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Des femmes, des contes et des frères

05 novembre 2013
Des femmes, des contes et des frères

Sans vouloir définir le conte et les multiples sens, symboles et métaphores qu'il représente – d'autres l'ont très bien fait précédemment –, il faut souligner que les frères Grimm (fin 18e-19e) ont compilé et réécrit des contes traditionnels et des légendes issus de la tradition orale puis populaire, de diverses origines mais principalement originaires d'Allemagne. Or, ce qui pourrait sembler aujourd'hui suranné ou obsolète devant le modernisme des technologies actuelles (DVD, WII, DS, PSP, Pokémon, Mario, et autres jeux vidéos), est au contraire productions littéraires classiques mais également objet de moult livres pour enfants et adolescents, sources de nombreux scénarios et inspirations voire modèles de bon nombre de fictions où se croisent magies, mystères, nature, gnomes et elfes divers, forces du bien et du mal (Pokémon, Edward aux mains d'argent, Harry Potter, Le seigneur des anneaux, le Hobbit, etc...) et surtout, depuis quelques années, le merveilleux qui fait un retour en force, avec les fées et les princesses dans l'univers des petites filles et des plus grandes aussi.

Les contes ont une valeur et une fonction avant tout éducatives, pédagogiques, et morales (le bon est gagnant, le méchant est puni, le pauvre partage, le groupe familial est important...). Ils ne s'adressent pas uniquement aux enfants mais à toute la famille :  Le fils ingrat est puni parce qu'il néglige son père, Le vieux grand-père et son petit-fils parle du respect de la vieillesse, l'expression de l'amour filial clôture Blanche-Rose et Rose-Rouge qui accueillent leur vieille maman pour qu'elle vive avec ses enfants et petits-enfants ; une fois marié, le couple de jeunes princes du Poêle en fonte (le fourneau) ramène le vieux roi seul chez eux ; Le chasseur accompli alla chercher son père et sa mère qui sont venus vivre avec lui. Les contes s'adressent également à toute la communauté, il faut respecter les divers membres du groupe et partager les mêmes valeurs, dans Les deux compagnons en tournée, le méchant cordonnier est chassé de la ville, l'amour paternel incestueux doit être fui sous peine de chaos dans le royaume, la belle-mère des Six frères cygnes meurt sur le bûcher public, dans La lumière bleue, François est jugé au tribunal et amené à l'échafaud sur la place publique.

Le large public auquel s'adressent les contes explique sans doute une partie de la violence que l'on trouve dans ces récits comme dans Le merveilleux ménétrier (opposition entre le traitement cruel des animaux de la forêt, la hache du bûcheron et la musicalité du violon).

Vie rude, croyances et magie

Une deuxième partie tient à la nature et à la rudesse de la vie dans lesquelles vivaient les gens à l'époque : la famine touche Hansel et Gretel ;  la guerre a tout dévasté dans Demoiselle Mélinde, la princesse ; la puissance de la nature sauvage tue les jeunes princes qui se sont accrochés aux épines des haies défensives dans La Belle au Bois Dormant ; les croyances animistes règnent, il y a des esprits La lumière bleue, Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur, esprits des bois, de la terre et des eaux, dans La Jeune fille sans mains, La nixe ou la dame des eaux,  L'ondine de l'étang ; les animaux fantastiques parcourent ces contes : un griffon dans La fauvette-qui-saute-et-qui-danse, dans L'oiseau griffon, une licorne dans Le Vaillant petit Tailleur (Sept d'un coup), un dragon dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, dans Le diable et sa grand-mère, dans Les deux frères ; des lutins, des nains et des gnomes dans Les lutins, Les présents des Gnomes, Blanche-Neige, Blanche-Rose et Rose-Rouge, Du pêcheur et sa femme, La lumière bleue, Les sept corbeaux, L'eau de Vie, L'oie d'or, Les trois petits hommes de la forêt, Rumpelstiltskin, (le nain du Jeune géant et Le vaillant petit tailleur sont considérés comme nains juste pour leur petite taille mais ce sont de simples humains petits) ; des ogres dans Le tambour ; une ogresse L'enfant de la bonne vierge ; des fées dans La Belle au Bois Dormant, dans La gardeuse d'oies, dans Les six frères cygnes, dans L'ondine de l'étang, dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux, évoquées dans La lumière bleue ; la personnification de la Mort, La mort marraine ; le diable dans Le diable et sa grand-mère, Les trois cheveux d'or du diable, L'homme à la peau d'ours, La Jeune Fille sans mains, La mort marraine, Dame Trude, Le conte du frerotgenévrier ; le petit homme noir dans Le roi de la Montagne d'or ; les croyances dans les métamorphoses, les sorts et les sortilèges, le prince en ours de Blanche-Rose et Rose-Rouge ; Dénichet transformé en rosier, chapelle, étang et sa sœur en rose du rosier, couronne et cane ; le cheval blanc de Dénichet, le chevreuil de Frérot et sœurette ; les rossignols de Jorinde et Joringel ; la princesse en corbeau dans Le corbeau ; dans Le cercueil de verre, le frère transformé en cerf, le magicien en taureau et les gens en fumée bleue; la princesse en chatte dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; le prince et ses hommes en lions et une princesse en dragon dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante ; Jean-de-Fer en homme sauvage ; la jeune fille pure en petite cane blanche dans La noire et la blanche épousée ; les grenouilles du Poêle en fonte (le fourneau) en princes et princesses ; le prince en grenouille dans Le roi Grenouille ou Henri de Fer ; les sept frères en corbeaux dans Les sept corbeaux ; les six frères en cygnes dans Les six frères cygnes ; le jeune né coiffé en fourmi dans Les trois cheveux d'or du diable ; le prince Petit âne ; le cheval blanc en fils de roi, Fernand loyal et Fernand déloyal ; le fils aîné de la magicienne en aigle et le fils du milieu en baleine, dans La boule de cristal ; la grenouille en très belle jeune fille dans Les trois plumes ; le frère de la princesse en renard dans L'oiseau d'or ; la princesse en serpent dans Le roi de la Montagne d'or ; la princesse en "esprit" dans Le tambour ; l'époux en crapaud et l'épouse en grenouille dans L'ondine de l'étang ; les grenouilles en princes et en princesses Le poêle en fonte ; le frère en pierre Les enfants couleur d'or ; les deux frères aînés en pierre La reine des abeilles ; Le fidèle Jean en pierre ; le jeune roi en pierre dans Les deux frères ; la maison en château dans La gardienne d'oies près de la fontaine ; la maison bâtie en château dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; la croyance dans les sorcières comme Frérot et sœurette, Hansel et Gretel, Dame Trude, La lumière bleue, Le poêle en fonte (le fourneau), Les six frères cygnes, Raiponce, Dénichet, Jorinde et Jorigel, La gardeuse d'oies près de la fontaine, La noire et la blanche épousée,fee Le roi grenouille ou Henri de Fer, Les enfants couleur d'or, Le tambour ; et le sorcier dans La fauvette qui saute et qui chante, La boule de cristal ; la magie blanche de Dame Holle ou dans Les deux compagnons en tournée, versus la magie noire dans La Belle au Bois Dormant,  Blanche-Neige, Le poêle en fonte (le fourneau), Les six frères cygnes, Les trois petits hommes de la forêt ; la magicienne dans Jorinde et Joringel, dans La boule de cristal ; le magicien du Cercueil de verre, de La boule de cristal ; la magie de la reine dans Fernand Loyal et Fernand Déloyal, la magie de la belle-mère dans La Noire et La Blanche épousée, dans Blanche-Neige ; les interventions divines, (Dieu) Le banquet céleste, Dieu nourrit les malheureux, La pauvre vieille mère, Le fiancé voleur, Le pauvre et le riche, Raiponce, La mort marraine, La noire et la Blanche épousée, Le cercueil de verre, Le fuseau, la navette et l'aiguille, Le petit âne, Le poêle en fonte (le fourneau), Le temps de la vie, Le vaillant petit tailleur, Hansel et Gretel, Les deux compagnons en tournée, La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, La gardeuse d'oies près de la fontaine, La vraie foncée, Les lutins, Les trois cheveux d'or du diable, Le corbeau, Les trois rameaux verts (y compris un ange), L'homme à la peau d'ours, L'os chanteur, La demoiselle de Brakel (Saint-Anne, la Vierge et l'enfant Jésus) et L'enfant de la bonne Vierge (la Vierge). Tout ceci est bagage socioculturel commun. Riche d'informations et source inspiratrice de prédilection pour de nombreuses fictions actuelles. Les mythes, contes et légendes sont remaniés et exploités pour un public curieux, enchanté, passionné souvent ignorant de l'existence de ces sources.


