La voix féministe laïque de Wassyla Tamzali

Wassyla-TamazaliÀ l’heure de l’essor du « féminisme islamique » en Occident, Wassyla Tamzali, avocate à Alger et ex-directrice du droit des femmes à l’Unesco, décortique ce mouvement, inexistant et dangereux selon elle. Inexistant parce qu’« il n’existe pas vraiment dans les pays dits arabes », dangereux parce qu’« il favorise l’islamisation de la société et deviens un instrument de la propagande wahabiste ». En revanche, l’ancienne féministe algérienne défend le féminisme laïc qui permet la déconstruction du schéma patriarcal imprimé dans la religion, la famille, la nation, etc. pour arriver à la totale égalité homme-femme.

Photo © Hejer Charf (tous droits réservés)


De la morale sexuelle à la virginité en passant par la polygamie ou le voile, le travail féministe de Wassyla Tamzali a questionné les effets de l’inégalité entre hommes et femmes dans les pays musulmans depuis sa jeunesse avec une vision laïque du féminisme. Dans ses textes, la militante rappelle l’universalité des droits des femmes et l’impossibilité de réduire ou accommoder ces droits selon l’origine ou l’appartenance religieuse des femmes. Dans ce sens, la laïcité doit être l’outil maître pour déconstruire les schémas patriarcaux présents dans la religion et les traditions des pays dits musulmans. Son travail remet, d’abord, en question le relativisme culturel auquel les occidentaux s’attachent pour éviter de critiquer un système de valeurs qui ne respecte pas les droits des femmes, comme c’est le cas de l’Islam, par crainte d’être accusés d’islamophobie, pour ensuite attaquer la mouvance « féministe islamique » née au cœur de ce relativisme culturel dans les pays occidentaux et qui est largement soutenue dans les médias et les recherches sur la question féministe en Islam.

femmeencolereDans son ouvrage Une femme en colère. Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Wassyla Tamzali adresse une critique féroce à la société européenne et à ses intellectuels qui ont renoncé au principe d’universalité des droits des femmes au-delà des frontières européennes, au profit d’un relativisme culturel qui accorderait des droits différents aux femmes, quand elles sont issues des pays musulmans. L’affaire du voile, qui a marqué l’esprit des occidentaux, est analysée dans son texte. Wassyla Tamzali se montre très critique face aux intellectuelles qui prennent la défense du voile, alors même qu’elles se sont battues pour les droits des femmes en France. « Elles n’ont pas renoncé à réaffirmer, chaque fois que c’était nécessaire, que le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas négociable parce qu’il était le pivot de la pensée féministe. Et pourtant, devant les hadiths, versets et autres éléments de la culture charaïque brandis dans les meetings, les défilés, les débats, devant le consentement de certaines femmes à dissimuler leur corps, à le «marquer» des signes de la domination patriarcale par le voile, s’agissant des femmes musulmanes, elles relativisent ce principe pour lequel elles se sont battues, un principe qui perdrait son sens pour des femmes de cultures différentes1 » s’indigne-t-elle dans un passage de son essai. La militante ne prétend pas dans son discours interdire le port du voile, mais, d’un point de vue féministe, elle critique l’usage de ce voile comme instrument d'identification des femmes en quête de la récupération d’une forme de dignité : « Je peux décider librement de porter mon voile, mais le voile ne va pas produire la liberté. On peut s'aliéner librement. Les formes d'aliénation volontaires sont multiples2 » affirmait-elle lors d’une de ses dernières conférences au Québec. 

