Contes de Grimm en RDA. Interview de Katrin Löffler

Quelle place occupaient les frères Grimm dans la culture mémorielle officielle de la RDA ? Leurs autres œuvres littéraires avaient-elles aussi un rôle à jouer?

Je crois que les frères Grimm étaient tout à fait compatibles avec l’image culturelle et politique de la RDA, puisqu’ils s’étaient intéressés à la tradition populaire. Une des formes d’hommage public fut par exemple l’émission de neuf ou dix séries annuelles de timbres postaux avec comme thème les contes.

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En 1985, on a frappé une pièce de monnaie spéciale, de la valeur la plus élevée possible (20 marks), à l’occasion du 200e anniversaire de la naissance des frères Grimm, prenant comme référence la date de naissance de Jacob, né un an avant son frère Wilhelm. On a aussi donné leur nom à un prix en 1979. Il était attribué par le ministère de l’enseignement supérieur et technique à des personnes qui avaient contribué à la promotion de l’allemand et de la philologie allemande à l’étranger. En plus des contes, on a également publié leurs légendes. Et après 1945, des linguistes de l’Est et de l’Ouest ont participé à l’achèvement de leur dictionnaire monumental.

Pensez-vous que les contes aient eu une plus grande importance dans la culture de l’ancienne RDA que dans celle de l'Allemagne actuelle ?

On a envie de dire que oui, du moins quand on considère la production cinématographique riche et variée qui était soumise à l'influence de l'État. Toutefois, depuis quelques années, il y a de nouvelles adaptations des contes de Grimm pour la télévision publique allemande ZDF, que je trouve particulièrement réussies : des modernisations prudentes, avec beaucoup d’humour et une belle palette d’acteurs célèbres associés à de jeunes acteurs encore inconnus. Mais on ne peut peut-être plus faire une telle comparaison aussi facilement de nos jours, car l'offre médiatique s'est considérablement étendue au cours des dernières décennies, entre autres suite aux nombreux transferts interculturels.

Y avait-il une concurrence entre les contes et la littérature pour enfants conforme au système de la RDA ? Était-il possible de se démarquer politiquement via la lecture des contes ?

Non, il n'y a jamais eu une telle concurrence. Ce serait certainement un peu réducteur de tout voir sous un angle idéologique. À l'Est aussi, les contes appartenaient au canon de la littérature pour enfants, et pour les éditeurs ou les cinéastes est-allemands, comme pour ceux de l'Allemagne de l'Ouest, le but premier était de proposer aux enfants des livres, des pièces radiophoniques et des films bien faits.

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Quelle importance ont les contes des frères Grimm aujourd'hui ?

Les contes sont profondément ancrés dans notre culture, et les films que j’ai mentionnés montrent à quel point ils restent une source d'inspiration pour les artistes en tout genre. On trouve sur le marché du livre de nombreuses versions illustrées, ainsi que des pièces radiophoniques, de nombreuses pièces de théâtres et spectacles de marionnettes, qui adaptent les contes et les mettent en scène. Les contes de Grimm restent, je pense, l'expérience littéraire intergénérationnelle la plus importante. C’est certainement lié à leurs personnages et situations types. Mais il y a de nos jours une telle offre de bonne littérature pour enfants que les contes vont probablement perdre de leur importance avec le temps.

 

gardeusedoiesQuel est votre conte préféré ?

Je n'ai pas vraiment de conte préféré mais je sais que certains m'ont particulièrement interpelée lorsque j'étais enfant, comme La Gardeuse d'Oies1. D'abord, l'histoire me fascinait : une camériste insolente et méchante force une humble princesse à changer de rôle, prend la place de celle-ci en tant que fiancée du fils du roi et fait tuer Falada, le cheval de la princesse, parce qu’il sait parler. Mais tout finit bien car le vieux roi entend, en se cachant derrière une porte, la véritable histoire de la princesse. Et puis, le conte contient beaucoup de vers qui se répètent : « Ô toi, mon Falada, qui est accroché là… ! », ou « Souffle, souffle, vent léger. Le bonnet de Conrad, Presse toi d’emporter », etc. Ce texte contient de nombreux archaïsmes auxquels j’étais sensible.



Propos recueillis par Vera Viehöver
Novembre 2013

crayongris2Vera Viehöver enseigne la littérature allemande à l'ULg. Ses principales recherches portent sur la littérature du 18e siècle, la littérature judéo-allemande, la traduction littéraire et l'autobiographie en tant que genre littéraire


Traduction de l’allemand réalisée par Julie Claes, Catherine Deflandre et Lionel Pieffer, encadrés par Céline Letawe (Master à finalité spécialisée en traduction ULg)

 


 

1 Ndt. Une version française du conte est disponible sur http://sem.unige.ch/wp/reseauboimare/files/2012/01/La-gardeuse-doies.pdf

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