Éduquer

Une autre partie encore de la violence des contes relève de la volonté d'éduquer les personnes par l'opposition punitions/récompenses, avec des châtiments particulièrement forts : la méchante belle-mère des Six frères cygnes fut attachée au bûcher et réduite en cendres ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la vieille fourbe et sa fille sont enfermées dans un tonneau avec des clous, qu'on fait rouler jusqu'au fleuve ; la vieille sorcière et sa fille dans La noire et la blanche épousée sont enfermées nues dans un tonneau garni de clous tiré par un attelage lancé au galop ; dans La gardeuse d'oies, la camériste qui s'est substituée à la princesse qu'elle a humiliée est mise nue dans un tonneau garni de clous pointus traîné dans la rue par des chevaux jusqu'à ce que mort s'ensuive ; des pigeons crèvent les yeux des sœurs de Cendrillon ; Dame Holle fait recouvrir la fille paresseuse de poix ; la méchante sorcière de Frérot et sœurette est jetée vivante dans le feu et sa fille déchiquetée par des bêtes 2-grimm-hansel-and-gretel-grangersauvages dans la forêt ; la sorcière de Hansel et Gretel meurt brûlée vive ; la sorcière dans Le tambour est jetée dans le feu où elle brûla entièrement ; dans Le conte du genévrier, la femme a la tête écrasée par une pierre de meule ; un crapaud s'accroche au visage du Fils ingrat ; les hérissons du Lièvre et le hérisson font mourir le lièvre d'épuisement ; le loup du Loup et les 7 Petits biquets et celui du Petit Chaperon rouge se noient l'un emporté par le poids des pierres cousues dans son ventre, l'autre ayant glissé du toit (variante, il meurt en s'écrasant par terre à cause des pierres cousues dans son ventre) ; se noie également la petite fille du Petit Pou et la petite puce ; dans La vraie fiancée, la méchante marâtre se tue en glissant et tombant en bas des escaliers, assomée par la trappe de la cave ; Les deux frères jettent la sorcière dans le feu où elle brûla entièrement ; (dans certaines versions du conte, à la fin) dans Demoiselle Méline la princesse, la fausse fiancée qui avait fait saisir Méline pour lui trancher la tête subit ce triste sort ; les corbeaux crèvent les yeux du méchant cordonnier des Deux compagnons en tournée ; dans Le chasseur accompli, le roi fait jeter en prison et écarteler le vieux capitaine vantard et menteur ; les méchants frères dans L'oiseau d'or sont exécutés ; dans Le roi de la Montagne d'or l'épée enchantée décapite tous les rois, princes et conseillers qui s'étaient mal conduits ; dans Les deux frères, le maréchal qui a trahi, tué et menti est condamné à être écartelé par quatre bœufs ; dans Le chasseur accompli, le capitaine qui a menti est jeté en prison puis écartelé ; dans Les présents des gnomes, le forgeron finit sa vie déformé par deux bosses et sans ses cheveux ; le méchant frère de L'os chanteur se noie dans le ruisseau où il a été jeté vivant enfermé dans un sac ; la petite fille désobéissante dans Dame Trude est changée en bûche et alimente le feu de la sorcière ; le passeur dans L'oiseau griffon laisse tomber le roi ambitieux et cupide au milieu de l'eau où il se noie. Et les deux sœurs de la douce cadette dans L'homme à la peau d'ours se suicident, l'une se noie, l'autre se pend.

Les châtiments sont très variés et les mises à mort diverses, cruelles et inventives, telles qu'on les retrouve dans des archives historiques.

Les violences sont dirigées vers n'importe quelle personne, méchant (punition, Les Six frères cygnes) comme gentil (épreuve, Cendrillon), innocent (Blanche-Neige) comme averti (Dame Trude), enfants (Hansel et Gretel) comme adultes (Le jeune géant), femmes (Le conte du genévrier) comme hommes (Les deux compagnons en tournée).

Les actes pour se débarrasser des héros sont violents : transformation animalière (Blanche-Rose et Rose-Rouge, Jorinde et Joringel, Le roi Grenouille ou Henri de Fer), transformation en pierre (Les deux frères, Le fidèle Jean), menace de mort (La Belle au Bois Dormant), substitution (La fauvette-qui-saute-et-qui-chante), enfermement (Le poêle en fonte, le fourneau), intrigues (Fernand Loyal et Fernand déloyal, Les deux compagnons en tournée), dévorer (Le Petit Chaperon rouge) multiplication d'épreuves dangereuses ou impossibles (Le vaillant petit Tailleur, Les trois feuilles du serpent, L'oiseau griffon), noyade (Les trois cheveux d'or du diable), privation de son amour (L'ondine de l'étang, Raiponce), éloignement, séparation (Le roi de la Montagne d'or), assassinat (L'os chanteur).

Les actes pour les éprouver également : humiliation et maltraitance (Cendrillon, Unoeil, Deuxyeux et Troisyeux, Dame Holle, Le pauvre meunier et la petite chatte, La gardeuse d'oies), privation de la parole (L'enfant de la bonne vierge, Les douze frères, Les six frères cygnes), privation de ses enfant (L'enfant de la bonne Vierge, Les trois petits hommes de la forêt), isolement (L'enfant de la bonne Vierge, Raiponce), privation violente de la vue (Raiponce, Les deux compagnons en tournée), pauvreté (Les trois rameaux verts), enfermement (Demoiselle Méline, la princesse), poursuite fatale (Dénichet), intrigues (Fernand loyal et Fernand déloyal), tentations (Frérot et soeurette, Hansel et Gretel, La mort marraine), abandon (Hansel et Gretel), séparation (Jorinde et Joringel, L'ondine de l'étang, Raiponce, La noire et la blanche épousée, Le roi de la Montagne d'or), harcèlement incestueux (Peau-de-mille-bêtes), éloignement (La gardeuse d'oie près de la fontaine), coups (L'envie de voyager), souffrance (Les deux compagnons en tournée, La jeune fille sans mains), déshumanisation physique (L'homme à la peau d'ours), affrontement des forces de la nature ou des maléfices (le géant, le mauvais, le dangereux, le sorcier, la sorcière, le diable, etc.) Jorinde et Joringel, La Belle au Bois Dormant, Le vaillant petit tailleur, La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, La gardeuse d'oie près de la fontaine, La jeune fille sans mains, La lumière bleue, La nixe ou la dame des eaux, Le cercueil de verre, Le conte du genévrier, Les trois petits hommes de la forêt, L'oiseau griffon).

