Antoine Parmentier, un scientifique philanthrope

Le bicentenaire de la mort d’Antoine Parmentier nous donne l’occasion de nous pencher sur la vie méconnue de ce grand scientifique1. Célébré surtout pour son action en faveur de la pomme de terre, ce pharmacien humaniste a pourtant agi sur tous les fronts. Revenons sur les temps forts de sa brillante carrière à la fois civile et militaire…

Parmi les hommages posthumes rendus à Parmentier, il y a cette statue érigée place Parmentier à Montdidier, sa ville natale, dont le collège porte également son nom. Une autre statue le représente dans la cour de la faculté de pharmacie de Paris. Toujours à Paris, une avenue et une station de métro portent le nom de ce bienfaiteur de l’humanité.

StatueParmentier MontdidierLe 20 décembre 1813 paraît un communiqué laconique dans le Journal de Paris :

« M. Parmentier, membre de l’Institut et de la légion d’honneur, etc., est mort hier à Paris, dans sa maison, rue des Amandiers-Popincourt, n°12.2 »

En ces temps de grande incertitude quant à la survie de l’Empire, les préoccupations des Français sont monopolisées par les menaces d’invasion imminente des armées de la coalition3. Hélas, il n’est pas encore l’heure de rendre hommage à cet infatigable scientifique qui a œuvré toute sa vie pour le bien de l’humanité et n’a connu que trop brièvement les honneurs de ses contemporains.

Dans la mémoire collective, Antoine Parmentier demeurera à jamais le grand promoteur de la pomme de terre, tant il s’est acharné à « dédiaboliser » le précieux tubercule sur lequel les Français avaient jeté l'opprobre. Son action, pourtant, est bien plus étendue qu’on ne l’imagine. Véritable scientifique philanthrope, Parmentier a voué sa vie à améliorer celle de ses semblables.

Parmentier et la pomme de terre

Né le 12 août 1737 à Montdidier dans une modeste famille bourgeoise, Jean-Antoine-Auguste Parmentier est éduqué par sa mère. Il apprend le latin chez le curé de la paroisse, ce qui lui permet, à l’âge de 13 ans, d’entrer comme apprenti dans la pharmacie d’un cousin lointain. 5 ans plus tard, en 1755, il poursuit sa formation à Paris.

La guerre de sept ans qui éclate en 1757 offre à Parmentier l’occasion de s’illustrer sur le front. Dès 1760, il obtient le grade d’apothicaire aide-major. Sa situation l’expose à de multiples dangers et il est fait prisonnier cinq fois lors de la campagne. L’armée française, ne pouvant se passer de ses talents, parvient systématiquement à monnayer sa libération immédiate. Après sa dernière arrestation, il est tout de même retenu deux semaines dans les geôles prussiennes, où on le nourrit exclusivement de pommes de terre. En bon scientifique, Parmentier consigne les réactions de son corps au contact de cet aliment totalement méprisé en France. Sa conclusion est sans appel. Les pommes de terre possèdent d’excellentes qualités nutritives et n’altèrent en rien la santé, contrairement à ce que pensent la plupart de ses compatriotes.

La pomme de terre avant Parmentier

Si la pomme de terre devient un aliment populaire chez les Incas dès le 13e siècle – elle est cultivée dans la Cordillères des Andes au moins depuis 2000 av. J.C. –, elle mettra nettement plus de temps à s’imposer dans le régime alimentaire européen.

Les premières mentions de « papas » en Europe remontent au milieu du 16e siècle. Le tubercule se répand en Espagne – patatas – et en Italie – tartouffli – par l’intermédiaire des ordres religieux itinérants. En même temps, il rencontre la curiosité des scientifiques qui la font également circuler. En 1596, le Suisse Gaspard Bauhin (1560-1624) donne une première description précise de la Solanum tuberosum qu’il classe parmi les solanacées. Cinq ans plus tard, le Flamand Charles de l’Écluse (1526-1609) la décrit dans son Rariorum Plantarium Historia publié à Anvers.

 Charles del'Ecluse

Représentation de la pomme de terre
dans Rariorum Plantarium Historia de Charles de l’Écluse

Une deuxième voie de pénétration de la pomme de terre s’ouvre à partir de l’Angleterre en 1586.

Tour à tour plante d’ornementation et plante pharmaceutique, la pomme de terre ne s’impose comme aliment populaire qu’en Espagne, en Italie, en Suisse, en Irlande, dans certaines régions d’Allemagne – surtout en Prusse – et de France – Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté, Cévennes, Vivarais, Rouergue, Pyrénées, Alpes, Limousin. En Wallonie, elle se répand inégalement à partir de la deuxième moitié du 17e siècle.

Dans la plus grande partie de la France, la pomme de terre ne rencontre qu’hostilité et suspicion. On lui reproche de répandre des maladies et les efforts répétés de certaines personnalités telles que Faiguet de Villeneuve (1703-1781), le chevalier de Mustel (1719-1803), Mgr Jean-François de La Marche (1729-1806), Mgr Jean-Sébastien De Barral (1710-1773), l’abbé Terray (1715-1778) ou Turgot (1727-1781), pour la réhabiliter, ne suffisent pas à convaincre les paysans de consommer cette nourriture réservée aux animaux. Pire, certaines municipalités l’interdisent pour raison sanitaire. Finalement, Antoine-Augustin Parmentier parviendra à vaincre les dernières résistances…



1 Sont parus pour l’occasion :
Anne Muratori-Philip, Racontez-moi Parmentier et la pomme de terre, Paris, Nane, 2013,
Olivier Lafont, Parmentier, Au-delà de la pomme de terre, Paris, Pharmathèmes, 2012,
dont nous nous sommes largement inspirés pour rédiger cet article.
2 Journal de Paris, lundi 20 décembre 1813, p. 1, col. 2, p. 2, col. 1.
3 Sixième coalition conclue en mars 1813 entre la Russie, la Prusse, la Suède, l’Autriche, les souverains allemands et l’Angleterre

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