Bernard van Orley et la Renaissance à Bruxelles

À ces caractéristiques traditionnelles s’ajoutent divers aspects très novateurs, issus de l’art italien. Le Triptyque Haneton démontre particulièrement bien l’adoption de ces nouveaux procédés. Ici, l’artiste renouvelle le langage des anciens maîtres par la dimension athlétique du torse du Christ. Pour l’inclinaison de la tête, le torse ainsi que le fléchissement du bras et des jambes de ce dernier, Van Orley s’inspire par ailleurs de la Pietà du Pérugin (Florence, Galleria degli Uffizi, Inv. 8365), peinte entre 1493 et 1497 et connue à Bruxelles par une tapisserie tissée dans cette ville vers 1510 (Bruxelles, MRAHB/KMKGB, Inv. 858). Enfin, pour les positions et les faciès de Jean, Joseph d’Arimathie et Nicodème, il est influencé par la Cène de Léonard de Vinci. La connaissance de cette célèbre composition à Bruxelles est assurée par diverses copies, dont une tapisserie commandée entre 1505 et 1514-1515 par le futur roi de France, François d’Angoulême, et sa mère Louise de Savoie (Vatican, Musei Vaticani).

8Bernard van Orley, Triptyque Haneton, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts,Inv. 358.
9D’après un anonyme bruxellois, Piéta, Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire.

Cette façon de composer les œuvres en assemblant des motifs et morceaux de composition empruntés ailleurs a été rapprochée de pratiques en usage dans les ateliers d’artistes italiens tels que Raphaël et a été dénommée technique du « copier-coller » par Maryan Ainsworth (New York, Metropolitan Museum of Art). Ce procédé répond bien entendu à des raisons formelles. Plus subtilement, il nous semble qu’il peut correspondre à une volonté de l’artiste et/ou d’une clientèle férue d’art italien de faire référence à des œuvres prestigieuses. Par ailleurs, cette technique n’est pas sans évoquer la littérature savante de l’époque où sont intégrées quantité de citations dans le corps du texte, sans pour autant que la source de ces emprunts soit explicitement mentionnée.

Bernard van Orley, Polyptyque de Job et de Lazare (revers), Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts, Inv. 1822.

10Pour conclure, l’analyse de deux détails illustre bien cet aspect de l’art de Bernard van Orley que nous avons souhaité mettre en avant. Sur le revers du Polyptyque de Job et de Lazare, les différents épisodes de la Parabole de Lazare et du mauvais riche sont répartis au sein d’une serlienne, un dispositif architectural originaire d’Italie. Cet intérêt pour l’art de la Péninsule est rendu encore plus clair par l’exposition de reliefs s’inspirant des fameux Triomphes de César d’Andrea Mantegna. Dans ce cadre, Van Orley reste attaché à son héritage flamand par l’usage de la décomposition narrative, par son soin dans l’exécution des détails décoratifs et par l’emprunt qu’il fait à une iconographie typiquement bruxelloise.

Plus encore que la cohabitation de tous ces éléments, l’allure du mauvais riche sur chacun des volets traduit particulièrement bien la dualité de la peinture de Van Orley au début des années 1520. Sur le volet gauche, l’homme est représenté avec un embonpoint et de riches atours. Sur le droit, son image change radicalement : de bourgeois bedonnant, l’homme est devenu un athlète musculeux inspiré par un modèle de Raphaël. Aucun argument iconographique ne permet d’expliquer cette modification. Si Bernard van Orley choisit cette représentation, c’est pour démontrer sa virtuosité et faire référence à un artiste auquel il souhaite s’identifier. En cela, l’image apparaît presque comme le manifeste d’un homme conscient de sa position entre deux époques, alors que les acquis de la Renaissance italienne sont peu à peu adaptés et « domestiqués », pour reprendre le terme popularisé par Peter Burke suite à son essai The European Renaissance. Centres and Peripheries, dans le Nord de l’Europe.

Alexandre Galand
Janvier 2014

crayongris2Alexandre Galand  est collaborateur scientifique des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et du groupe de recherche Transitions (Département de recherches sur le Moyen Âge tardif & la première Modernité) à l’ULg. Il a consacré sa thèse de doctorat à Bernard van Orley.

 



 

 

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Vient de paraître :

Alexandre Galand, The Flemish Primitives VI: Bernard van Orley,  Catalogue of Early Netherlandish Painting: Royal Museums of Fine Arts of Belgium, Brepols, 2013.

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