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Du Pep’s à l’ULg : 49 manuscrits médiévaux et renaissants reprennent vie à l’écran

13 janvier 2014
Du Pep’s à l’ULg : 49 manuscrits médiévaux et renaissants reprennent vie à l’écran

numérisation - photo Atelier de l'Imagier Au cours de l’année 2013, 49 manuscrits, parmi les plus précieux des collections du Réseau des Bibliothèques de l’ULg, ont été numérisés. Ces manuscrits médiévaux et renaissants, souvent richement enluminés et décorés, seront rendus accessibles à tous, en ligne, au début du mois de février. Avant de découvrir les résultats en images de cette vaste campagne, lors d’une soirée-conférence qui se déroulera le 4 février prochain, nous vous proposons de plonger dans l’histoire de ces collections et d’en découvrir quelques pièces exceptionnelles.

Photo Atelier de l'Imagier


Aux origines du fonds de manuscrits de l’Université de Liège

Ms0137-038Parmi les quelques 6000 manuscrits conservés à l’Université de Liège, figure un fonds de manuscrits médiévaux et modernes exceptionnel.

L’origine de ce fonds remonte à la création de l’Université, en 1817. À cette époque, la bibliothèque de l’Université est dotée d’un fonds important d’ouvrages anciens. Ce fonds provient alors de congrégations religieuses de l’ancienne Principauté épiscopale, supprimées lors de la Révolution française. En 1796, les ouvrages avaient d’abord été rassemblés au Palais des princes-évêques, en vue de constituer une bibliothèque nationale (qui ne verra finalement jamais le jour). Les fonds contribuent alors en partie à la constitution de la bibliothèque publique de la ville, créée en 1804. C’est à cette époque que les manuscrits des couvents des Croisiers de Liège et de Huy sont partagés entre la bibliothèque de la ville et le séminaire1. Lors de la création de l’Université en 1817, les collections de la ville de Liège sont déposées à la bibliothèque de l’Université. C’est ainsi que cette dernière est enrichie notamment des manuscrits provenant des couvents des Croisiers de Liège et de Huy, ainsi que des collèges des Jésuites anglais et wallon.



Summa de casibus poenitentialibus cum glossis
Joannis de Friburgo, lib. IV
Université de Liège, ms. 137, fol. 17r°

 

Par un décret royal du 23 octobre 18212, Guillaume d’Orange cède à  l’Université la bibliothèque issue de l’ancienne abbaye d’Averbode3. En 1824, c’est au tour des manuscrits de l’abbaye de Saint-Trond d’être également cédés par les autorités hollandaises à la bibliothèque de l’Université4.

Durant le 19e siècle, les collections n’ont cessé de s’enrichir grâce à des achats (comme les deux volumes d’une Bible du début du 15e siècle provenant du couvent de Sint Hyeronismusberg à Hattem au Pays-Bas), mais aussi des legs et des dons de particuliers.

En 1894, Adrien Wittert (1823-1903), soucieux de ne pas voir se disperser sa collection de livres et d’objets d’art après sa mort, lègue par testament à l’État Belge, pour la Bibliothèque de l’Université de Liège, l’ensemble des œuvres et ouvrages qu’il avait réunis. Ce legs impressionnant par son ampleur (plus de 15 000 estampes et dessins, environ 20 000 volumes imprimés, une trentaine d’incunables et 117 manuscrits) se révèle tout aussi important pour la qualité et la rareté des ouvrages. Parmi les 117 manuscrits rassemblés par Adrien Wittert, on compte une vingtaine de livres d’heures. Plusieurs de ces manuscrits sont des témoins majeurs de l’art de l’enluminure des 14e, 15e et 16e dans le nord de l’Europe.

 

Ms0189-005   MsW014-032

À gauche : Bible. Université de Liège, ms. 189, fol. 2v°
À droite : Livre d'heures de Jean de Lannoy. Université de Liège, ms.W. 14, fol. 14r°


 


 

 


1 Pour l’historique des bibliothèques des couvents des croisiers de Liège et de Huy voir Depaire J.P., La bibliothèque des Croisiers de Huy, de Liège et de Namur, Université de Liège, mémoire de licence, 1969-1970.
2
Dans les faits, les ouvrages seront mis en caisses et transportés à Liège en 1822.
3
Contrairement à ce qu’écrit Grandjean dans le catalogue qu’il publie en 1875, la bibliothèque d’Averbode ne fut donnée en 1824.
4
Haverals M., « Geschidenies van de Bibliotheek » dans Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden, Louvain, 1986, p. 47.
5
Oliver J., « Évangéliaire d’Averbode » dans Bruyère P., Marchandisse A. (dir.), Florilège de livre en Principauté de Liège du IXe au XVIIIe siècle, Liège, 2009, p. 42.

De véritables « trésors » patrimoniaux

Parmi les 49 manuscrits exceptionnels numérisés dans le cadre du projet « Pep’s » et bientôt rendus accessibles librement en ligne, se cachent de véritables « trésors ». Au propre comme au figuré.

À l’heure actuelle, deux manuscrits du fonds ont été classés en 2011 comme Trésors de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces deux manuscrits ont été réalisés dans nos régions aux 12e et 13e siècles.

