Du Pep’s à l’ULg : 49 manuscrits médiévaux et renaissants reprennent vie à l’écran

De véritables « trésors » patrimoniaux

Parmi les 49 manuscrits exceptionnels numérisés dans le cadre du projet « Pep’s » et bientôt rendus accessibles librement en ligne, se cachent de véritables « trésors ». Au propre comme au figuré.

À l’heure actuelle, deux manuscrits du fonds ont été classés en 2011 comme Trésors de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces deux manuscrits ont été réalisés dans nos régions aux 12e et 13e siècles.

 

Évangéliaire d’Averbode (ms 363)5 

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Évangéliaire d'Averbode. Université de Liège, ms. 363, fol. 16v°-17r°

 

Cet évangéliaire du 12e siècle doit son nom à l’abbaye des Prémontrés d’Averbode (actuel Brabant wallon). Exécuté en région mosane aux alentours de 1165-1180, cet évangéliaire fait partie d’un groupe de manuscrits prestigieux réalisés pour l’ordre des Prémontrés. Parmi ceux-ci, on compte la Bible de Floreffe (Londres, British Library) et l’Évangéliaire de Floreffe (Bruxelles, Bibliothèque Royale). Les huit enluminures qui ornent l’ouvrage conservé à l’Université sont d’une qualité remarquable.

L’une des enluminures représente l’évangéliste Jean. Les autres montrent une scène du Nouveau Testament associée à sa préfigure tirée de l’ancien testament ou du bestiaire médiéval. Le jeu de préfigures est expliqué par un texte qui court le long des encadrements.

Ainsi, le buisson ardent qui ne se consume pas, tout comme l’épisode de Gédeon et la toison évoquant la virginité mariale (f°16v) font face à la Nativité (f°17r). Le serpent qui s’enroule autour du bâton de Moïse indique que ce dernier parle sous les ordres de Dieu. Moïse, Gédéon et Marie sont montrés ici comme choisis par Dieu pour racheter Israël. La présence des prophètes Habaquq et Isaïe autour de l’enfant Jésus fait référence à un passage du Livre d’Isaïe (Is. 1.3) : « Le boeuf connaît son propriétaire, et l'âne, la crèche de son maître. » et au Livre d’Habaquq (Hab. 3.2) : « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux. »

 

 

Le Psautier dit de Lambert le Bègue (ms 431)

Ce psautier en latin et français témoigne de la qualité de l’enluminure mosane au 13e siècle. Il fait partie d’un groupe d’une quarantaine de psautiers liés à l’implantation, vers 1240-1260, des Ordres mendiants et des béguinages dans le diocèse de Liège6. Une des particularités de ce psautier est de contenir des poèmes religieux et des Aves en ancien français. Plusieurs éléments, dont l’Office des morts à l’usage de Liège et la présence de saints vénérés par les béguinages de Liège, laissent penser que ce manuscrit était probablement destiné à une riche béguine de Liège.

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Psautier dit de Lambert le Bègue. Université de Liège, ms. 431, fol. 11v°-12r°

La magnifique page enluminée (folio 11v°) qui inaugure les psaumes et les cantiques dans ce psautier est une initiale historiée en pleine page. Le B de Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum (Béni soit l’homme qui ne va pas au conseil des impies) qui débute le premier psaume, est peint ici sur un fond d’or à la feuille et est bordé de lierre. Le roi David, traditionnellement considéré comme l’auteur de ce psaume, est représenté tenant sa harpe dans un médaillon sur le folio qui fait face à la lettrine. L’exégèse catholique associe ce psaume au Christ triomphant de la mort7. Le lierre qui forme l’initiale est probablement une allusion à l’évangile de saint Jean (Jn 15,1) où le Christ est présenté comme la vraie vigne. Les feuilles vertes soulignent les épisodes du triomphe du Christ : l’Ascension, la Pentecôte, l’Endormissement de la Vierge et le Couronnement de la Vierge. Le sacrifice du Christ est évoqué dans le médaillon inférieur gauche par les anges présentant les instruments de la Passion. La Résurrection est quant à elle évoquée par le médaillon inférieur droit montrant l’apparition du Christ à Marie-Madeleine et dans le médaillon supérieur gauche avec l’épisode des disciples d’Emmaüs.

L’ancrage liégeois de ce manuscrit se traduit également dans l’iconographie. La présence du martyr de saint Lambert qui décore la lettre Q qui indique le début du psaume 2 au folio 12r°, mais aussi la présence de la Vierge dans les scènes de la lettrine B renvoie au double patronage de la cathédrale de Liège Notre-Dame et Saint-Lambert.

La présence de saint Christophe portant le Christ en haut à droite du folio 12r°, ainsi que la mention de sa fête dans le calendrier et sa présence dans la litanie des saints sont autant d’éléments qui permettent sans doute de rattacher l’ouvrage au béguinage de Saint-Christophe.

La double présence des saintes martyres Julienne et Agnès n’est pas non plus sans signification. Sainte Julienne, représentée tenant le diable prisonnier sur le folio 12r°, répond à la représentation de son martyr dans le médaillon en haut à droite du folio 11v°. De même, sainte Agnès représentée avec un mouton au folio 12r°, est montrée dépouillée de ses vêtements et conduite, nue, à travers les rue de Rome, protégée de l’infamie par ses cheveux qui poussèrent miraculeusement jusqu’à ce qu’un ange apparaisse et la vête.

La présence de sainte Agnès reflète la spiritualité des ordres mendiants, ce qui ne doit pas nous surprendre puisque les béguinages sont sous la tutelle administrative et spirituelle des dominicains8. La présence de sainte Julienne renvoie à l’établissement de la Fête Dieu en 1264 par Julienne de Cornillon9.

 

 


 


6
Opsomer C., « Psautier-Heures mosan » dans Toussaint J. (dir), Dialogue avec l’invisible. L’art aux sources de l’Europe. Œuvres d’exception issues de la communauté française de Belgique (VIIIe-XVIIe siècle), Namur, 2010, p. 260.
7
Oliver J., “Psautier” dans Bruyère P., Marchandisse A. (dir.), Florilège de livre en Principauté de Liège du IXe au XVIIIe siècle, Liège, 2009, p. 45. ; Oliver J., “Psalter” dans Medieval Mastery. Book illumination from Charlemagne to Charles the Bold (800-1475), Louvain, p. 211.
8
Opsomer C., « Psautier-Heures mosan » dans Toussaint J. (dir), Dialogue avec l’invisible. L’art aux sources de l’Europe. Œuvres d’exception issues de la communauté française de Belgique (VIIIe-XVIIe siècle), Namur, 2010, p. 260.
9
Oliver J., Gothic Manuscript Illumination in the Diocese of Liège (c. 1250-c. 1330), Louvain, 1988, vol. 2, p. 261.

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