D’un autre côté, Wassyla Tamzali s’est positionnée clairement contre le « féminisme islamique » parce que ces femmes se sont mis une limite, celle du respect de la religion.  En partant de cette base, le travail de déconstruction n’aboutit pas à l’émancipation totale de la tradition patriarcale implicite dans les textes religieux. «On pourrait croire que les « féministes islamiques » mènent ce travail de déconstruction puisqu’elles basent leur réflexion sur une relecture des textes et traditions islamiques. Mais elles ne peuvent aller bien loin dans la mesure où dès le départ elles annoncent qu’elles restent dans les limites de leur religion. Veulent-elles réellement aider à la libération des femmes ou apporter la preuve que l’islam a libéré les femmes3 ? » écrivait la juriste dans un de ses articles. En tant que féministe, Wassyla Tamzali et ses compatriotes des pays musulmans avaient déjà fait à l'époque ce travail de déconstruction des textes sacrés, dans un premier temps mais dans le but, disait-elle, « d’aller vers le peuple pour rendre visible l'inégalité et lutter contre celle-ci, pour agir sur le terrain et aller vers plus de liberté ». Leur travail, celui des féministes laïques, a continué dans le sens de la mise au jour de la morale religieuse et la mise en contexte historique de certains commandements religieux, pour démontrer qu’ils étaient caduques dans le contexte actuel. Elle prend comme exemple la question de l’héritage : les textes sacrés disent qu’une sœur ne peut hériter que de la moitié de ce dont hérite son frère, ce qui dans le temps avait du sens parce que les hommes étaient responsables de leurs sœurs, mais de nos jours ce n’est plus le cas. Dès lors, la critique que fait Wassyla Tamzali aux féministes islamiques est la même que celle qu’Arkhoum ou Rhouni leur faisaient déjà en 2005 : « ils reprochent leur «fondamentalisme», c’est-à-dire le fait de n’avoir pas su s'émanciper pleinement de la tradition intellectuelle patriarcale qu’elles entendaient détruire4 »

La critique de Wassyla Tamzali porte aussi sur la place que ces féministes ont en Occident, tant dans les rencontres sur le féminisme, où elles sont présentes en masse, que dans les institutions publiques qui financent leurs recherches : « En favorisant dans ses universités les recherches sur ledit « féminisme islamique » au détriment d’autres recherches, en usant, dans ces politiques sociales et culturelles, les thèses de ce courant, l’Europe trouve là une voie bien hasardeuse pour atteindre ce fameux islam européen que nous espérions paré de toutes les vertus de la modernité, laïcité, féminisme, démocratie » dénonce-elle. La juriste accuse aussi le mouvement féministe islamique dans son aspect politique d’essayer de délégitimer le féminisme qui déconstruit vraiment l’Islam et de favoriser l’islamisation des esprits.  « Le féminisme islamique n’existe pas. Ces personnes participent à une propagande visant l’islamisation de la société» répète Wassyla Tamzali dans chacune de ses interventions. Surtout en faisant bien attention à expliquer que dans les pays musulmans ce mouvement n’est pas présent, même si beaucoup des femmes sont amenées à participer à leurs événements. Dans ce sens elle montre en exemple les femmes tunisiennes qui, après la révolution,  « n’ont pas voulu militer sur base des textes religieux, elles ont toujours refusé l'interprétation féminine du Coran5.» C’est devenu plus évident encore lorsqu’Ennahda a voulu inscrire dans la constitution le principe de « complémentarité » des femmes par rapport aux hommes, plutôt que celui d’égalité. Les femmes se sont mobilisées en masse pour refuser cette conception islamique de l' « équité », conception qui est d’ailleurs prônée par les féministes islamiques. En définitive, le féminisme est intimement lié à la laïcité pour Wassyla Tamzali, car « on ne peut pas gérer la société avec les textes religieux, la laïcité est très important pour les droits de la femme parce qu’elle nous amène à la déconstruction du système, pour libérer la femme ».

Marta Luco Moreno
Janvier 2014

 

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Marta Luceño Moreno est chercheuse au Département d'Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales portent sur la mise en scène et la médiatisation de la révolution arabe.

 

La Maison des Sciences de l'Homme de l'ULg
vous invite à la conférence

La question des femmes est au cœur des révolutions arabes
par Wassyla Tamzali
(avocate, ex-directrice UNESCO pour la Promotion sur les femmes et la méditerranée)
Le 13 février 2014 à 19h30

 

 




Photo © Hejer Charf (tous droits réservés)

1 Wassyla Tamzali, Une femme en colère. Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Gallimard, 2009, p. 50.
« Le féminisme islamique à l'épreuve des révolutions arabes » Conférence de Wassyla Tamzali à la Maison de la culture Frontenac, 1er novembre 2013, dans le cadre du Festival du monde arabe de Montréal.
http://www.chouf-chouf.com/chroniques/le-feminisme-islamique-a-lepreuve-des-revolutions-et-contre-revolutions-arabes/
4 Margot Badran, Où en est le feminisme islamique ?, Presses de Sciences Po, CRitique Internationale, 2010/1 - n 46, p. 36.