Tiens ?? Une pièce en wallon au Théâtre de Liège...

En décembre, le nouveau Théâtre de Liège propose à son public de découvrir une œuvre en wallon,  Lès vwès dèl nut' , de Jean Rathmès. Si cet auteur mérite certainement l'hommage qui lui est ainsi rendu, c'est aussi l'occasion de s'interroger sur le sens de mettre en scène du théâtre dialectal aujourd'hui.

rathmesIdée saugrenue, décalée, kitsch, bobo, militante ? Ou simplement une volonté de donner la parole à un auteur intéressant, au-delà de la langue dans laquelle il a choisi de s'exprimer ? Un peu tout cela à la fois ?

Avant de replacer ce choix de programmation inattendu (mais l'est-il tellement ?) dans un contexte sociolinguistique, rendons justice à Jean Rathmès et à la pièce présentée au Théâtre de Liège, du 15 au 28 décembre. En effet, l'œuvre de Rathmès n'est pas réductible au choix d'écrire en dialecte; c'est aussi la voix d'un homme sensible et clairvoyant, ayant une compréhension sans illusions de la nature humaine. Son œuvre dramatique, composée de quinze pièces de théâtre et de trois pièces radiophoniques, l'a porté au pinacle des écrivains dialectaux de l'après-guerre. Ses thèmes de prédilection — l'absence, la cruauté du monde, l'amour aussi — et la profondeur de ses personnages font de Priyîre po dès vikants ou des Convwès d' Paris des pièces universelles. Quant à sa poésie, elle glorifie Seraing et ses cheminées fumantes; Seraing et son petit peuple noir; Seraing et sa fragilité, à l'époque déjà; universalité et attachement au terroir ne sont donc pas antinomiques. On ne s'étonnera pas, dès lors, que la Société de Langue et de Littérature wallonne (SLLW) lui ait rendu récemment un bel hommage sous la forme d'une journée de décentralisation à Seraing et d'une publication1.

 

Li clârté qui monte a disminti l' nut';
c'èst l' djoû qui dit l' vrêye.

Çou qu' nos-avîs pris po dès djeûs d' tchandèles
so l'âté dè cîr
n'èsteût qu' dès loumîres dizeû lès-ovreûs.

Wice qu'i n'aveût rin, volà dès mohones
è hô d' leû porotche.

Li stindêye èst grîse là qu'on l' ratindéve
avou mèye coleûrs;
là qu'on ratindéve on cîr disgadjî,
lès tch'minêyes plakèt dès tètches di foumîre.

I fêt pèneûs so lès-èrîves di Moûse.
                 (Extrait de Basse-Mar'hâye)

La clarté qui monte a contredit la nuit;
c'est le jour qui dit vrai.

Ce qu'on prenait pour des jeux de chandelles
sur l'autel du ciel
n'était que des lumières au-dessus des ateliers.

Où il n'y avait rien, voilà des maisons
dans le giron de leur paroisse.

L'espace est gris, tandis qu'on attendait
mille couleurs;
où l'on attendais un ciel dégagé,
les cheminées plaquent des taches de fumée.

Il fait maussade sur les rives de la Meuse.

 

La pièce choisie par le Théâtre de Liège, qui date de 1962, est intitulée Lès vwès dèl nut' (Les voix de la nuit). Elle rassemble à la façon d'une mosaïque des personnages un peu perdus, des voix qui cherchent, dans le contact avec l'autre, à retrouver un peu d'amour ou de paix. Ces voix proviennent du passé de policier de Rathmès et s'expriment en dialecte, même si un surtitrage français est prévu. La mise en scène est signée Élisabeth Ancion, avec la collaboration de François-Michel van der Rest et de Justine Géradon.

Sans doute, la première réaction d'une bonne part du public du Théâtre sera-t-elle la surprise, voire la dubitation face à une programmation en wallon. Mais interrogeons-nous: quel est le message d'un tel choix ? Ou du moins, à quoi ce choix fait-il écho ?

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