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Antoine Parmentier, un scientifique philanthrope

13 December 2013
Antoine Parmentier, un scientifique philanthrope

Le bicentenaire de la mort d’Antoine Parmentier nous donne l’occasion de nous pencher sur la vie méconnue de ce grand scientifique1. Célébré surtout pour son action en faveur de la pomme de terre, ce pharmacien humaniste a pourtant agi sur tous les fronts. Revenons sur les temps forts de sa brillante carrière à la fois civile et militaire…

Parmi les hommages posthumes rendus à Parmentier, il y a cette statue érigée place Parmentier à Montdidier, sa ville natale, dont le collège porte également son nom. Une autre statue le représente dans la cour de la faculté de pharmacie de Paris. Toujours à Paris, une avenue et une station de métro portent le nom de ce bienfaiteur de l’humanité.

StatueParmentier MontdidierLe 20 décembre 1813 paraît un communiqué laconique dans le Journal de Paris :

« M. Parmentier, membre de l’Institut et de la légion d’honneur, etc., est mort hier à Paris, dans sa maison, rue des Amandiers-Popincourt, n°12.2 »

En ces temps de grande incertitude quant à la survie de l’Empire, les préoccupations des Français sont monopolisées par les menaces d’invasion imminente des armées de la coalition3. Hélas, il n’est pas encore l’heure de rendre hommage à cet infatigable scientifique qui a œuvré toute sa vie pour le bien de l’humanité et n’a connu que trop brièvement les honneurs de ses contemporains.

Dans la mémoire collective, Antoine Parmentier demeurera à jamais le grand promoteur de la pomme de terre, tant il s’est acharné à « dédiaboliser » le précieux tubercule sur lequel les Français avaient jeté l'opprobre. Son action, pourtant, est bien plus étendue qu’on ne l’imagine. Véritable scientifique philanthrope, Parmentier a voué sa vie à améliorer celle de ses semblables.

Parmentier et la pomme de terre

Né le 12 août 1737 à Montdidier dans une modeste famille bourgeoise, Jean-Antoine-Auguste Parmentier est éduqué par sa mère. Il apprend le latin chez le curé de la paroisse, ce qui lui permet, à l’âge de 13 ans, d’entrer comme apprenti dans la pharmacie d’un cousin lointain. 5 ans plus tard, en 1755, il poursuit sa formation à Paris.

La guerre de sept ans qui éclate en 1757 offre à Parmentier l’occasion de s’illustrer sur le front. Dès 1760, il obtient le grade d’apothicaire aide-major. Sa situation l’expose à de multiples dangers et il est fait prisonnier cinq fois lors de la campagne. L’armée française, ne pouvant se passer de ses talents, parvient systématiquement à monnayer sa libération immédiate. Après sa dernière arrestation, il est tout de même retenu deux semaines dans les geôles prussiennes, où on le nourrit exclusivement de pommes de terre. En bon scientifique, Parmentier consigne les réactions de son corps au contact de cet aliment totalement méprisé en France. Sa conclusion est sans appel. Les pommes de terre possèdent d’excellentes qualités nutritives et n’altèrent en rien la santé, contrairement à ce que pensent la plupart de ses compatriotes.

La pomme de terre avant Parmentier

Si la pomme de terre devient un aliment populaire chez les Incas dès le 13e siècle – elle est cultivée dans la Cordillères des Andes au moins depuis 2000 av. J.C. –, elle mettra nettement plus de temps à s’imposer dans le régime alimentaire européen.

Les premières mentions de « papas » en Europe remontent au milieu du 16e siècle. Le tubercule se répand en Espagne – patatas – et en Italie – tartouffli – par l’intermédiaire des ordres religieux itinérants. En même temps, il rencontre la curiosité des scientifiques qui la font également circuler. En 1596, le Suisse Gaspard Bauhin (1560-1624) donne une première description précise de la Solanum tuberosum qu’il classe parmi les solanacées. Cinq ans plus tard, le Flamand Charles de l’Écluse (1526-1609) la décrit dans son Rariorum Plantarium Historia publié à Anvers.

 Charles del'Ecluse

Représentation de la pomme de terre
dans Rariorum Plantarium Historia de Charles de l’Écluse

Une deuxième voie de pénétration de la pomme de terre s’ouvre à partir de l’Angleterre en 1586.

Tour à tour plante d’ornementation et plante pharmaceutique, la pomme de terre ne s’impose comme aliment populaire qu’en Espagne, en Italie, en Suisse, en Irlande, dans certaines régions d’Allemagne – surtout en Prusse – et de France – Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté, Cévennes, Vivarais, Rouergue, Pyrénées, Alpes, Limousin. En Wallonie, elle se répand inégalement à partir de la deuxième moitié du 17e siècle.