Violence intrafamiliale

Les violences sont souvent exercées au sein même de la famille, la violence intrafamiliale traverse le temps. Les enfants sont particulièrement concernés, par leur fragilité, ils sont les plus menacés, martyrisés seuls ou en fratrie. Tout d'abord, la violence intrafamiliale parentale est omniprésente, elle provient autant des mères/belles-mères que des pères (les beaux-pères sont absents, du moins dans le sens de l'histoire et par rapport au héros ou à l'héroïne). Elle recourt à des modes de violences nombreux et variés, physiques et psychologiques. Pères et mères, hommes et femmes font preuve de la même cruauté : coups (Frérot et soeurette sont battus par leur belle-mère), maltraitance (sa belle-mère frappe et pince le petit garçon dans Le conte du genévrier ; dans Les trois petits hommes de la forêt la belle-mère fait preuve de cruauté vis-à-vis de sa belle-fille belle et aimable ; dans La vraie fiancée, la belle-mère fait preuve de cruauté envers sa jeune belle-fille ; dans La noire et la blanche épousée sa belle-mère et sa demi-soeur font du mal à la jeune fille belle et immaculée ; ses deux sœurs et sa mère infligent maltraitance et privations diverses à Deuxyeux dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux) négligence, privation de nourriture (Frérot et sœurette ne reçoivent que de vieilles croûtes de pain pour se nourrir ; Deuxyeux ne peut manger que les restes des autres dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux), humiliations et asservissement (par la belle-mère et les demi-soeurs de Cendrillon ; par la belle-mère de la jeune fille jolie et courageuse dans Dame Holle), injustice, discrimination (entre fille et belles-filles dans Cendrillon, entre fille et belle-fille dans Dame Holle, entre les deux fils aînés et le cadet dans L'oie d'or, entre deux filles (l'aînée et la cadette) et la troisième dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux), manipulation psychologique et fourberie (la mère de Marlène dans Le conte du genévrier fait croire à sa fille qu'elle est responsable de la mort de son demi-frère), enfermement (Demoiselle Méline, la princesse et sa femme de chambre), éloignement (dans Le roi de la Montagne d'or, le père envoie son fils seul dans une barque sur le fleuve) ; rejet (Le jeune géant est renié par ses parents), inceste (Peau-de-mille-bêtes), mutilation (le père de La jeune fille sans mains lui coupe les mains).


Les trois petits hommes de la forêt

TroisNainsCela va même jusqu'à l'extrême et l'irréversible : la belle-mère de Blanche-Neige la fait tuer par un chasseur avant de régler elle-même sa disparition en plusieurs essais (étouffement, empoisonnements) ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle-mère envoie sa belle-fille vêtue d'une robe en papier chercher des fraises dans la forêt enneigée et gelée en plein hiver espérant qu'elle en mourra, cela ayant échoué la jeune mère est tuée par sa belle-mère et sa fille qui la jettent par la fenêtre dans le fleuve ; dans Frérot et sœurette, la marâtre et sa fille veulent tuer Sœurette en l'enfermant dans une salle de bain surchauffée ; la femme du père de Hansel et Gretel manigance l'abandon des enfants dans la forêt ; le roi dans La gardeuse d'oies près de la fontaine chasse sa fille cadette dans une forêt sauvage avec un sac de sel attaché sur son dos ; dans Le conte du genévrier la belle-mère tue le petit garçon en lui coupant la tête ave le couvercle d'un coffre qu'elle rabat violemment ;  dans Les douze frères, le roi veut tuer ses douze fils pour favoriser l'héritage de sa fille cadette ; dans Les six frères cygnes, la belle-mère se débarrasse des enfants de son mari en les transformant en cygnes ; la vieille cuisinière de la famille veut cuire Dénichet ; dans L'eau de Vie, le roi veut faire fusiller son fils cadet ; dans La noire et la blanche épousée, en passant sur un pont sa belle-mère et sa fille poussent la belle jeune fille immaculée par la fenêtre du carrosse pour qu'elle tombe dans la rivière ; chaque année une jeune fille vierge est sacrifiée au dragon dans Les deux frères.

Le conte du genévrier

genevrierEt l'anthropophagie est courante, la belle-mère de Blanche-Neige croit manger les poumons et le foie de Blanche-Neige ; la vieille Suzon veut faire cuire Dénichet ; la sorcière de Hansel et Gretel mange les enfants qu'elle attire avec sa maison en pain d'épices et gâteaux ; dans Fernand Loyal et Fernand Déloyal, le cheval blanc explique que les géants de la mer mangent les imprudents ; dans Le conte du genévrier, la belle-mère cuit le fils et le sert en plat à son père qui le mange entièrement ; les meurtriers dans le Fiancé voleur mangent des jeunes filles ; dans Les six frères cygnes la reine mère accuse la jeune reine d'avoir dévoré ses bébés ; n'ayant rien d'autre à manger, le géant dans Le corbeau veut dévorer l'homme qui arrive. Les enfants peuvent même avoir moins d'intérêt affectif qu'un ami fidèle : dans Le fidèle Jean, le roi sacrifie ses enfants pour rendre vie humaine à son fidèle serviteur.

Marâtre et père indifférent

Les enfants sont d'autant plus exposés que nombre d'hommes, par lâcheté, par faiblesse, par crainte, par amour, ou pour préserver leur propre tranquillité familiale, laissent leur épouse maltraiter leurs enfants, et par le fait d'accepter, deviennent complices de la violence sur leurs enfants : le père de Cendrillon laisse sa seconde femme et ses filles humilier et asservir sa propre fille ; le père de Hansel et Gretel participe activement à l'abandon de ses enfants, organisé par sa femme, en forêt et construit même un leurre paternel ; dans Le roi de la Montagne d'or, le père abandonne son fils au fleuve vu la promesse faite au petit homme noir pour redevenir riche ; dans Les six frères cygnes, le père des sept enfants orphelins a éloigné ses enfants dans un château isolé en forêt par peur de mauvais traitements venant de sa deuxième femme. Quand ce n'est pas par lâcheté pour leur propre salut qu'il sacrifie leur enfant ainsi dans La jeune fille sans mains.

Aucun parent ne se prive ou ne se sacrifie jamais pour leurs enfants, au contraire.

Les mère/belle-mère maltraitent ou rejettent les enfants de leur conjoint pour éviter de partager la nourriture, les biens, le mari ou pour installer confortablement leurs propres filles au détriment des enfants légitimes du mari, Hansel et Gretel sont abandonnés pour ne pas partager les dernières vivres, Frérot et soeurette sont maltraités et appauvris par leur belle-mère qui donne tout à sa fille ; Cendrillon est appauvrie et asservie en faveur de ses demi-sœurs ; dans Le conte du genévrier, le petit garçon de son mari est maltraité puis tué par sa belle-mère parce qu'il est de trop dans la famille ; dans Les trois petits hommes de la forêt la belle-mère maltraite puis tue sa belle-fille pour donner la place de reine à sa fille ; dans La noire et la blanche épousée leur belle-mère finit par éliminer ses beaux-enfants en tuant l'une qu'elle remplace par sa propre fille comme épouse du roi et en faisant jeter l'autre dans une fosse aux serpents.

Maison familiale, lieu de tous les dangers

tourLes murs de la maison, au lieu d'être protecteurs, cachent l'horreur ou sont menaces et prison :  menaçants pour Blanche-Neige qui doit s'en éloigner pour survivre ; prison pour Cendrillon qui y est humiliée ; menace pour le cadet dans La boule de cristal qui doit fuir pour être sauvé ; prison pour Deuxyeux, dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux, qui y est maltraitée ; prison pour la belle jeune fille immaculée de La noire et la blanche épousée ; lieu de souffrance pour la belle jeune fille travailleuse dans Dame Holle ; prison pour Méline et sa femme de chambre emmurées ensemble dans Demoiselle Méline la princesse ; prison pour Raiponce qui y est enfermée seule ; danger pour Dénichet ; danger pour le cadet dans L'eau de vie ; danger funeste pour Les douze frères ; funestes pour Les sept corbeaux ; funestes pour Les six frères cygnes ; menace dangereuse pour Hansel et Gretel ; lieu d'enfermement pour La Belle au Bois Dormant ; funestes pour le petit garçon du Conte du genévrier ; lieu de perdition pour la fiancée du Fiancé voleur ; lieu de désamour pour Le jeune géant ; espace funeste pour Le Petit Chaperon rouge ; funestes pour le petit garçon dans Les trois cheveux d'or du diable ; dangereux pour la belle jeune fille Des trois petits hommes de la forêt ; dangereux pour Peau-de-mille-bêtes qui doit les fuir pour éviter son père incestueux ; humiliants pour le cadet dans L'oie d'or ; lieu de souffrance violente pour La jeune fille aux mains coupées.

