Terreurs, angoisse, abandon, deuil… Comment expliquer la fascination pour les contes?

Face à ces constats plutôt positifs, la question se pose également de comprendre le statut spécifique des contes par rapport aux autres histoires pour enfants. À côté des nombreux récits dont sont friands les enfants, les contes occupent en effet une place particulière dans les diverses histoires infantiles par les caractéristiques qui leur sont propres et qui génèrent un processus d’identification puissant de la part des enfants.

Tout d’abord, les contes de fées ont pour caractéristique de poser des problèmes existentiels en termes des brefs et précis (Bettelheim, 1976). L’enfant peut ainsi affronter ces problèmes dans leur forme essentielle, alors qu’une intrigue plus élaborée lui compliquerait les choses. Le conte de fées simplifie toutes les situations (Bettelheim, 1976). Il offre ainsi à l’enfant une manière de simplifier des situations parfois douloureuses ou complexes, notamment par leur manque de clarté, vécues par l’enfant, telles que la séparation des parents, la perte d’un proche, la naissance d’un frère ou sœur, etc. Toutes ces situations de la vie réelle, teintées en général de nuances, sont extrêmement inconfortables pour l’enfant qui va éprouver des sentiments ambivalents et qui peut développer de la culpabilité par rapport à ses pensées ou ses émotions parfois contradictoires. Les contes permettent à l’enfant, de cette manière, d’exprimer tous ses désirs ou sentiments sous une forme détournée et donc sans éprouver de culpabilité par rapport aux pensées émises.

En outre, l’enfant, séduit par le héros s’identifie facilement à lui à travers toutes ses épreuves. Par cette identification, l’enfant imagine qu’il partage toutes les souffrances du héros au cours de ses tribulations et qu’il triomphe avec lui au moment où la vertu l’emporte sur le mal (Bettelheim, 1976). Les contes de fée traitent aussi des changements et des évolutions, transformations, qui peuvent survenir et qui font ainsi référence aux changements que l’enfant vit. Ces changements sont aussi bien internes (développement physique, maturité, etc.) qu’externes (composition familiale, scolaire, etc.). Développés dans les contes, ces changements contribuent à la différenciation du bien et du mal chez les enfants. Cette identification permet ainsi l’intégration de certaines valeurs morales véhiculées par les contes. Celles-ci étant culturellement déterminées et évoluant avec les mœurs de la société, les contes évoluent également (les versions Disney des contes sont ainsi pour la plupart bien plus édulcorées et caractérisées par des fins heureuses contrairement aux versions originales).

Cette identification est en outre facilitée par d’autres caractéristiques des contes. Notamment le fait que la plupart des héros de contes n'ont pas de nom propre mais des surnoms empruntés par exemple à des objets (Cendrillon, le Petit Chaperon Rouge...). L'histoire se déroule dans un passé indéterminé, ce qui permet de créer une distance entre ce qui se passe dans les contes et la vie réelle.  Le merveilleux réside en grande partie dans la présence de personnages surnaturels et d'objets magiques, ce qui correspond tout à fait au type de pensée magique caractéristique de l’enfant et de son espoir de résolution de type « magique » de certaines situations trop complexes pour lui ou qui lui semblent insolubles. Le conte se situe dans l'intemporel. Alors que la majorité des récits se situent dans un passé daté, le conte appartient à un passé indéterminé, et en général lointain. Les contes commencent en effet par des expressions telles que " Il était une fois... ", " Il y a bien longtemps... ", ou encore " En ce temps-là... ". Le conte se situe dans un monde sans cadres géographiques précis. Cette distance temporelle et géographique indéterminée favorise encore les processus d’identification et permet en outre d’atténuer les barrières culturelles notamment, certains contes pouvant prendre alors une dimension universelle dans leur signification.