Dans la plus grande partie de la France, la pomme de terre ne rencontre qu’hostilité et suspicion. On lui reproche de répandre des maladies et les efforts répétés de certaines personnalités telles que Faiguet de Villeneuve (1703-1781), le chevalier de Mustel (1719-1803), Mgr Jean-François de La Marche (1729-1806), Mgr Jean-Sébastien De Barral (1710-1773), l’abbé Terray (1715-1778) ou Turgot (1727-1781), pour la réhabiliter, ne suffisent pas à convaincre les paysans de consommer cette nourriture réservée aux animaux. Pire, certaines municipalités l’interdisent pour raison sanitaire. Finalement, Antoine-Augustin Parmentier parviendra à vaincre les dernières résistances…



1 Sont parus pour l’occasion :
Anne Muratori-Philip, Racontez-moi Parmentier et la pomme de terre, Paris, Nane, 2013,
Olivier Lafont, Parmentier, Au-delà de la pomme de terre, Paris, Pharmathèmes, 2012,
dont nous nous sommes largement inspirés pour rédiger cet article.
2 Journal de Paris, lundi 20 décembre 1813, p. 1, col. 2, p. 2, col. 1.
3 Sixième coalition conclue en mars 1813 entre la Russie, la Prusse, la Suède, l’Autriche, les souverains allemands et l’Angleterre

Revenu à la vie civile après le Traité de Paris de 1763, Parmentier poursuit son instruction en botanique, en chimie et en physique. Trois ans plus tard, il remporte le concours pour un poste d’apothicaire de l’Hôtel royal des invalides.

En 1812, François Dumont l'Aîné réalise le portrait d'Antoine Parmentier. Ce dernier pose en habit d'académicien – de l'Académie des sciences dont il est membre depuis 1795 – et porte la Légion d'Honneur. Les deux ouvrages ouverts sont ceux des agronomes Olivier de Serres (1539-1619) et l'abbé François de Rozier (1734-1793). Il tient un bouquet contenant des épis de blé et de maïs, ainsi que des fleurs de pomme de terre, les trois aliments ayant le plus marqué sa carrière scientifique.

Dumont,Portrait d'Antoine ParmentierExamen chymique despommes de terreSuite à la grande disette de 1769-1770 ayant particulièrement frappé la Bourgogne et la Franche-Comté, l’Académie de Besançon propose comme thème de concours : « Indiquer les végétaux qui pourraient suppléer en temps de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation. » C’est l’occasion pour Parmentier de réaliser une analyse chimique des pommes de terre qui lui avaient permis de conserver la santé dans les geôles prussiennes. Il remporte le concours le 24 août 1772, un mois après avoir été nommé apothicaire en chef des Invalides. En 1773, l’Examen chymique des pommes de terre est publié et rencontre l’adhésion du milieu scientifique. Parmentier est parvenu à démontrer, grâce à une analyse rigoureuse des différents composants du tubercule, que ce dernier n’est pas nuisible pour la santé et renferme d’excellentes propriétés nutritives.

Malgré le succès d’estime remporté par son œuvre, Parmentier est conscient qu’il faut aller plus loin pour séduire le peuple. Ce dernier se nourrit principalement de pain et les diverses recettes à base de pommes de terre qu’il propose ne suffiront pas à remplacer le pain dans les habitudes alimentaires des Français. Il est donc indispensable, dans l’esprit du pharmacien, de parvenir à la réalisation d’un pain à base de farine de pomme de terre. Au bout d’un long travail d’expérimentation faisant suite aux premières tentatives de Faiguet de Villeneuve et du chevalier de Mustel, Parmentier publie le résultat de son travail en 1779 dans la Manière de faire le Pain de Pommes de terre, sans mélange de Farine. Certes, il parvient à réaliser un pain uniquement à base de pommes de terre, sans ajout de farine de froment, mais le procédé, compliqué, prend six jours !

Les inconvénients de la fabrication du pain de pomme de terre ne découragent pas le chercheur qui, le 29 octobre 1778, organise une grande démonstration publique devant un auditoire choisi, dont font partie Lavoisier, Benjamin Franklin, le préfet Jean-Charles-Pierre Le Noir et bien d’autres, ainsi que la presse qui ne manquera pas de relayer l’information. Trois jours plus tard, les invités sont conviés à assister à un repas dont le menu est entièrement composé de mets à base de pommes de terre.

vangoghEn 1786, Parmentier poursuit son travail de propagande en cultivant en public des pommes de terre dans la plaine des Sablons, un champ militaire réputé incultivable. Le 24 août, il cueille quelques fleurs violettes qu’il remet à Louis XVI. Ce dernier, qui ne cessera de manifester sa bienveillance envers Parmentier, place une fleur à sa boutonnière et en garnit la coiffure de la reine en déclarant : « La France vous remerciera un jour d’avoir trouvé le pain des pauvres ».