Dénichet, Blanche-Neige, Les douze frères, Frérot et sœurette, Peau-de-mille-bêtes et La jeune fille sans mains fuient ces murs hostiles pour survivre. Les hommes et le mariage sont un autre type de fuite : la jeune Deuxyeux répond au prince qui lui demande ce qu'elle veut en remerciement de la branche aux feuilles d'argent et aux fruits d'or qu'elle lui a coupée, de l'emmener avec lui pour échapper enfin aux maltraitances et privations subies dans sa maison. Raiponce introduit dans sa prison le prince qui humanise son espace grâce à l'amour. Dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle jeune fille en train de rouir le fil dans le lac gelé accepte la proposition du roi de l'emmener avec lui pour ne plus se trouver en face de sa mère et de sa sœur qui la maltraitent. 


(Beaux-)frères et (demi-)sœurs

cendrillonDeuxièmement, la violence intrafamiliale est aussi fraternelle ou sororale : les demi-sœurs de Cendrillon l'humilient et la maltraitent ; dans La reine des abeilles, les deux fils aînés d'un roi se moquent de leur frère cadet appelé le petit nigaud ; dans L'oie d'or, les deux aînés se moquent du cadet surnommé Bêta ; même moquerie des deux aînés vis-à-vis du plus jeune surnommé Bêta dans Les trois plumes ; les deux sœurs aînées de la jeune fiancée de L'homme à la peau d'ours se moquent d'elle méchamment ; dans La noire et la blanche épousée sa demi-sœur et sa belle-mère font du mal à la jeune fille belle et immaculée ; les deux frères aînés volent et menacent de mort le plus jeune dans L'eau de vie ; dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux, l'aînée et la cadette tourmentent leur sœur parce qu'elle est "comme tout le monde". Les frères de L'homme à la peau d'ours refuse de l'héberger ou de l'aider à son retour de la guerre.

Voire même fratricide : dans Les trois petits hommes de la forêt, la jeune mère est tuée par sa demi-sœur et sa belle-mère qui la jettent par la fenêtre dans le fleuve ;  dans L'os chanteur le frère aîné tue son cadet ; dans Frérot et sœurette, sa demi-sœur et sa marâtre veulent étouffer Sœurette en l'enfermant dans la salle de bain surchauffée ; la demi-sœur et la belle-mère de la jeune fille belle et immaculée dans La noire et la blanche épousée la poussent par la fenêtre du carrosse en passant sur un pont de sorte qu'elle tombe dans la rivière.

Là où les enfants devraient être en sécurité et protégés, ils courent le plus grand danger, la solidarité familiale est faillible, l'envie, la jalousie et la cupidité ont raison de tous les liens familiaux, du sang comme par alliance. L'intérêt de l'individu prime sur celui du groupe et de la famille, les parents traitent les enfants comme des rivaux, les frères et sœurs également. Celui qui est beau, bon et qui respecte les codes est sans cesse exposé à l'envie des autres, moins travailleurs, moins gentils, moins engagés, moins investis dans une démarche désintéressée ; il devient faible donc exploitable ou éliminable parce que bonté et fragilité sont confondues, parce que travail et profit sont inversés, parce que avoir et être sont déplacés.

Respect des parents et du foyer

Et enfin, lorsque cette violence intrafamiliale est intergénérationnelle, elle s'applique dans le sens unique de parents à enfants et jamais dans l'autre sens. Quelles que soient les maltraitances subies par les enfants, ils ne se retournent pas contre leurs parents. Pas de parricide, pas de matricide, le respect vis-à-vis de l'autorité et de la parole parentale reste entier : La jeune fille sans mains tend elle-même ses poignets à son père qui va les lui couper ; Cendrillon obéit à sa marâtre qui la surcharge volontairement de travail au moment des fêtes royales ;  la belle jeune fille des Trois petits hommes de la forêt obéit à sa marâtre qui l'envoie peu couverte cueillir des fraises et rouir le fil dans la neige et le froid gelant de l'hiver.

Deux contes toutefois sembleraient inverser la donne concernant la filiation mais il s'agit d'enfants adultes vis-à-vis de leur parent âgé : Le vieux grand-père et son petit-fils dans lequel le fils du grand-père et sa femme exercent sur lui une violence sur personne âgée en le laissant à l'écart, en l'humiliant et le négligeant ; et Le fils ingrat dans lequel le fils cache la bonne nourriture pour ne pas la partager avec son père.

Pourtant c'est très souvent dans les murs familiaux – même si menaçants précédemment – que les enfants reviennent : Hansel et Gretel rentrent dans la maison de leur père ; Madelon et Dénichet rentrent chez eux ; Les sept corbeaux et leur sœur retournent à la maison; Jean le chanceux qui subit ses épreuves en chemin rentre chez sa mère après 7 ans de travail chez son patron ; le roi, la reine et leur fils de La jeune fille sans mains rentrent chez eux auprès de leur vieille mère ; le fils de L'envie de voyager rentre à la maison chez sa mère ; Cendrillon rentre chez  sa marâtre chacun des 3 soirs après le bal royal ; la jolie fille courageuse recueillie par Dame Holle qui la traite bien se languit de sa maison ; dans Le conte du genévrier, Marlène et son petit frère rentrent dans leur maison avec leur père ; dans Le fiancé voleur, la jeune fille, fiancée contre son gré par son père à un voleur, revient au moulin ; Le maître-voleur revient chez ses parents ; Jorinde et Joringel, désenchantés, rentrent chez eux ; une fois le charme vaincu, Les sept corbeaux et leur sœur rentrent à la maison ; dans Les trois plumes, le jeune Bêta qui a satisfait aux trois conditions de son père règne à la suite de son père qui l'a testé.

Dangers hors du foyer

L'espace privé peut être très dur, l'espace public est dangereux également, l'environnement, la nature et tout étranger représentent une menace, fait courir un risque, d'autant plus grand qu'il y a des animaux sauvages (un sanglier dévaste tout dans Le vaillant petit tailleur ; dans L'os chanteur un sanglier fait des ravages dans les champs, parmi les bêtes et les hommes ; dans Le vaillant petit tailleur, une licorne fait des ravages dans le royaume), affamés et féroces des géants, des êtres fantastiques, des esprits, des gnomes, et qu'on peut même rencontrer des sorciers et le diable, toujours déguisés ; pas de langue de vipère, de queue fourchue, de balai volant ou de trident qui préviendrait du danger, en général des vieilles femmes fatiguées, des vieux bonhommes grognons ou des "monsieur et madame tout le monde", dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, le père de la princesse qui voulait épouser le prince fiancé à la jeune fille qu'il aime et qui l'a sauvé est un sorcier ; dans Le cercueil de verre, le sorcier était un simple cavalier qui demanda l'asile pour la nuit, plus tard il se transforme en taureau puissant ; dans Les enfants couleur d'or, la sorcière est une vieille femme dans une petite maison ;  dans Hansel et Gretel, la sorcière est une vieille femme aimable dont la vue est mauvaise ; dans Dénichet la sorcière est une vieille cuisinière ; dans Frérot et sœurette la marâtre est la sorcière, qui se déguisera plus tard pour les besoins de ses méfaits en camériste ; dans Les six frères cygnes, la sorcière apparaît sous les traits d'une vieille femme à la tête dodelinante, qui aide le roi à sortir de la forêt où il s'est perdu ; dans Jorinde et Joringel, la magicienne qui vit dans le grand château se transforme en chatte, en chouette et ordinairement le soir en être humain ; dans Le diable et sa grand'mère, le diable se transforme en dragon ; la belle-mère dans La noire et la blanche épousée est une pauvre paysanne en réalité sorcière ; dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la vieille femme qui coupe de l'herbe est une fausse sorcière en réalité une fée ; dans Le cercueil de verre, le sorcier se transforme en taureau. Les enfants sont encore plus démunis que les adultes.