 

Évangéliaire d’Averbode (ms 363)5 

Ms363-016
Évangéliaire d'Averbode. Université de Liège, ms. 363, fol. 16v°-17r°

 

Cet évangéliaire du 12e siècle doit son nom à l’abbaye des Prémontrés d’Averbode (actuel Brabant wallon). Exécuté en région mosane aux alentours de 1165-1180, cet évangéliaire fait partie d’un groupe de manuscrits prestigieux réalisés pour l’ordre des Prémontrés. Parmi ceux-ci, on compte la Bible de Floreffe (Londres, British Library) et l’Évangéliaire de Floreffe (Bruxelles, Bibliothèque Royale). Les huit enluminures qui ornent l’ouvrage conservé à l’Université sont d’une qualité remarquable.

L’une des enluminures représente l’évangéliste Jean. Les autres montrent une scène du Nouveau Testament associée à sa préfigure tirée de l’ancien testament ou du bestiaire médiéval. Le jeu de préfigures est expliqué par un texte qui court le long des encadrements.

Ainsi, le buisson ardent qui ne se consume pas, tout comme l’épisode de Gédeon et la toison évoquant la virginité mariale (f°16v) font face à la Nativité (f°17r). Le serpent qui s’enroule autour du bâton de Moïse indique que ce dernier parle sous les ordres de Dieu. Moïse, Gédéon et Marie sont montrés ici comme choisis par Dieu pour racheter Israël. La présence des prophètes Habaquq et Isaïe autour de l’enfant Jésus fait référence à un passage du Livre d’Isaïe (Is. 1.3) : « Le boeuf connaît son propriétaire, et l'âne, la crèche de son maître. » et au Livre d’Habaquq (Hab. 3.2) : « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux. »

 

 

Le Psautier dit de Lambert le Bègue (ms 431)

Ce psautier en latin et français témoigne de la qualité de l’enluminure mosane au 13e siècle. Il fait partie d’un groupe d’une quarantaine de psautiers liés à l’implantation, vers 1240-1260, des Ordres mendiants et des béguinages dans le diocèse de Liège6. Une des particularités de ce psautier est de contenir des poèmes religieux et des Aves en ancien français. Plusieurs éléments, dont l’Office des morts à l’usage de Liège et la présence de saints vénérés par les béguinages de Liège, laissent penser que ce manuscrit était probablement destiné à une riche béguine de Liège.

Ms0431-031
Psautier dit de Lambert le Bègue. Université de Liège, ms. 431, fol. 11v°-12r°

La magnifique page enluminée (folio 11v°) qui inaugure les psaumes et les cantiques dans ce psautier est une initiale historiée en pleine page. Le B de Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum (Béni soit l’homme qui ne va pas au conseil des impies) qui débute le premier psaume, est peint ici sur un fond d’or à la feuille et est bordé de lierre. Le roi David, traditionnellement considéré comme l’auteur de ce psaume, est représenté tenant sa harpe dans un médaillon sur le folio qui fait face à la lettrine. L’exégèse catholique associe ce psaume au Christ triomphant de la mort7. Le lierre qui forme l’initiale est probablement une allusion à l’évangile de saint Jean (Jn 15,1) où le Christ est présenté comme la vraie vigne. Les feuilles vertes soulignent les épisodes du triomphe du Christ : l’Ascension, la Pentecôte, l’Endormissement de la Vierge et le Couronnement de la Vierge. Le sacrifice du Christ est évoqué dans le médaillon inférieur gauche par les anges présentant les instruments de la Passion. La Résurrection est quant à elle évoquée par le médaillon inférieur droit montrant l’apparition du Christ à Marie-Madeleine et dans le médaillon supérieur gauche avec l’épisode des disciples d’Emmaüs.

L’ancrage liégeois de ce manuscrit se traduit également dans l’iconographie. La présence du martyr de saint Lambert qui décore la lettre Q qui indique le début du psaume 2 au folio 12r°, mais aussi la présence de la Vierge dans les scènes de la lettrine B renvoie au double patronage de la cathédrale de Liège Notre-Dame et Saint-Lambert.

La présence de saint Christophe portant le Christ en haut à droite du folio 12r°, ainsi que la mention de sa fête dans le calendrier et sa présence dans la litanie des saints sont autant d’éléments qui permettent sans doute de rattacher l’ouvrage au béguinage de Saint-Christophe.

La double présence des saintes martyres Julienne et Agnès n’est pas non plus sans signification. Sainte Julienne, représentée tenant le diable prisonnier sur le folio 12r°, répond à la représentation de son martyr dans le médaillon en haut à droite du folio 11v°. De même, sainte Agnès représentée avec un mouton au folio 12r°, est montrée dépouillée de ses vêtements et conduite, nue, à travers les rue de Rome, protégée de l’infamie par ses cheveux qui poussèrent miraculeusement jusqu’à ce qu’un ange apparaisse et la vête.

