Lès vwès dèl nut' : Jean Rathmès à l'honneur au Théâtre de Liège
Du 15 au 28 décembre, sera jouée au Théâtre de Liège Lès Vwès dèl Nut’ (en français : « Les Voix de la nuit »), une pièce en wallon du sérésien Jean Rathmès. Une première, à bien des égards.

ancionLe spectacle (créé par le Groupe® et coproduit par le Collectif Travaux Publics et le Théâtre de Liège) est une première car cette œuvre, écrite en 1961 en vue d’une diffusion sur les ondes de Radio Liège, n’avait jusqu’à présent jamais trouvé le chemin des planches. Il l’est en outre à un second titre : le Théâtre de Liège (anciennement Théâtre de la Place) descend du Théâtre royal du Gymnase, conçu en 1918 comme une institution francophone, et n’a donc, par cet héritage, jamais produit jusqu’ici de spectacle en wallon, bien que le surtitrage lui ait souvent permis d’accueillir des projets étrangers. Lès Vwès dèl Nut’ bénéficiera d’ailleurs aussi de ce procédé, bien que sa metteuse en scène, Élisabeth Ancion, assure qu’il n’est pas absolument nécessaire à la compréhension de la pièce : « Le wallon, même si on ne le pratique plus malheureusement, on l’a tous dans l’oreille. »

Du texte à la scène

L’auteur de cette pièce est Jean Rathmès, bien connu des troupes dramatiques wallonnes. Né à Boncelles en 1909, il va habiter Seraing cinq ans plus tard, où il résidera jusqu’à son décès en 1986. Il travaille au charbonnage dès ses quatorze ans, puis successivement comme vendeur de matériaux de construction, agent de quartier à la Troque et officier de police de la ville de Seraing, avant de finir sa carrière en tant que secrétaire honoraire auprès du parquet du Roi de Liège. Cependant, c’est aussi un homme de lettres : il est l’auteur d’un recueil de poèmes — Lès Hoûlâs d'zos lès steûles, qui lui vaut le Prix des Critiques Wallons en 1953 — ainsi que d’une quinzaine de pièces de théâtre et de trois jeux radiophoniques. Non seulement elles sont dialectales et situées dans la région liégeoise, mais les œuvres de Rathmès ne se bornent en outre pas aux intrigues et aux thèmes remâchés du théâtre populaire : elles abordent sa réalité contemporaine, influée comme on la sait tant par le monde ouvrier que par l’immigration. Son métier de gardien de la paix y déteint sans doute aussi car Lès Vwès dèl Nut’ a pour fil rouge une enquête de police, ce qui pousse Élisabeth Ancion à qualifier la pièce de « polar ».

Chez cette dernière, l’envie de mettre en scène ce texte n’est pas neuve ; elle a d’ailleurs déjà débouché sur la mise en scène d’un extrait, il y a dix ans, au Théâtre de la Balsamine à Bruxelles. Cette diplômée de l’INSAS doit son affection pour le répertoire wallon au cadre familial du théâtre de marionnettes liégeois « Al Botroûle », dans lequel elle a grandi. Néanmoins, c’est moins d’un choix véritable que d’un coup de cœur pour le texte qu’est né le projet : « Pourquoi une pièce en wallon ? C’est parce que c’est cette pièce-là, et qu’elle est très très belle comme ça, avec cette langue-là. On n’a pas cherché quelque chose à monter en wallon ; c’est cette pièce-là qu’on avait envie de monter. »

Cette pièce, c’est la rencontre de plusieurs histoires se déroulant au cours d’une même nuit. D’une part, celle de Rosa, qui fait le succès du bar à hôtesses sérésien où elle travaille et qui, s’étant amourachée de Dino, un bel Italien fraîchement arrivé au pays, est séquestrée par sa patronne afin de prévenir toute fuite avec ce séducteur ; d’autre part, celle de Mariye-So-dj-Bèle qui a trouvé un petit garçon abandonné sur le bord d’une route et qui, accompagnée de l’inspecteur Leclerc, part à la recherche des parents de l’enfant perdu. À cela s’ajoute le mystère de l’identité d’une jeune femme, repêchée sans vie dans la Meuse. Quelque part, tous ces événements se recoupent. Comment ? Réponse sur la scène du Théâtre de Liège, où ce drame populaire non dénué de couleur locale sera sous peu offert au public d’aujourd’hui par ses cinq comédiens et sa marionnette qui, assumant sur les planches un total de dix-huit rôles, permettront la rencontre d’autant de Liégeois des années 1960.

Il y a bien sûr tout lieu de se réjouir qu’un auteur local reçoive l’honneur d’une telle réalisation, mais précisons tout de même que cette première n’est pas absolue : si le Théâtre de Liège n’avait jamais mis en scène Jean Rathmès, les mots de celui-ci ont déjà résonné dans le bâtiment de la Société Libre d’Émulation où il est désormais installé, puisqu’y était créée en 1959 sa pièce Baclande, sous l’égide du Théâtre dialectal populaire. Gageons qu’ils le feront encore dans le futur...


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