chr SmithLes enfants sont donc exposés à une double violence, une interne et une externe. La violence à l'extérieur semble la plus évidente, les espaces hors du cocon familial et des murs protecteurs sont considérés dans toute société comme espaces de risques et s'y montrer prudent fait partie de l'éducation des enfants, danger de l'éloignement, risque de se perdre, rencontre criminelle, attaque d'animaux, chute dans l'eau, froid, croisement de prédateurs divers, ... :  Le petit Chaperon rouge se perd dans la forêt et rencontre le loup ; un loup avale la panse de vache dans laquelle Tom Pouce avait atterri ; dans Le vieux sultan, un loup feint d'enlever le bébé des paysans qui travaillent à l'écart dans leur champ ; une intervenante maléfique s'impose dans La Belle au Bois Dormant ; Hansel et Gretel rencontrent une sorcière au cœur de la forêt ;  Blanche-Rose et Rose-Rouge sont insultées et menacées par le nain qu'elles secourent ; Demoiselle Méline, la princesse est menacée de mort par la laide mariée qui profite d'elle dans le château où elle a trouvé du travail ; Jorinde et Joringel se perdent dans la forêt près du château de la sorcière qui transforme les jeunes filles en oiseaux chanteurs ; Blanche-Neige se perd dans la forêt ; dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, la jeune femme se retrouve seule perdue dans la nature ; La gardeuse d 'oies est perdue dans une forêt sauvage ; dans La nixe ou la dame des eaux, un jeune garçon et sa sœur tombent dans une fontaine ; les deux aînés de La reine des abeilles se perdent dans le grand monde ; l'apprenti tailleur du Cercueil de verre se perd dans la grande forêt ; le loup cherche à entrer dans la maison des 7 petits biquets dans Le loup et les sept chevreaux ; la princesse du Poêle en fonte s'égare dans la forêt ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle jeune fille est envoyée faire diverses besognes dans le froid glacial de l'hiver peu couverte ; les deux amoureux de L'ondine de l'étang sont perdus au fond d'une forêt inconnue et séparés l'un de l'autre ; Raiponce et son amoureux sont séparés et perdus dans la forêt chacun de son côté.


Il y a gendérisation dans les expressions de la violence

sw1La violence serait sexuée masculin, et la gendérisation rapporte aux hommes le goût et le recours à la violence. La violence des contes de fées respecte-t-elle cette manière de sexuer les choses?

Dans le corpus utilisé, garçons et filles subissent des violences, sans différenciation sexuée, à tout âge, de toute condition sociale, dans tout type de famille. La diversité viendrait alors des auteurs, des types de violence et des moyens utilisés.

Toutefois, il apparaît clairement qu'il n'y a pas de sexuation particulière chez ceux qui exercent la violence, hommes et femmes en sont experts ; mais, il y a gendérisation dans les expressions de la violence et les moyens utilisés pour l'exercer. Y compris en ce qui concerne les châtiments.

Tout d'abord, ce sont des objets féminins du quotidien qui servent les maléfices utilisés contre Blanche-Neige, un corselet (qui l'étouffe), un peigne (empoisonné), et la pomme empoisonnée reprend le principe de séduction de Ève et Adam.

 

Corvées de femmes

blanche-neigeLes travaux domestiques et l'entretien du foyer sont domaine des femmes, ils deviennent aisément corvées selon le volume, le rythme, l'âge, le temps, le matériel, etc. : Gretel doit s'occuper de toutes les corvées du ménage dans la maison de la sorcière ; Cendrillon doit s'occuper de la maison et y faire les lourds travaux domestiques, nettoyage, lessive, feu, porter l'eau, tri des cendres ; Méline trouve un travail de petites mains et de souillon dans la cuisine du château où vit son bien-aimé ; Peau-de-mille-bêtes trouve un travail d'aide en cuisine et doit y faire les gros travaux, porter le bois et l'eau, entretenir le feu, plumer les volailles, éplucher les légumes, trier les cendres ; dans La lumière bleue, François met la fille du roi à son service et lui fait balayer le plancher et cirer ses bottes ; dans La nixe ou la dame des eaux, c'est la fillette qui doit porter l'eau. Les travaux de couture, le rouissage et le filage du lin et de la laine et l'utilisation du rouet sont travaux féminins, à nouveau, ils sont détournés pour devenir danger, besognes humiliantes ou fardeaux, dans La nixe ou la dame des eaux, la fillette doit filer de la filasse mauvaise et sale ; La Belle au Bois Dormant se pique à un rouet ; la sœur des Six cygnes doit confectionner six chemises en tiges de fleurs ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle-mère envoie la jeune fille rouir le fil bouilli en plein hiver dans l'eau glacée ; La vraie fiancée doit ébarber douze livres de plumes, vider l'étang et construire un château pour sa marâtre.

Ce ne sont pas des travaux d'hommes, un seul garçon reçoit l'ordre d'exécuter ces travaux (le jeune prince dans Jean-de-Fer trouve un boulot d'aide à la cuisine, pour porter le bois et l'eau et balayer les cendres). Les hommes eux sont écartés des choses humaines.  Les garçons perdent leur apparence d'hommes, ils sont transformés, emprisonnés dans un corps animal, changés en oiseaux pour Les six cygnes, pour Les sept corbeaux, en corbeaux pour Les douze frères, en oiseau splendide pour le petit garçon du Conte du genévrier, en batracien pour Le roi Grenouille ou Henri de Fer, en félins pour le prince lion et ses gens dans La fauvette qui saute et qui chante ; en équidés pour Le petit âne ; en cerf pour le frère aîné dans Le cercueil de verre, et en chevreuil pour Frérot dans Frérot et sœurette, en ours pour le prince de Blanche-Rose et Rose-Rouge. Ou encore ils sont enfermés dans un espace réduit qui rend toute fuite impossible, Hansel est dans une étable où il doit engraisser dans Hansel et Gretel, voire qui les immobilise tel le prince dans Le poêle en fonte (Le fourneau), ou Le fidèle Jean changé en pierre, le jeune roi chasseur dans Les deux frères.

Seuls deux garçons héritent d'une corvée : le grand frère dans La nixe ou la dame des eaux qui doit couper un arbre à la hache et François dans La lumière bleue qui doit bêcher le jardin de la sorcière et fendre ses bûches pour l'hiver, ces trois tâches sont qualifiées de masculines. Le jeune prince dans Jean de Fer  passe des travaux à la cuisine à ceux du jardin, planter, arroser le jardin, bêcher, creuser. Le tambour doit vider un étang avec un dé et trier les poissons, couper le bois de toute la forêt et en faire des bûches, et faire brûler tout cela en un grand feu.

Les châtiments des femmes sont plus horribles

La sexuation se porte également sur les types de punitions et de châtiments.

les6cygnesTout d'abord  la différenciation se trouve dans le nombre des individus concernés, il y a plus de femmes châtiées que d'hommes. Ensuite, les châtiments des femmes sont généralement mortels.  Enfin, ce sont les plus durs, les plus horribles, les plus douloureux et les plus lents qui sont appliqués aux femmes. Reconnues comme sorcières, elles sont éliminées par le feu – ce qui représente des souffrances atroces – qui a un rôle purificateur. Certaines d'entre elles sont exposées aux yeux du public qui profite de leur extermination : la belle-mère qui s'est débarrassée des enfants de son mari en les transformant en cygnes dans Les Six frères cygnes est brûlée sur le bûcher ; la belle-mère/sorcière de Frérot et sœurette est jetée vivante dans le feu. C'est prise à  son propre piège que meurt la sorcière de Hansel et Gretel, brûlée vive enfermée dans son propre four, subissant la fin violente qu'elle avait préparée pour la fillette Gretel.

