Terreurs, angoisse, abandon, deuil… Comment expliquer la fascination pour les contes?
chateauLa littérature qui traite des contes a toujours fort intéressé les professionnels, chercheurs ou cliniciens, en psychologie. Les premières tentatives d’interprétation et d’analyse ont commencé très tôt et le document le plus connu sur ce sujet est sans nul doute le livre de Bruno Bettelheim paru en 1976 et intitulé « Psychanalyse des contes de fées ». Les études réalisées dans ce domaine ont toutefois été, pour la plupart, intimement liées à des courants théoriques précis et très peu de recherches empiriques ont été menées. L’angle de vue porté ainsi aux contes et à leur signification psychologique contemporaine peut dès lors être très variable en fonction de la théorie psychologique sous-jacente et de la grille de lecture adoptée. Cette absence de données empiriques et le fait que ce thème de recherche semble appartenir à un courant d’étude particulier peuvent en partie expliquer pourquoi, depuis la publication de Bettelheim, si peu de chercheurs se sont penchés de manière rigoureuse et approfondie sur la question. Dans le cadre de cette réflexion, nous tentons d’adopter une position non cadenassée par les écrits théoriques qui ont déjà parlé de la valeur psychologique des contes. En l’absence d’évidences empiriques, ou de confirmations théoriques clairement étayées, nous nous baserons plutôt sur nos observations provenant de notre pratique clinique pour alimenter notre propos.

Face à cette tâche très complexe de discuter de l’apport des contes et de leur signification psychologique en l’absence de toute donnée empirique scientifique, la définition du merveilleux résume bien pourquoi l’énigme autour des contes, de leur apport pour l’humain et de leur signification psychologique reste encore entière en début de 21e siècle : « le merveilleux n'est pas absurde ou insignifiant (...). Simplement, aucun déchiffrage, mythique ou structural, ne semble pouvoir le définir totalement. Le merveilleux reste une belle énigme, et c'est peut-être là son sens premier : donner à réfléchir, donner à rêver. » (A. Preiss, Dictionnaire des littératures de langue française, Bordas, Paris, 1984). Cette définition du merveilleux montre combien il peut s’avérer ardu de discuter d’un sens psychologique des contes. Ce sens peut-il être le même pour tous, quels que soient le genre, la culture, l’âge ? Concernant l’âge par exemple, il est évident que le sens du conte ainsi que l’approche qu’en fait l’enfant va fortement évoluer avec sa maturité affective, cognitive et sociale, certains éléments ou significations des contes échappant complètement aux enfants les plus jeunes. C’est cette compréhension croissante de la complexité qui va notamment justifier que l’attrait des contes perdure pendant plusieurs années chez l’enfant.

Blanche-Neige Zick Hansel-Gretl

Les contes n’ont rien d’attrayant de prime abord ; dans la plupart, les mères sont décédées, les enfants sont abandonnés, maltraités… Malgré leur côté triste, effrayant ou morbide, la plupart des enfants éprouvent un réel attrait à la lecture de ces contes classiques. Cette mise en contact leur permet d’expérimenter des émotions à partir de situations sans devoir les vivre eux-mêmes. Elle leur permet de développer leurs capacités imaginatives, de se projeter dans des mondes féériques pourtant non dépourvus de danger, de s’échapper dans des mondes fantastiques et imaginaires souvent bien loin de la réalité parfois monotone ou morne de leur vie quotidienne.

Les contes n’ont par comme seul attrait d’aider l’enfant à s’échapper de son quotidien. Ils leur permettent également d’accéder petit à petit au symbolisme qui se développera et se manifestera aussi à travers le jeu symbolique. De fait, à partir des contes, les enfants apprennent à créer un monde imaginaire dans lequel ils trouvent non seulement une forme d’échappatoire mais aussi par lequel, ils développent leurs fonctions symboliques nécessaires à leur développement affectif, cognitif et social. La plongée dans le monde symbolique à partir de récits fantastiques va ainsi également s’effectuer à partir du jeu symbolique dans lequel les enfants vont s’inventer des histoires, s’attribuer des rôles, des histoires souvent dramatiques, parfois inspirées des contes (enfants abandonnés, dont la mère est décédée, présence d’un prince charmant, etc.). Le jeu symbolique, qui peut être créé à partir des contes, possède des fonctions essentielles au développement harmonieux de l’enfant : sur le plan affectif, par l’expérience et la modulation des émotions ; sur le plan familial, notamment par une meilleure compréhension de son lien avec ses proches (parents, frères et sœurs, grands-parents, marraine, etc.) mais aussi dans son développement social, par rapport à sa place dans la société et dans les relations interpersonnelles (lien avec ses pairs, rôle joué avec ses pairs, sa position vis-à-vis des autres, rôle investi dans les jeux, etc.).

La parole, vecteur principal du conte, est également une fonction essentielle dans le jeu et de manière générale dans la vie sociale de l’enfant. C’est ainsi que les contes peuvent à l’instar du jeu être à l’origine du dialogue imaginaire que l’enfant va créer dans ses moments de loisir et de détente. Les contes activent l’imaginaire et renforcent les capacités de l’enfant à recréer la réalité, en la transformant, en la modulant. Ils constituent ainsi un moteur permettant de stimuler la créativité. Comme le jeu, la lecture des contes peut être un moyen d’expression privilégié de ses désirs, de son imaginaire. Les contes constituent ainsi un moyen pour supporter les frustrations imposées par la réalité, comme le fait de se séparer de ses parents au moment du coucher par exemple.

À côté des apports essentiels des contes aussi bien pour les aspects affectifs que sociaux,  il semble que ceux-ci contribuent également au développement des fonctions cognitives des enfants. En effet, ils participent, par les fonctions cognitives qu’ils mobilisent, au développement notamment des capacités attentionnelles (rester concentré sur une histoire, fixer son attention sur un récit et en suivre la trame), de la mémoire de travail ainsi que de la mémoire à long terme verbale, du langage, des facultés de compréhension d’un récit, des relations de causalité entre des faits, etc.


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