Le secteur du jeu vidéo indépendant continue de s'organiser et de s'institutionnaliser. En octobre 2013 avait lieu à Montreuil (France) la deuxième édition de son festival européen : l' European Independant Games Days (EIGD). Celui-ci se présente comme un cycle de conférences sur deux jours durant lesquels les professionnels parlent aux professionnels. L'occasion pour nous de relever quelques débats qui animent le milieu.
Une communauté d'artistes ?
Le festival a débuté par une conférence du créateur Éric Chahi, surtout connu pour ses jeux d'antan, tels qu'Another World (image ci-contre), jeu qu'il a développé quasiment seul à une époque (les années 1990) où il commençait à devenir difficile de se passer d'un gros éditeur. Un « ponte » parmi les indés. Après avoir réalisé quelques jeux en équipe, tels que From Dust, il s'est récemment remis au travail seul, ce qui lui permet de développer une manière de créer bien plus personnelle. Lors de la table ronde sur l'art, David Calmo (Ankama) déplorait quant à lui le manque d'œuvres « viscérales ». Une question de temps, selon le développeur : « Le jeu vidéo est jeune. Quand Mallarmé est arrivé, la poésie avait déjà plusieurs millénaires derrière elle ».
La question du statut d'art ne passionne pas tout le monde, à l'image de Mario von Rickenbach (mariov.ch) qui y répondit par un placide « Je m'en fiche, c'est une question de commentateur et non de créateur ». Cependant tous témoignent d'une façon de développer proche de l'artisanat et renvoient les grosses productions à des objets aseptisés, sans originalité. Il devient courant de produire un jeu de manière indépendante et de négocier un contrat avec un éditeur pour qu'il s'occupe uniquement de la communication et de la diffusion, à l'image de From Dust d'Éric Chahi. Les grosses entreprises essaient de s'assurer de leurs rentrées grâce à des franchises bien connues, quitte à sous-traiter l'innovation auprès des indépendants.
Indépendance artistique, mais pas seulement
Plus rarement abordée, la question politique : être indépendant, cela permet d'être libre de son propos politique. Fait rare, une conférence et une table-ronde étaient dédiées à cette thématique. Paolo Pedercini, du studio italien Molleindustria veut « radicaliser la culture populaire » et crée des œuvres explicitement engagées.
Un de ses jeux les plus récents, Phone Story, dénonce les conditions de production des téléphones. Le jeu, qui se joue précisément sur smartphone, utilise les mécaniques ludiques pour mettre l'utilisateur dans un rôle dérangeant (le joueur doit par exemple surveiller les enfants qui travaillent - Image ci-contre) afin de responsabiliser les consommateurs. Sa diffusion a rapidement été interdite sur l'Apple Store, ce qui a mis en évidence l'existence de politiques éditoriales de ce distributeur.
Lors de la table-ronde « Politic in Games », modérée par le bien nommé Thierry Platon, était abordée l'inévitable mise en circulation de valeurs morales par les mécanismes de jeu. Wiliam David (Swing swing submarine) témoignait d'une prise de conscience tardive : « je me suis rendu compte trois mois après la sortie d'un de mes jeux que les personnages féminins n'étaient que des adversaires ». Stéphane Natkin, professeur à l'ENJMIN (formation aux métiers de jeu vidéo) trouvait encore assez faible le nombre de jeux engagés. Il se souvient d'Avenue de l'école de Joinville (une critique de la politique d'immigration française), qui devait recevoir un prix décerné par le Ministère de la Culture. Ce dernier avait visiblement été surpris de la décision du jury indépendant puisque les créateurs du jeu n'ont jamais reçu leur prix. Au delà de ces phénomènes de censure, c'est l'autocensure qui aurait caractérisé la période du développement des grosses entreprises de jeu vidéo, selon Thierry Platon. Le secteur indé serait-il en passe de relancer un courant plus politisé ?