Par contre, la petite fille difficile et désobéissante dans Dame Trude est changée en bûche et alimente le feu de la sorcière qui exécute en quelque sorte la punition des adultes excédés pour celle qui, quoique prévenue, et par désobéissance et provocation, est venue exciter les puissances redoutables dans leurs murs.

La fin de la demi-sœur de Frérot et sœurette est également mort lente et douloureuse, en forêt, la fin n'est pas immédiate, l'angoisse et la terreur la plus grande saisissent la personne exposée qui ne sait à quel moment elle sera touchée, d'autant que nombre d'animaux sauvages déchirent leurs proies sans les tuer net.

Tout autre est le châtiment  dans Les trois petits hommes de la forêt, de la vieille marâtre et de sa fille enfermées dans un tonneau avec des clous, qu'on fait rouler jusqu'au fleuve, pas de purification, juste la torture et la mort lente par noyade après immersion. Et la vieille sorcière et sa fille dans La noire et la blanche épousée sont enfermées nues dans un tonneau garni de clous tiré par un attelage lancé au galop, torture, humiliation (nudité) et membres brisés lentement par les cahots de la route, les rebondissements du tonneau, déchiquetés par la vitesse et l'éclatement final qui se termine par la mort.

Autre violence aiguë, dans Le conte du genévrier, l'oiseau/petit garçon lâche une pierre de meule sur sa belle-mère meurtrière qui en a la tête écrasée.

Tandis que les deux sœurs de la douce cadette dans L'homme à la peau d'ours se suicident, de dépit, de désespoir, de jalousie, de regret, l'une se noie, l'autre se pend, justice personnelle.

Chez les hommes, les choses sont moins complexes, moins construites, moins torturées. Le frère meurtrier dans L'os chanteur est jeté vivant dans l'eau après avoir été cousu dans un sac, ce qui, contrairement à la marâtre des Trois petits hommes de la forêt entraîne une noyade rapide. Dans L'oiseau griffon, le passeur laisse tomber le roi ambitieux et cupide au milieu de l'eau où il se noie, châtiment rapide et net.

filsChâtiment des vivants non sexué en lui-même mais sexué par le médium, la crevaison des yeux est torture, faute et honte, pour les femmes comme pour les hommes, mais d'un côté ce sont des pigeons qui crèvent les yeux des sœurs de Cendrillon, association d'un animal domestique, petit, roucoulant, sympathique, proche des êtres humains, et rattaché aux femmes par la blancheur de la colombe douce et ronde qui exprime la pureté et l'innocence. Ces animaux proches de Cendrillon qui l'ont aidée à surmonter les épreuves infligées par ses belle-mère et demi-sœurs deviennent ses justiciers. Tandis que ce sont les corbeaux qui crèvent les yeux du méchant cordonnier des Deux compagnons en tournée , image plus mâle, plus forte, plus rude, et animal traditionnellement associé aux forces obscures, à la mort et au gibet, parce que le corbeau est aussi un charognard.

Les châtiments qui suivent diminuent de violence, de souffrance, de conséquence et surtout n'empêchent en rien de vivre ; simplement, les horribles stigmates de la faute accompagneront les fautifs jusqu'à la mort, montrant ainsi à tous leur mauvaise responsabilité ; dans Dame Holle, la fille paresseuse est recouverte de poix ; un "crapaud" enlaidit le visage du Fils ingrat ; et dans Les présents des gnomes, le forgeron se retrouve avec deux bosses et sans cheveux. Tout ceci est bien doux par rapport aux bûchers et aux tonneaux imposés aux femmes.


La femme cuisine, tisse et nettoie

La Belle au Bois DormantLa gendérisation se retrouve dans les activités et travaux de la vie quotidienne Ainsi que dans les qualités attendues d'une "bonne" compagne et "épouse, déterminant ainsi un ideal typisch féminin qui a peu changé. Le travail est fortement sexué, les espaces publics et privés sont bien divisés et intégrés. Sans avoir eu en charge les travaux domestiques, Blanche-Neige s'occupe de la maison des sept nains avec adresse et grand plaisir, elle connaît les gestes, et répond positivement à la proposition des mains, elle nettoie, cuisine, fait les lits, lave, coud et tricote, à l'intérieur de la maison en échange de quoi elle peut rester avec eux (caricature de la représentation du mariage traditionnel). Blanche-Rose et Rose-Rouge soignent leur maison, s'occupent de la petite cueillette, ramassent du petit bois, entretiennent l'âtre, filent au rouet, pêchent du poisson. Cendrillon gère des durs travaux domestiques, porter l'eau, allumer le feu, cuisiner, lessiver, trier les cendres. Peau-de-mille-bêtes fait le dur travail en cuisine, porter l'eau et le bois, tisonner le feu, plumer les volailles, éplucher les légumes, trier les cendres. Dans Dame Holle, la belle jeune fille file du matin au soir, elle s'occupe de la maison, faire le lit, secouer l'édredon. Dans Frérot et sœurette, on rencontre une camériste et la nourrice.  Une camériste veut apprendre à frissonner au jeune homme qui ignore ce que c'est dans Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur. Dans Hansel et Gretel, c'est la fille qui va chercher l'eau du puits et allume le feu. Dans La Belle au Bois Dormant, une vieille file au rouet, une bonne plume une poule à la cuisine. La fiancée du petit lapin doit cuisiner du chou vert et le millet. Dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la vieille coupe et ramasse des herbes, la jeune garde les oies dans la bruyère et toutes deux filent au rouet. Dans La nixe ou la dame des eaux, la fillette doit filer et porter l'eau. Dans La sage Élise, la jeune mariée doit cuisiner, cueillir des maïs, préparer la soupe. Dans Le fuseau, la navette et l'aiguille, l'humble jeune fille file, tisse et coud. Le Jeune géant s'adresse à sa mère pour avoir un bon repas. Dans Les douze frères, la jeune sœur prépare les repas, ramasse le bois pour le feu dans la maison, cueille des plantes entretient la cabane, met des draps blancs sur les lits. Dans Les lutins, la servante balaye et travaille pour la maison. Dans Les petits nœuds, les deux jeunes filles filent, tissent, cousent. Les trois fileuses filent tout le lin. Dans Les trois petits hommes de la forêt, la jeune fille doit filer, rouir le fil, passer le balai près de la maison. Au temps de son insouciance, La jeune fille sans mains balaye la cour. Toutes ces activités se font principalement en interne, sauf les cueillettes et la garde des oies qui se font à proximité de la maison. La femme idéale doit rassembler les compétences requises dans ces domaines féminisés, elle doit savoir coudre, filer, tisser, cuisiner, gérer l'eau et le feu, balayer et nettoyer les sols.

Tout en travaillant activement et en évitant surtout d'être paresseuse.

La beauté des filles est un facteur social influent

À ces qualités s'ajoute un déterminant socialement important pour les filles : la beauté. C'est une caractéristique sexuée indispensable dans les contes, les princesses sont toujours belles et pour les non-princesses, c'est un atout de séduction et de fidélisation intéressant. Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, Blanche-Neige, Raiponce, Demoiselle Méline la princesse, Blanche-Rose et Rose-Rouge, Peau-de-mille-bêtes, Soeurette (Frérot et Sœurette), la princesse proposée par son père au Petit Âne, La gardeuse d'oies, la princesse du Roi grenouille ou Henri de Fer, la princesse de L'eau de vie, la princesse de La boule de cristal, la princesse dans L'oiseau d'or, la princesse dans Le chasseur accompli, la fille du meunier dans Rumpelstiltskin, la belle villageoise dans Les trois fileuses, La vraie fiancée sont tellement belles qu'elles attirent les regards et rendent les jeunes princes amoureux. Pour certaines, c'est le roi qui les emmène comme La jeune fille sans mains fille d'un meunier, la jeune villageoise pure dans La noire et la blanche épousée, la fille du bûcheron dans L'enfant de la bonne vierge, la jeune princesse petite soeur des Douze frères, la princesse petite soeur des Six frères cygnes, la belle villageoise dans Les trois petits hommes de la forêt ; ou encore un autre noble, Comte pour la princesse La gardeuse d'oies près de la fontaine, Seigneur pour la jeune Deuxyeux dans Unoeil, Deuxyeux et Troisyeux. Et cela a la même importance pour les jeunes sans titre de noblesse, quels qu'ils soient, ainsi Le vaillant petit tailleur  accepte les épreuves ordonnées par le roi pour la jolie princesse proposée en remerciement, la belle fille du meunier est proposée à un prétendu gentilhomme qui accepte dans Le fiancé voleur, l'un des frères tombe amoureux de la beauté remarquable d'une jeune  villageoise dans Les enfants couleur d'or, dans L'ondine de l'étang le fils du meunier aime une belle jeune villageoise.  

