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Terreurs, angoisse, abandon, deuil… Comment expliquer la fascination pour les contes?

09 novembre 2013
Terreurs, angoisse, abandon, deuil… Comment expliquer la fascination pour les contes?

chateauLa littérature qui traite des contes a toujours fort intéressé les professionnels, chercheurs ou cliniciens, en psychologie. Les premières tentatives d’interprétation et d’analyse ont commencé très tôt et le document le plus connu sur ce sujet est sans nul doute le livre de Bruno Bettelheim paru en 1976 et intitulé « Psychanalyse des contes de fées ». Les études réalisées dans ce domaine ont toutefois été, pour la plupart, intimement liées à des courants théoriques précis et très peu de recherches empiriques ont été menées. L’angle de vue porté ainsi aux contes et à leur signification psychologique contemporaine peut dès lors être très variable en fonction de la théorie psychologique sous-jacente et de la grille de lecture adoptée. Cette absence de données empiriques et le fait que ce thème de recherche semble appartenir à un courant d’étude particulier peuvent en partie expliquer pourquoi, depuis la publication de Bettelheim, si peu de chercheurs se sont penchés de manière rigoureuse et approfondie sur la question. Dans le cadre de cette réflexion, nous tentons d’adopter une position non cadenassée par les écrits théoriques qui ont déjà parlé de la valeur psychologique des contes. En l’absence d’évidences empiriques, ou de confirmations théoriques clairement étayées, nous nous baserons plutôt sur nos observations provenant de notre pratique clinique pour alimenter notre propos.

Face à cette tâche très complexe de discuter de l’apport des contes et de leur signification psychologique en l’absence de toute donnée empirique scientifique, la définition du merveilleux résume bien pourquoi l’énigme autour des contes, de leur apport pour l’humain et de leur signification psychologique reste encore entière en début de 21e siècle : « le merveilleux n'est pas absurde ou insignifiant (...). Simplement, aucun déchiffrage, mythique ou structural, ne semble pouvoir le définir totalement. Le merveilleux reste une belle énigme, et c'est peut-être là son sens premier : donner à réfléchir, donner à rêver. » (A. Preiss, Dictionnaire des littératures de langue française, Bordas, Paris, 1984). Cette définition du merveilleux montre combien il peut s’avérer ardu de discuter d’un sens psychologique des contes. Ce sens peut-il être le même pour tous, quels que soient le genre, la culture, l’âge ? Concernant l’âge par exemple, il est évident que le sens du conte ainsi que l’approche qu’en fait l’enfant va fortement évoluer avec sa maturité affective, cognitive et sociale, certains éléments ou significations des contes échappant complètement aux enfants les plus jeunes. C’est cette compréhension croissante de la complexité qui va notamment justifier que l’attrait des contes perdure pendant plusieurs années chez l’enfant.

Blanche-Neige Zick Hansel-Gretl

Les contes n’ont rien d’attrayant de prime abord ; dans la plupart, les mères sont décédées, les enfants sont abandonnés, maltraités… Malgré leur côté triste, effrayant ou morbide, la plupart des enfants éprouvent un réel attrait à la lecture de ces contes classiques. Cette mise en contact leur permet d’expérimenter des émotions à partir de situations sans devoir les vivre eux-mêmes. Elle leur permet de développer leurs capacités imaginatives, de se projeter dans des mondes féériques pourtant non dépourvus de danger, de s’échapper dans des mondes fantastiques et imaginaires souvent bien loin de la réalité parfois monotone ou morne de leur vie quotidienne.

Les contes n’ont par comme seul attrait d’aider l’enfant à s’échapper de son quotidien. Ils leur permettent également d’accéder petit à petit au symbolisme qui se développera et se manifestera aussi à travers le jeu symbolique. De fait, à partir des contes, les enfants apprennent à créer un monde imaginaire dans lequel ils trouvent non seulement une forme d’échappatoire mais aussi par lequel, ils développent leurs fonctions symboliques nécessaires à leur développement affectif, cognitif et social. La plongée dans le monde symbolique à partir de récits fantastiques va ainsi également s’effectuer à partir du jeu symbolique dans lequel les enfants vont s’inventer des histoires, s’attribuer des rôles, des histoires souvent dramatiques, parfois inspirées des contes (enfants abandonnés, dont la mère est décédée, présence d’un prince charmant, etc.). Le jeu symbolique, qui peut être créé à partir des contes, possède des fonctions essentielles au développement harmonieux de l’enfant : sur le plan affectif, par l’expérience et la modulation des émotions ; sur le plan familial, notamment par une meilleure compréhension de son lien avec ses proches (parents, frères et sœurs, grands-parents, marraine, etc.) mais aussi dans son développement social, par rapport à sa place dans la société et dans les relations interpersonnelles (lien avec ses pairs, rôle joué avec ses pairs, sa position vis-à-vis des autres, rôle investi dans les jeux, etc.).

