Lès vwès dèl nut' : Jean Rathmès à l'honneur au Théâtre de Liège

De 1961 à 2013

Le texte a beau être précisément ancré dans son contexte de rédaction, il n'en fait pas moins sens aujourd'hui car son message est universel. « C'est une vieille histoire, mais une histoire toujours renouvelée, explique François-Michel van der Rest, l'un des comédiens. En quelque sorte, le Théâtre de Liège a programmé un conte de Noël, même si son intrigue se déroule en été ; c'est une histoire de rédemption, une histoire de renaissance, de possibilités de sortir d'un cycle et de prendre des décisions soi-même. » Le comédien est en outre chargé de la dramaturgie de la pièce. C'était donc à lui que revenait la tâche de s'interroger sur les rapports entre cet objet théâtral et le contexte contemporain. Selon lui, il s'y prête très bien. « C'est une pièce qui reflète de façon très éclairante ce qui se passe maintenant. Il y a beaucoup de thématiques qui affleurent en dessous de la surface du texte et qui sont tout à fait congruentes par rapport à notre époque. » Il n'a d'ailleurs en rien dû être adapté, si ce n'est pour supprimer des lourdeurs dues à son origine radiophonique et à la nécessité qu'il avait alors de dire ce qu'il ne pouvait représenter.

Néanmoins, une distance est présente quoiqu'elle côtoie une grande familiarité. Lès Vwès dèl Nut’ est en ce sens décrite comme une « pièce étrangère de chez nous ». Selon Élisabeth Ancion, ce recul est nécessaire. « Nous avions l'envie depuis longtemps de monter cette pièce, mais nous avons bien fait d'attendre. Nous n'avions même pas tout compris, il y a dix ans ; en un sens, les cinquante ans de recul sont nécessaires : pour lire l'histoire, tout simplement. » Serge Rangoni, le directeur général du Théâtre de Liège, renchérit : « Au delà de l'histoire qui est une histoire sociale, difficile, l'intérêt vient aussi de la mise en scène d'un monde disparu. C'est très touchant ; c'est le rapport d'un passé qui, finalement, est quand même déjà lointain. »

Pour François-Michel van der Rest, qui est diplômé à la fois en sciences théâtrales et en philosophie, cela a trait à l'inconscient, personnel et collectif. « Il y a un désir de se mettre en contact avec quelque chose qui se trouve juste sous la surface, qui vient d'être enseveli par les eaux, qui est en train de couler et qui, en fait, ne demande qu'à ressurgir ; c'est cela qui m'intéressait particulièrement dans ce projet. Je pense que le rapport à la langue est un des canaux les plus intéressants à suivre pour comprendre  ce qui arrive à une société. En ce sens, la pièce s'oppose d'une certaine manière à l'impérialisme de la culture, à la dictature de la pensée, en évoquant des questions telles que “quel est l'intérêt de faire disparaître une langue ?” ou “que sert la normalisation culturelle ?”. Si le spectateur peut sortir avec de telles idées en tête, c'est parce qu'on n'en aura pas parlé du tout ; nous, on raconte juste une histoire. Mais je pense que l'usage du wallon le titille, appelle des questions. Le wallon met des grains de sable dans notre monde culturel très normatif. Lès Vwès dèl Nut’, c'est cela aussi : c'est l'histoire d'un flic qui, à la fin, prend une décision illégale et outrepasse la norme. Cela appelle quelque chose de vivant, de nouveau, dans l'existence. »

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En revanche, dans sa forme, la pièce est assez moderne. François-Michel van der Rest ose la comparaison avec des séries télévisées comme Mad Men : « Il y a dans cette histoire quelque chose, notamment l'écriture en tableaux, qui est du même ordre que l'écriture des séries actuelles. Je pense qu'en cela les jeunes peuvent tout à fait s'y retrouver. » Du reste, Lès Vwès dèl Nut’ comportant plusieurs niveaux de lecture, c'est un spectacle qui s'adresse à un public très varié, composé tant de locuteurs wallons que d'amateurs de polars ou de drames sociaux.