À partir de ce moment, la pomme de terre ne cessera de gagner du terrain dans l’alimentation des Français. En 1794, paraît le premier livre de cuisine entièrement dédié au tubercule, La cuisinière républicaine. Mais le succès complet ne s’accomplit qu’au19e siècle lorsque sa production passe de 1,5 à 11,8 millions de tonnes entre 1803 et 1865.

Van Gogh, Les mangeurs de pommes de terre, 1885

 

Parmentier, au-delà de la pomme de terre 4

Le maïs ou blé deTurquieLe travail philanthropique de Parmentier ne s’arrête pas à la pomme de terre. Tout au long de sa vie, l’infatigable expérimentateur se penche sur tous les principaux ingrédients de l’alimentation humaine. Pour ce faire, il analyse leur composition avec une précision inédite en s’inscrivant dans le nouveau courant de la chimie qui prend ses distances vis-à-vis des anciens principes alchimiques.

C’est ainsi qu’il publie le résultat de ses recherches sur le blé dans Le Parfait Boulanger (1778), sur la châtaigne dans le Traité de la châtaigne (1780) et sur le maïs dans Le Maïs ou blé de Turquie (1812). Dans ses Remarques sur l’usage et les effets des champignons (1782), il admet que sa méthode ne permet pas de distinguer les bons des mauvais spécimens. Le scientifique doit donc, à regret, se contenter de réitérer le conseil répété à l’envi par ses confrères depuis des siècles5, à savoir de « s’abstenir des champignons puisque le plus sain en apparence cause souvent des indigestions et d’autres accidens ».

Grâce à ses analyses, Parmentier décèle des fraudes dans la vente du chocolat qui contient abusivement diverses substances telles que de la farine de froment, de lentille, de pois ou de fèves ou – ironie du sort – de la fécule de pomme de terre.

L’amélioration de l’alimentation des hommes passe également par une meilleure compréhension des moyens de conservation. Parmentier en est parfaitement conscient et multiplie les expériences en ce domaine sur le blé, le maïs, le vin, la vigne et la viande, pour laquelle il n‘ignore pas les bienfaits de la congélation. Parmentier participe également à la commission chargée de valider le procédé de conserve de Nicolas Appert (1749-1841), dont le résultat est le point de départ de la formidable industrie de la conserve.

 

La diffusion du savoir

Dès 1774, soucieux d’œuvrer pour la diffusion de la connaissance scientifique d’une part, et pour la vulgarisation de celle-ci d’autre part, Parmentier se lance dans l’édition d’ouvrages étrangers. Il donne des cours d’histoire naturelle au Collège de Pharmacie dès sa création en 1777 et il participe à la création de l’École gratuite de boulangerie, inaugurée le 8 juin 1780.

En parallèle, Parmentier ne cesse de publier et de participer à de nombreux ouvrages tels que l’Encyclopédie Méthodique (1782-1832) ou Le Nouveau Dictionnaire d’Histoire Naturelle (1803). En tout, il est l’auteur de plus de 189 publications.

Parmentier ne s’est pas limité aux matières alimentaires. Les questions d’hygiène, telles que la qualité des eaux de la Seine ou les vidanges des fosses d’aisance, ont retenu toute son attention. Il s’intéresse encore aux matières fécales utilisées comme engrais et à la vaccination. Le tout en poursuivant brillamment sa carrière militaire. En 1800, Napoléon le nomme Premier pharmacien des armées. Le 3 juillet 1810, il reçoit la Légion d’honneur. 3 ans plus tard, miné par la tuberculose, il décède discrètement peu après avoir eu la satisfaction d’apprendre que la pomme de terre est imposée dans l’armée impériale.

Pierre Leclercq
Décembre 2013

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie, collaborateur scientifique de l'ULg. Ses recherches doctorales portent sur la gastronomie au temps de Lancelot de Casteau. Il dirige Le petit Lancelot, traiteur, centre de recherche et  de cours en gastronomie historique





4 Titre repris de l’ouvrage d’Olivier Lafont cité plus haut
5 Voir article « Du poison dans les fungi »


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