Burne-JonesBurne Jones, Sleeping Beauty

La beauté d'une fille peut faire perdre la tête, c'est la beauté de la princesse mourante qui fit prendre le risque fatal au jeune médecin de La mort marraine ; c'est la beauté de Blanche-Neige qui finit par rendre folle la reine sa belle-mère.

Soulignons cependant, d'une part que la beauté d'une jeune fille peut être indépendante de son amour, être une qualité féminine soulignée, mais ne pas avoir de fonction matrimoniale, comme la jeune servante de l'auberge, très jolie, pure de traits et gracieuse de corps, qui était tombée amoureuse de Fernand-Loyal dans Fernand Loyal et Fernand Déloyal, comme la belle fille du meunier et celle encore plus belle du porcher envoyées dans la forêt à la place de la princesse gratter Le poêle en fonte, comme pour Jorinde et Joringel, pour la princesse promise par son père à celui qui débarrasse le vieux château de ses sortilèges dans Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur, pour la cadette dans La fauvette qui saute et qui chante,  pour la cadette des princesses dans La reine des abeilles, pour la jeune fille dans Le cercueil de verre, pour la princesse du Poêle en fonte (Le fourneau), pour les filles du roi dans Le roi grenouille ou Henri de Fer, pour les princesses du roi qui maria sa fille au joli petit tailleur dans Les deux compagnons en tournée, pour les douze princesses dans Les souliers usés au bal, pour la princesse dans Les trois feuilles du serpent, pour les trois filles du pauvre père dans L'homme à la peau d'ours.

D'autre part, que ce critère joue un rôle facilitateur dans le regard que portent les jeunes filles sur un homme, une jeune servante a le coup de foudre pour Fernand-Loyal parce qu'il était fort joli garçon (Fernand Loyal et Fernand Déloyal), dans Le petit âne, la jeune mariée découvre qu'elle a épousé un beau jeune prince dont elle tombe amoureuse, la princesse obligée de tenir sa promesse découvre que le jeune prince emprisonné dans Le poêle en fonte est un beau jeune homme qui lui plait et dont elle tombe alors amoureuse, dans Les trois cheveux d'or du diable la princesse est heureuse d'épouser le jeune homme né coiffé parce qu'il était beau et charmant, Raiponce accepte de devenir la femme du prince qui s'est introduit dans la tour parce qu'il est jeune et beau, dans La fauvette qui saute et qui chante, la jeune fille découvre que le lion auquel elle a été promise est un très beau jeune prince ensorcelé qui lui plait et qu'elle épouse, dans Les enfants couleur d'or, la jeune fille découvre sous les peaux d'ours un très beau jeune homme qui lui plaît, comme la princesse voit que Le tambour est un beau jeune homme et qui a risqué sa vie pour la sauver, elle lui tend la main et dit qu'ils se marieront un jour. À noter que plusieurs des jeunes filles étaient déjà engagées vis-à-vis du jeune homme avant d'en découvrir la beauté (promise, fiancée, mariée), cela les a poussées à l'aimer. Dans L'homme à la peau d'ours, les sœurs de la cadette fiancée cherchent à attirer l'attention du visiteur parce qu'il est très beau. Et petite particularité, dans Les deux compagnons en tournée, le joli petit tailleur est donné en mariage à l'aînée des princesse qui était trop âgée pour recevoir des bonbons.

reineToutefois, cette beauté masculine est juste un élément qui satisfait la jeune épouse, ce n'est pas l'élément qui justifie l'intérêt et la proposition de mariage comme ça l'est pour les jeunes filles, la place de la beauté dans la démarche amoureuse est inversée. La beauté féminine est un facteur social particulièrement influant puisqu'il active la visibilité de la jeune fille, favorise l'intérêt de l'autre, provoque la rencontre et permet de trouver un époux, et ainsi d'assurer le futur d'autant plus si l'époux est riche et/ou noble.

Pour cette raison, la beauté déclenche envie, jalousie et violence. La beauté de Blanche-Neige rend folle sa belle-mère qui voit là une rivale à supprimer. La mère/belle-mère de la belle Cendrillon l'asservit et la transforme en souillon pour supprimer la concurrence avec ses filles; dans La noire et la blanche épousée la mère et sa fille maltraitent la belle-fille qui qui est très belle alors que la fille est devenue laide ; dans Dame Holle la mère qui favorise sa laide fille biologique est cruelle avec sa belle-fille parce qu'elle est très belle ; dans les Trois petits hommes de la forêt la belle-mère dont la fille biologique est repoussante déteste sa belle-fille qui est de plus en plus belle et est demandée en mariage par le roi. Et le père de Peau-de-mille bêtes veut en faire sa femme.


Le mariage en récompense

La beauté est un moyen direct pour que les filles atteignent le but principal considéré comme réussite de leur vie : le mariage. Toutefois les rêves de mariage sont peu exprimés dans ces contes.                       

Mais le mariage fait également partie des stratégies du pouvoir.

Die zertanzten Schuhe/Les souliers usés au bal

Die zertanzten SchuheAinsi, des pères utilisent leurs filles pour leurs intérêts et satisfaction personnelle : par des mariages arrangés, par des mariages forcés, en les privant de leur libre arbitre, de leur liberté, de leur choix, et de l'amour. Des jeunes filles sont promises en mariage contre leur gré, comme Demoiselle Méline, la princesse amoureuse et promise à un autre ; ou la jeune fille du Fiancé voleur qui est promise par son père au premier gentilhomme qui s'y intéresse. Des filles sont offertes en récompense à un homme qui sauverait la ville ou le royaume, comme Le Vaillant petit Tailleur (Sept d'un coup) qui recevrait la fille unique du roi en mariage avec la moitié du royaume en dot à condition de  libérer le royaume des géants, de la licorne, d'un sanglier (offre nominative) ; dans Les deux frères, le roi promet sa fille et l'héritage du royaume à celui (offre collective et impersonnelle) qui vaincra le dragon qui dévaste le pays et exige chaque année une jeune fille vierge ; dans Les souliers usés au bal, le roi qui protège ses douze filles magnifiques et les enferme chaque soir jusqu'au lendemain matin propose à celui (offre collective et impersonnelle) qui résoudra l'énigme de leurs chaussures usées de choisir une de ses filles pour l'épouser et devenir roi après sa mort ; dans L'os chanteur, le roi fait savoir que celui (offre collective et impersonnelle) qui libérera le royaume du sanglier qui le dévaste pourra épouser sa fille ; dans L'oiseau d'or, le roi dit au prince qu'il aura sa fille en récompense s'il déplace la montagne qui est devant ses fenêtres (offre nominative personnalisée). Dans le Petit Âne, le roi propose la main de sa fille au Petit âne noble et qu'il voudrait voir rester chez lui (cadeau nominatif personnalisé).

