, l’essai critique et l’enseignement. Même si, en ce qui concerne celui-ci, il avoue devoir se « pincer » pour croire à ses « vertus ». Non qu’il le dénigre, il est au contraire, selon lui, « une source de rajeunissement » et il lui a notamment permis de « renouveler [ses] intérêts ». Mais il le met à égalité avec « tout ce qui nous entoure ». Il prend pour exemple la vie en commun durant ses années d’internat, racontées dans la Classe de rétho4, qui ont en effet été pour lui « l’occasion d’une authentique éducation sociale, politique, civique, sentimentale, psychologique ».

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En plus de trente ans, Antoine Compagnon a signé de nombreux essais littéraires qui font autorité : Nous, Michel de Montaigne, La Troisième République des Lettres, Proust entre deux siècles, Chat en poche. Montaigne et l’allégorie, Le Démon de la théorie, Charles Baudelaire devant l’innombrable, Les Antimodernes… Il est également devenu un spécialiste de Proust dont il a notamment assuré l’édition dans la Pléiade de Sodome et Gomorrhe et à qui il a consacré plusieurs cycles de cours au Collège de France5. Et, récemment, il a touché un nouveau lectorat avec les publications de l’autobiographique La Classe de rhéto (Gallimard, 2012) et d’Un été avec Montaigne (Édition des Équateurs/France Inter, 2013). Dans le premier, il revient sur son passage comme interne dans un établissement militaire de retour des États-Unis après la mort de sa mère. Le second est une invitation à redécouvrir l’auteur des Essais à partir de quarante courts textes thématiques – la conversation, tout bouge, l’ami, la tête bien faite, le livre, la désinvolture, contre la torture, le temps perdu … – qui sont la transcription des chroniques quotidiennes qu’il a assurées sur France Inter l’été 2012.

Michel Paquot
Mars 2014

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Michel Paquot est journaliste indépendant.


 

4 Antoine Compagnon, La classe de rétho, Gallimard, 2012.
5 Sa leçon inaugurale, donnée le 30 novembre 2006, intitulée La littérature pour quoi faire ? a été coéditée par Fayard et Le Collège de France en 2007 ; rééd. 2013.

Site d’Antoine Compagnon

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