La parole, vecteur principal du conte, est également une fonction essentielle dans le jeu et de manière générale dans la vie sociale de l’enfant. C’est ainsi que les contes peuvent à l’instar du jeu être à l’origine du dialogue imaginaire que l’enfant va créer dans ses moments de loisir et de détente. Les contes activent l’imaginaire et renforcent les capacités de l’enfant à recréer la réalité, en la transformant, en la modulant. Ils constituent ainsi un moteur permettant de stimuler la créativité. Comme le jeu, la lecture des contes peut être un moyen d’expression privilégié de ses désirs, de son imaginaire. Les contes constituent ainsi un moyen pour supporter les frustrations imposées par la réalité, comme le fait de se séparer de ses parents au moment du coucher par exemple.

À côté des apports essentiels des contes aussi bien pour les aspects affectifs que sociaux,  il semble que ceux-ci contribuent également au développement des fonctions cognitives des enfants. En effet, ils participent, par les fonctions cognitives qu’ils mobilisent, au développement notamment des capacités attentionnelles (rester concentré sur une histoire, fixer son attention sur un récit et en suivre la trame), de la mémoire de travail ainsi que de la mémoire à long terme verbale, du langage, des facultés de compréhension d’un récit, des relations de causalité entre des faits, etc.


Face à ces constats plutôt positifs, la question se pose également de comprendre le statut spécifique des contes par rapport aux autres histoires pour enfants. À côté des nombreux récits dont sont friands les enfants, les contes occupent en effet une place particulière dans les diverses histoires infantiles par les caractéristiques qui leur sont propres et qui génèrent un processus d’identification puissant de la part des enfants.

Tout d’abord, les contes de fées ont pour caractéristique de poser des problèmes existentiels en termes des brefs et précis (Bettelheim, 1976). L’enfant peut ainsi affronter ces problèmes dans leur forme essentielle, alors qu’une intrigue plus élaborée lui compliquerait les choses. Le conte de fées simplifie toutes les situations (Bettelheim, 1976). Il offre ainsi à l’enfant une manière de simplifier des situations parfois douloureuses ou complexes, notamment par leur manque de clarté, vécues par l’enfant, telles que la séparation des parents, la perte d’un proche, la naissance d’un frère ou sœur, etc. Toutes ces situations de la vie réelle, teintées en général de nuances, sont extrêmement inconfortables pour l’enfant qui va éprouver des sentiments ambivalents et qui peut développer de la culpabilité par rapport à ses pensées ou ses émotions parfois contradictoires. Les contes permettent à l’enfant, de cette manière, d’exprimer tous ses désirs ou sentiments sous une forme détournée et donc sans éprouver de culpabilité par rapport aux pensées émises.

En outre, l’enfant, séduit par le héros s’identifie facilement à lui à travers toutes ses épreuves. Par cette identification, l’enfant imagine qu’il partage toutes les souffrances du héros au cours de ses tribulations et qu’il triomphe avec lui au moment où la vertu l’emporte sur le mal (Bettelheim, 1976). Les contes de fée traitent aussi des changements et des évolutions, transformations, qui peuvent survenir et qui font ainsi référence aux changements que l’enfant vit. Ces changements sont aussi bien internes (développement physique, maturité, etc.) qu’externes (composition familiale, scolaire, etc.). Développés dans les contes, ces changements contribuent à la différenciation du bien et du mal chez les enfants. Cette identification permet ainsi l’intégration de certaines valeurs morales véhiculées par les contes. Celles-ci étant culturellement déterminées et évoluant avec les mœurs de la société, les contes évoluent également (les versions Disney des contes sont ainsi pour la plupart bien plus édulcorées et caractérisées par des fins heureuses contrairement aux versions originales).

Cette identification est en outre facilitée par d’autres caractéristiques des contes. Notamment le fait que la plupart des héros de contes n'ont pas de nom propre mais des surnoms empruntés par exemple à des objets (Cendrillon, le Petit Chaperon Rouge...). L'histoire se déroule dans un passé indéterminé, ce qui permet de créer une distance entre ce qui se passe dans les contes et la vie réelle.  Le merveilleux réside en grande partie dans la présence de personnages surnaturels et d'objets magiques, ce qui correspond tout à fait au type de pensée magique caractéristique de l’enfant et de son espoir de résolution de type « magique » de certaines situations trop complexes pour lui ou qui lui semblent insolubles. Le conte se situe dans l'intemporel. Alors que la majorité des récits se situent dans un passé daté, le conte appartient à un passé indéterminé, et en général lointain. Les contes commencent en effet par des expressions telles que " Il était une fois... ", " Il y a bien longtemps... ", ou encore " En ce temps-là... ". Le conte se situe dans un monde sans cadres géographiques précis. Cette distance temporelle et géographique indéterminée favorise encore les processus d’identification et permet en outre d’atténuer les barrières culturelles notamment, certains contes pouvant prendre alors une dimension universelle dans leur signification.

