Contes de Grimm en RDA. Interview de Katrin Löffler

Katrin Löffler est docteure en littérature allemande de l'université de Leipzig. Ses recherches portent particulièrement sur la littérature allemande du 18e siècle et plus précisément sur les auteurs de Leipzig.  Née en Saxe en 1964, elle a passé son enfance et toute sa scolarité en RDA. Elle répond aux questions de Vera Viehöver.

Est-ce que vous vous rappelez quand, où et comment vous avez entendu parler des contes de Grimm pour la première fois ?

Oui, c’était à la maison. Mes parents nous on lu ces contes, à ma sœur et à moi, dès notre plus tendre enfance. La semaine, c’était ma mère qui s’en chargeait la plupart du temps ; le dimanche, par contre, on pouvait se faufiler dans le lit des parents et se blottir contre notre père qui faisait la lecture de façon presque théâtrale. On appréciait aussi les soirs où nos parents sortaient et où notre voisin, professeur de mathématiques et grand plaisantin, endossait le rôle de lecteur. Il envoyait le petit chaperon rouge au supermarché avec sa corbeille pour aller y acheter des gâteaux et du vin, et il riait quand je protestais : « Non, oncle Liesche, c’est pas comme ça ! »

Quel rôle jouaient les contes de Grimm dans les écoles est-allemandes ? Avez-vous des souvenirs personnels ?

Pour autant que je sache, les contes de Grimm ne jouaient pas de rôle particulier. Dans les écoles maternelles, on les a bien sûr lus aux enfants, mais en primaire et en secondaire, pour autant que je m’en souvienne, on n’en a pas parlé.

marchenEst-ce qu’il y avait une version des contes qui était particulièrement répandue en RDA ? Si oui, pourquoi ?

Il y avait un ouvrage avec de magnifiques illustrations du célèbre graphiste Werner Klemke qui a été récompensé à plusieurs reprises. La première édition est sortie en 1962 et, jusqu’à la fin de la RDA, il y en eu plus d’une vingtaine. Les nombreuses images, qui étaient souvent drôles, procuraient du plaisir aux petits comme aux grands. On peut toujours acheter le livre de Klemke. En comptant les éditions est-allemandes, on en est aujourd’hui à la 36e. Je ne possédais moi-même malheureusement pas ce livre, par contre je possédais un épais volume à reliure bleue, sans aucune illustration, que j’ai malgré tout usé jusqu'à la corde.

 

Vous rappelez-vous si certains contes des frères Grimm étaient particulièrement populaires auprès de l’État est-allemand ?

dasZaubermanchenOn peut mentionner les adaptations cinématographiques des contes, qui ont débuté dans les années 60 et 70. Ces films étaient réalisés avec soin, et je les ai regardés avec beaucoup de plaisir quand j’étais enfant. Je ne pouvais évidemment pas percevoir les éléments idéologiques qui y avaient été introduits ; je n’ai découvert ceux-ci qu’en les regardant de nouveau. Les interventions sont particulièrement évidentes dans Rumpelstilzchen  (le film est intitulé Das Zaubermännchen, littéralement « le petit magicien »). À la fin, Rumpelstilzchen, le « Nain Tracassin », n’est pas un vilain qui se déchire par le milieu, comme dans le conte – c’est au contraire un bon petit bonhomme qui se comporte comme un guide envers le jeune couple royal. Le personnage négatif est ici l’incorrigible trésorier, qui a une mauvaise influence sur le jeune roi et qui est finalement banni du pays, pour ainsi dire « déchu de sa nationalité ». C’est Hans, le courageux apprenti meunier, qui le remplace au palais pour conseiller le roi ; c’est la classe ouvrière qui participe au pouvoir en quelque sorte.

Prenons un autre exemple : celui de La Belle au bois dormant. Ici, la treizième fée, celle qui n’a pas été invitée, accorde à l’enfant le don de l’assiduité, un don que le roi méprise puisqu’une princesse n’est pas censée travailler. Travailler, c’est pour le peuple ! À la fin du film, le roi est déchu et c’est sa fille, qui a appris à filer la laine, qui monte sur le trône. Le rouet est le véritable leitmotiv du film. Une des scènes clefs est celle où la princesse est assise sur le trône et file la laine, heureuse. C’est pour ainsi dire une iconographie séculière : la reine ouvrière et son rouet. Le conte de Blanche Neige est intéressant lui aussi : les sept nains sont un petit collectif de travail, avec un « chef » qui les rappelle à l’ordre constamment.

Quel rôle jouaient les contes russes en RDA ? Etaient-ils en concurrence avec les contes allemands ? A-t-on instrumentalisé les contes allemands et russes différemment ?

Les contes russes ont bien sûr été diffusés en RDA, mais je ne parlerais pas de concurrence entre les deux. On trouvait plusieurs éditions de contes russes, mais aussi des contes ukrainiens, lettons, etc. Les adaptations cinématographiques des contes soviétiques étaient très appréciées. Sans les revoir, je ne peux pas dire dans quelle mesure elles étaient instrumentalisées. D’après mes souvenirs, elles montraient une image assez sentimentale d’un peuple simple constitué d’ouvriers. Mais grâce à leurs personnages et à leurs scènes comiques elles étaient meilleures que les adaptations cinématographiques des contes allemands. La sorcière de ces contes, Baba-Jaga, qui est jouée par un homme, est tout simplement géniale.

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