De même, la scénographie, signée Jean Vangeebergen, n'a pas été conçue dans l'optique de donner une « couleur locale » à la pièce et ne cherche pas, comme certaines mises en scène de théâtre en wallon, à accumuler les bibelots ou le mobilier d'époque, quitte à donner au plateau des airs de devanture d'antiquaire. « La scénographie est d'une très grande simplicité, mais une simplicité complexe, explique François-Michel van der Rest. C'est une palissade avec des portes qui se déplacent et qui révèlent certaines choses, qui changent le décor. C'est comme passer d'une case de bande dessinée à une autre. Mais on reste dans le même cadre. Cette palissade sert aussi d'écran pour les personnages : elle permet une mise en évidence des corps et des costumes. » Serge Rangoni, prolongeant l'analogie de la bande dessinée, a trouvé le mot juste pour décrire cette esthétique : ligne claire. Un choix que justifie Élisabeth Ancion : « Les choses devaient être épurées, dessinées ; très lisibles, en somme, puisque les comédiens endossent chacun plusieurs rôles. »

Et la langue, dans tout cela ?

Selon Serge Rangoni, l'intérêt de monter en Belgique des pièces non francophones est que cela permet d'entrer dans d'autres formes de théâtre. « Il y a une dizaine d'années que sont présentés des spectacles en langues étrangères surtitrés. Avant, cela se faisait en festival mais pas tellement dans les institutions théâtrales. En Belgique, c'est peut-être plus facile car nous avons une fréquentation de langues différentes et un certain bilinguisme. On est dans des territoires très mélangés, et au cœur de l'Europe. Ici, à Liège, on est à quelques kilomètres des Pays-Bas ; on parle allemand un peu plus loin. Il y a aussi beaucoup de gens qui pratiquent l'italien ou le polonais. Cela simplifie la réception. J'aime bien avoir des locuteurs dans la salle en plus des spectateurs recourant aux surtitres car cela rend le spectacle actif, réactif. Ceux-là, même, par leur réaction aident les autres à comprendre. »

Au delà d'un contexte favorable, il fait remarquer les qualités intrinsèques de ce type de théâtre. « Présenter un spectacle en wallon, c'est retourner à des racines oubliées. Les langues qu'on appelle endogènes n'ont pas très bonne presse mais c'est la langue que beaucoup de gens parlaient, et parlent encore quoique moins. C'est une langue que la plupart des spectateurs ne connaissent pas mais comprennent tout de même en partie, en tout cas suffisamment pour suivre. En l'entendant, il y a une étrangeté, mais il y a aussi quelque chose qui parle en nous. Il y a le plaisir du mot, des sonorités, des images du wallon. Je pense que c'est intéressant. Étant proches de la France, nous avons perdu notre distinction régionale. En revanche, au Québec, le joual a une place bien plus importante au théâtre, au point qu'on y parle de “théâtre en français international” pour le distinguer des productions locales. Nous n'avons pas cette notion-là, chez nous... »

C'est dans une démarche similaire à celle de son Roméo et Juliette bilingue que le Théâtre de Liège présente Lès Vwès dèl Nut’. L'idée est dans l'ère du temps, en accord avec un public de culture désormais plus internationale et ayant une pratique presque quotidienne du sous-titre. Dès lors, celui-ci est davantage prêt à écouter l'autre s'exprimer dans sa propre langue, et plus disposé à en percevoir les richesses. Paradoxalement, ce nouvel état de fait ne rend-il pas, d'une certaine manière, le théâtre d'expression wallonne en prise sur l'avenir ?

Julien Noël
Décembre 2013

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Julien Noël est étudiant en 2e année du Master en Langues et littératures françaises et romanes.

 


 

Les Vwès dès Nut' (« Les Voix de la Nuit »)
Du 15 au 28 décembre au Théâtre de Liège
En wallon surtitré français (durée : 1h15)
 

http://www.theatredeliege.be
https://www.facebook.com/vwesdelnut


Texte : Jean Rathmès
Mise en scène :
Élisabeth Ancion
Interprétation :
Isabelle Darras, Serge Demoulin, Philippe Grand'Henry, Catherine Mestoussis, François-Michel van der Rest
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène :
François-Michel van der Rest, avec Justine Géradon
Création musicale :
Pierre Kissling et Muriel Hérion
Scénographie :
Jean Vangeebergen
Marionnette :
Joachim Jannin et Toztli Godinez de Dios
Costumes :
Élisabeth Ancion et Julie Antipine
Décors :
Ateliers du Théâtre de Liège, en collaboration avec « La Circulaire »
Lumière :
Mathieu Houart
Régie :
Pierre Neu et Manu Deck
Surtitrage :
Reno Rikir
Création :
Le Groupe®
Production exécutive :
Sylviane Evrard
Une coproduction du Collectif Travaux Publics et du Théâtre de Liège
Avec l'aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles / service du Théâtre et le soutien de la Province de Liège

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