La présence de sainte Agnès reflète la spiritualité des ordres mendiants, ce qui ne doit pas nous surprendre puisque les béguinages sont sous la tutelle administrative et spirituelle des dominicains8. La présence de sainte Julienne renvoie à l’établissement de la Fête Dieu en 1264 par Julienne de Cornillon9.

 

 


 


6
Opsomer C., « Psautier-Heures mosan » dans Toussaint J. (dir), Dialogue avec l’invisible. L’art aux sources de l’Europe. Œuvres d’exception issues de la communauté française de Belgique (VIIIe-XVIIe siècle), Namur, 2010, p. 260.
7
Oliver J., “Psautier” dans Bruyère P., Marchandisse A. (dir.), Florilège de livre en Principauté de Liège du IXe au XVIIIe siècle, Liège, 2009, p. 45. ; Oliver J., “Psalter” dans Medieval Mastery. Book illumination from Charlemagne to Charles the Bold (800-1475), Louvain, p. 211.
8
Opsomer C., « Psautier-Heures mosan » dans Toussaint J. (dir), Dialogue avec l’invisible. L’art aux sources de l’Europe. Œuvres d’exception issues de la communauté française de Belgique (VIIIe-XVIIe siècle), Namur, 2010, p. 260.
9
Oliver J., Gothic Manuscript Illumination in the Diocese of Liège (c. 1250-c. 1330), Louvain, 1988, vol. 2, p. 261.

Pas uniquement des manuscrits religieux

Ms1041

Si le fonds numérisé est, très logiquement, composé de manuscrits à caractère essentiellement religieux, cela n’est pas une généralité. L’un des manuscrits est même d’un  tout autre registre :

 

Tacuinum Sanitatis (ms 1041)10 

Ce manuscrit réalisé en Italie du nord à la fin du 14e siècle, est une version illustrée et simplifiée d’un traité d’Ibn Butlan, médecin actif à Bagdad au 11e siècle. Le manuscrit conservé en nos murs est attribué à l’entourage de Giovanni de’Grassi, enlumineur actif à Milan. L’ouvrage a probablement été réalisé pour le duc de Milan Jean Galeas Visconti (1351-1402). Par succession, le manuscrit serait entré en possession des Habsbourg et on peut probablement l’identifier à un livre figurant dans la collection de Marie de Hongrie, puis de Marguerite d’Autriche et enfin celle de Philippe II. Ce livre renferme des conseils relevant de la médecine, de l’hygiène, de la diététique. Ils sont présentés par des dessins parfois rehaussés de couleurs en-dessous desquels figure un court texte expliquant la nature, les vertus et les désagréments du produit ou de l’action présenté(e). Outre leur enseignement sur les pratiques de santé, les illustrations de ce manuscrit décrivent des scènes de la vie quotidienne, montrant par exemple la fabrication du pain et du fromage ou des scènes de chasse ou de tenderie.

 

Tacuinum sanitatis
Université de Liège, ms. 1041, fol. 5r°


Un fonds à découvrir en images en ligne

Ms0035-030Les quelques manuscrits décrits ici ne sont que des exemples du fonds numérisé avec le soutien de la délégation Pep’s de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il est malheureusement impossible de les évoquer tous en si peu de lignes,  bien qu’ils le mériteraient. Dès le mois de février 2014, vous retrouverez en ligne ces pièces exceptionnelles de nos collections, parmi lesquelles : les plus beaux livres d’heures de nos collections, plusieurs manuscrits de l’abbaye de Saint-Trond (dont les volumes du Passionnaire), le Lectionnaire et les Commentaires des psaumes du couvent des Croisiers de Liège.

Leur mise en ligne est l’occasion pour tous de découvrir ces fonds, souvent méconnus. Mais la démarche se veut plus ambitieuse : rendre ces manuscrits accessibles en ligne, sous une forme adaptée, a aussi pour objectif  d’assurer la conservation à plus long terme des originaux et de fournir aux chercheurs et étudiants intéressés par le sujet un réel outil de travail accessible à tout moment et en tout lieu. Qui sait si ces fonds ne connaîtront pas alors une troisième vie à travers les découvertes et les recherches réalisées autour d’eux ?

Lettine extraite du Lectionnaire à l'usage des Croisiers de Liège
Université de Liège, ms. 35, fol. 13r°

 

 

Cécile Oger et Stéphanie Simon
Janvier 2014

 

crayongris2Cécile Oger est  conservatrice des fonds anciens du Réseau des Bibliothèques de l'ULg. Ses principales recherches portent sur l'analyse technologique des peintures anciennes.

crayongris2Stéphanie Simon est responsable des projets de numérisation au sein du Réseau des Bibliothèques de l'ULg. Ces projets concernent essentiellement les collections anciennes conservées dans les différentes bibliothèques de l'ULg.


 

 

Pour feuilleter les manuscrits

Site des Bibliothèques de l'ULg

Numeriques.be : le projet belge de numérisation du patrimoine

Europeana.eu : le projet européen de numérisation du patrimoine


10 Opsomer C., L’art de vivre en santé : images et recettes du moyen âge : le "Tacuinum Sanitatis" (manuscrit 1041) de la Bibliothèque de l'Université de Liège, Liège, 1991.


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