Les aspects intemporels et indéterminés des contes permettent ainsi aux enfants la projection la plus grande possible dans ces histoires magiques.

rorchachEnfin, si les contes sont destinés aux enfants, ils ont toujours inspiré le monde adulte, notamment les professionnels du monde de l’art, de la littérature mais aussi les professionnels de la santé mentale qui  n’ont pas hésité à donner des noms de syndromes en s’inspirant des contes de fée. On parle ainsi du Snow White Syndrome (syndrome de Blanche Neige) au Rorschach. Ce mécanisme inconscient identifié au Rorschach par Exner est caractérisé par un recours fréquent à la stratégie qui consiste à se réfugier dans la passivité et l'imaginaire afin d'éviter les situations déplaisantes, les responsabilités et les prises de décisions (Michel & Mormont, 2002). Un autre syndrome est celui de Hansel et Gretel. Il est peu connu et utilisé et sa signification diffère selon les auteurs ; certains l’utilisent pour décrire le cas de relations sexuelles entre frères et sœurs (Waugaman, 2013, Kluger, 2011) tandis que d’autres ont ainsi nommé le fait de survivre à l’abandon des parents (Knoepflmacher, 2005). Enfin, plusieurs auteurs (Daly & Wilson, 1998, 2005 ; Tooley et al., 2006) ont également identifié le « Cinderella effect » qui décrit la différence de traitement mise en évidence entre les parents et enfants biologiques en comparaison des relations entre beaux-parents et beaux-enfants, ceux-ci étant plus à risque d’être victimes de maltraitances de la part de leurs belles-mères ou beaux-pères dans le cas de familles recomposées.

En conclusion, en dépit de l’importance que les contes peuvent avoir dans l’enfance et donc dans le développement de l’enfant, en dépit du questionnement qui se pose quant à la signification psychologique de la plupart de ces histoires imaginées, aucune recherche psychologique systématique n’a abordé en profondeur cette question, qui reste encore un champ d’étude à exploiter notamment de manière empirique. Ce champ d’étude est toutefois très vaste et s’avère difficilement abordable avec des méthodes d’investigation scientifique rigoureuses tant les variables à contrôler sont nombreuses. Des recherches approfondies dans des cadres rigoureux permettraient toutefois de lever une partie du voile ou de comprendre encore mieux certains processus psychologiques, dont les aspects développementaux aussi bien sur le plan cognitif qu’affectif et social chez les enfants. Des recherches de ce type pourraient procurer des éléments novateurs sur le développement psychologique de l’enfant.

 

Adelaïde Blavier
Novembre 2013

 

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Adélaïde Blavier enseigne les psychotraumatismes ainsi que la déontologie et l’éthique en faculté de psychologie. Elle est en outre la responsable académique du certificat en expertise psycho-légale. Ses principales recherches portent sur les facteurs de risque et de protection en matière de traumatismes psychologiques ainsi que sur l’évolution des principes éthiques liés à la pratique clinique.


 

Références

Bettelheim, B. (1976). Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont éd., Paris, rééd 1999.
Daly, M., & Wilson, M. (1998). The 'Cinderella effect' is no fairy tale. Trends in Cognitive Sciences, 9, 11, 507-508
Daly, M., & Wilson, M. (1998). The truth about Cinderella: A Darwinian view of parental love. London7 Yale.
Exner, J.E. (2003). The Rorschach: A comprehensive system: Vol. 1. Basics foundations and principles of interpretation (4th ed.). New York, NY: Wiley.
Exner, J.E. (2000). Manuel d’interprétation du Rorschach en système intégré. Paris : Frison-Roche.
Knoepflmacher, U.C. (2005). The Hansel and Gretel Syndrome: Survivorship Fantasies and Parental Desertion. Children’s literature, 33, 171-184.
Michel, A., & Mormont, C. (2002). Blanche-Neige était-elle transsexuelle ? L’Encéphale, 28(1), 59-64.
Tooley, G.A., Karakis, M., Stokes, M., & Ozanne-Smith, J. (2006). Generalising the Cinderella effect to unintentional childhood fatalities. Evolution and Human Behavior, 27, 224-230.
Waugaman, R.M. (2013). The Sibling Effect: What the Bonds Among Brothers and Sisters Reveal About Us, by Jeffrey Kluger. Psychiatry: Interpersonal and Biological Processes, 76 (2), 182-184.


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