Les aspects intemporels et indéterminés des contes permettent ainsi aux enfants la projection la plus grande possible dans ces histoires magiques.

rorchachEnfin, si les contes sont destinés aux enfants, ils ont toujours inspiré le monde adulte, notamment les professionnels du monde de l’art, de la littérature mais aussi les professionnels de la santé mentale qui  n’ont pas hésité à donner des noms de syndromes en s’inspirant des contes de fée. On parle ainsi du Snow White Syndrome (syndrome de Blanche Neige) au Rorschach. Ce mécanisme inconscient identifié au Rorschach par Exner est caractérisé par un recours fréquent à la stratégie qui consiste à se réfugier dans la passivité et l'imaginaire afin d'éviter les situations déplaisantes, les responsabilités et les prises de décisions (Michel & Mormont, 2002). Un autre syndrome est celui de Hansel et Gretel. Il est peu connu et utilisé et sa signification diffère selon les auteurs ; certains l’utilisent pour décrire le cas de relations sexuelles entre frères et sœurs (Waugaman, 2013, Kluger, 2011) tandis que d’autres ont ainsi nommé le fait de survivre à l’abandon des parents (Knoepflmacher, 2005). Enfin, plusieurs auteurs (Daly & Wilson, 1998, 2005 ; Tooley et al., 2006) ont également identifié le « Cinderella effect » qui décrit la différence de traitement mise en évidence entre les parents et enfants biologiques en comparaison des relations entre beaux-parents et beaux-enfants, ceux-ci étant plus à risque d’être victimes de maltraitances de la part de leurs belles-mères ou beaux-pères dans le cas de familles recomposées.

En conclusion, en dépit de l’importance que les contes peuvent avoir dans l’enfance et donc dans le développement de l’enfant, en dépit du questionnement qui se pose quant à la signification psychologique de la plupart de ces histoires imaginées, aucune recherche psychologique systématique n’a abordé en profondeur cette question, qui reste encore un champ d’étude à exploiter notamment de manière empirique. Ce champ d’étude est toutefois très vaste et s’avère difficilement abordable avec des méthodes d’investigation scientifique rigoureuses tant les variables à contrôler sont nombreuses. Des recherches approfondies dans des cadres rigoureux permettraient toutefois de lever une partie du voile ou de comprendre encore mieux certains processus psychologiques, dont les aspects développementaux aussi bien sur le plan cognitif qu’affectif et social chez les enfants. Des recherches de ce type pourraient procurer des éléments novateurs sur le développement psychologique de l’enfant.

 

Adelaïde Blavier
Novembre 2013

 

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Adélaïde Blavier enseigne les psychotraumatismes ainsi que la déontologie et l’éthique en faculté de psychologie. Elle est en outre la responsable académique du certificat en expertise psycho-légale. Ses principales recherches portent sur les facteurs de risque et de protection en matière de traumatismes psychologiques ainsi que sur l’évolution des principes éthiques liés à la pratique clinique.


 

Références

Bettelheim, B. (1976). Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont éd., Paris, rééd 1999.
Daly, M., & Wilson, M. (1998). The 'Cinderella effect' is no fairy tale. Trends in Cognitive Sciences, 9, 11, 507-508
Daly, M., & Wilson, M. (1998). The truth about Cinderella: A Darwinian view of parental love. London7 Yale.
Exner, J.E. (2003). The Rorschach: A comprehensive system: Vol. 1. Basics foundations and principles of interpretation (4th ed.). New York, NY: Wiley.
Exner, J.E. (2000). Manuel d’interprétation du Rorschach en système intégré. Paris : Frison-Roche.
Knoepflmacher, U.C. (2005). The Hansel and Gretel Syndrome: Survivorship Fantasies and Parental Desertion. Children’s literature, 33, 171-184.
Michel, A., & Mormont, C. (2002). Blanche-Neige était-elle transsexuelle ? L’Encéphale, 28(1), 59-64.
Tooley, G.A., Karakis, M., Stokes, M., & Ozanne-Smith, J. (2006). Generalising the Cinderella effect to unintentional childhood fatalities. Evolution and Human Behavior, 27, 224-230.
Waugaman, R.M. (2013). The Sibling Effect: What the Bonds Among Brothers and Sisters Reveal About Us, by Jeffrey Kluger. Psychiatry: Interpersonal and Biological Processes, 76 (2), 182-184.

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