D'autres pères promettent leur fille à un homme courageux ou exceptionnel, dans Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur, le roi promet sa très belle fille en mariage à celui (offre collective et impersonnelle) qui passera trois nuits dans le château maudit. Dans La lumière bleue, le roi donne finalement sa fille en mariage au soldat François (cadeau nominatif personnalisé) qui lui accorda grâce alors que lui-même l'avait laissé tomber. Dans La mort marraine, le roi fait savoir que celui (annonce collective et impersonnelle) qui sauvera sa fille l'épousera et héritera de la couronne. Dans Les six compagnons qui viennent à bout de tout, un roi a fait publier l'avis selon lequel sa fille épousera celui (annonce collective et impersonnelle) qui gagnerait à la course contre elle. Dans Les trois feuilles du serpent, le roi fait annoncer (annonce collective et impersonnelle) qu'on cherche un époux pour sa fille mais le prétendant doit d'abord passer une épreuve. Dans L'oiseau griffon, le roi fait annoncer que celui (annonce collective et impersonnelle) qui apporterait à sa fille des pommes qui la guériraient se marierait avec elle et deviendrait roi. Dans L'oie d'or, le roi fait savoir qu'il donnera la main de sa fille à celui (annonce collective et impersonnelle) qui la fera rire. Dans L'homme à la peau d'Ours, le pauvre père propose à Peau d'Ours (cadeau nominatif personnalisé) une de ses trois filles en remerciement pour l'avoir sorti de la misère. Dans Jean-de-Fer, le prince qui a aidé à remporter la victoire au champ de bataille demande au roi qui lui demande comment le remercier de lui donner sa fille comme récompense. Le père de Peau-de-mille-bêtes veut garder sa fille pour sa satisfaction personnelle.

Et celle qui refuse ou s'oppose à son père le paye de l'emprisonnement, telle Demoiselle Méline la princesse. qui n'a pas voulu du mariage arrangé par son roi de père, alors qu'elle aime un autre jeune prince avec lequel elle allait se marier. Ou subir des humiliations telles devoir quitter le château et s'habiller en paysanne pour aller travailler chez un potier puis être au service cuisine pour les gens dans une cabane au fond de la forêt sans jamais rien gagner, la princesse dans Le chasseur accompli.

Les filles sont donc aussi objets de marchandage, biens d'échange, utilités politiques et économiques. Cette forme de violence qui traverse de nombreux siècles leur laisse peu de place. Deux jeunes filles ont protesté, non pour le fait d'être offertes à quelqu'un mais pour une question de classe ou d'origine sociales de l'élu : la princesse royale promise en récompense au Vaillant petit tailleur qui avait délivré le royaume d'hôtes indésirables (géants, licorne et sanglier) se plaignit à son père d'avoir épousé quelqu'un qui était issu d'une condition inférieure ; dans Les trois feuilles du serpent, la fille du roi exigea que le jeune valet qui devait l'épouser selon l'annonce publique faite par le roi passe une deuxième épreuve quand elle découvrit qu'il n'était pas de son rang. Contrairement aux volontés royales qui recherchent d'abord la force, la puissance, avant le titre, ces deux jeunes princesses jugent le titre plus important que la bravoure. Toutefois, un roi partage cette manière de réfléchir, dans Les six compagnons qui viennent à bout de tout, le roi et sa fille promise par une annonce publique étaient furieux que le vainqueur ne soit qu'un simple soldat, aussi le père "racheta" sa promesse  – ou la liberté de sa fille – avec tout l'or du royaume. Maintien des valeurs économiques des alliances où la circulation des richesses (dont les filles) doit se faire entre pairs.

L'objectivation des filles arrive au summum lorsqu'elles quittent définitivement le système exploit/récompense par le fait d'être tout simplement kidnappées pour être épousées, abus, tromperie, appropriation, ainsi dans Fernand Loyal et Fernand Déloyal, ou amour dans Le fidèle Jean. Et lorsque la jeune fille est utilisée et rabaissée pour assouvir une vengeance vis-à-vis du père, la fille est humiliée et souillée comme "réparation" à l'offense paternelle., ainsi agit le soldat héros dans La lumière bleue.

Une seule fois on trouve la référence à un mariage arrangé pour un jeune homme : le prince bien-aimé de Demoiselle Méline, la princesse, est promis par son père et marié à une jeune fille laide au cœur dur, l'éloignant ainsi de son propre choix amoureux qui l'avait fiancé à Méline.

Une seule fois, cela dans Les trois fileuses, c'est une reine qui propose son fils en mariage, à une personne précise, de plus il s'agit d'un fils princier aîné offert à une jeune fille sans titre de noblesse mais valorisée par des compétences féminines (filer le lin).

Amour familial et passion amoureuse

Les divers types de violence supra ne signifient pas que l'amour n'existe pas. Amour fraternel, solidarité familiale et amour conjugal sont bien présents.

hanselL'amour fraternel et/ou sororal est très fort. Blanche-Rose et Rose-Rouge sont inséparables ; dans Dieu nourrit les malheureux  la sœur pauvre aide sa méchante sœur ruinée abandonnée par tous ; un des frères sauve l'autre dans Les enfants couleur d'or ; dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux, Deuxyeux devenue princesse recueille ses deux sœurs (devenues mendiantes) qui l'avaient maltraitée. Les couples frère et sœur sont nombreux, inséparables et se sauvent par la force de ce lien, Dénichet et Madelon, Hansel et Gretel, Frérot et sœurette, le jeune garçon et sa petite sœur dans La nixe ou la dame des eaux, la belle jeune fille et son frère Régis dans La noire et la blanche épousée ; Marlène et son grand frère dans Le conte du genévrier. Les fratries se renforcent, Les six frères cygnes et leur petite sœur ; Les douze frères et leur jeune sœur ; Les sept corbeaux et leur petite sœur.

La solidarité familiale. Dans Blanche-Rose et Rose-Rouge, non seulement les deux sœurs sont inséparables, mais elles invitent leur mère devenue vieille à vivre avec elles et leurs enfants ; dans Frérot et sœurette, le roi, sœurette devenue reine, leur fils et Frérot vécurent ensemble jusqu'à leur mort ; Hansel et Gretel retournent chez eux et vivent avec leur père ; Jean le chanceux retourne vivre avec sa mère après avoir fini son boulot ; dans La fauvette qui saute et qui chante, le prince et sa jeune femme retrouvèrent leur fils et vécurent enfin ensemble ; dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la jeune princesse retrouve ses royaux parents qui l'avaient chassée et les embrasse ; dans La jeune fille sans mains, le roi, sa jeune femme et leur fils se retrouvent et reviennent vivre tous ensemble auprès de la vieille reine-mère ; dans La noire et la blanche épousée, le roi épouse la belle jeune fille qu'il aime et fait de Régis son beau-frère un homme très riche et très important ; dans La reine des abeilles, le jeune prince surnommé le petit nigaud épouse la cadette des princesses et ses deux frères qui l'humiliaient épousent les deux sœurs aînées ; dans Le cercueil de verre, le petit tailleur délivre et épouse la belle jeune fille qui délivre ses gens et son frère du sortilège envoyé par le diable ; dans Le conte du genévrier, Marlène, son grand frère retrouvé et leur père rentrent tous ensemble chez eux ; dans Le fidèle Jean, le roi, sa femme, leurs jumeaux et leur fidèle valet vécurent ensemble jusqu'à la fin de leur vie ; dans Le lièvre et le hérisson, les hérissons gagnent parce qu'ils s'entraident ; dans Le petit âne, après la main de sa fille, le roi offrit la moitié de son royaume et la succession au trône au jeune homme /petit âne qu'il appréciait ; dans Le poêle en fonte, le prince épouse la princesse et ils emmènent le vieux roi-père avec eux dans leur château ; dans Les douze frères, le roi, sa jeune princesse qu'il épouse et ses douze beaux-frères qu'elle a délivrés d'un enchantement vécurent tous ensemble ; Les sept corbeaux redevenus des hommes grâce à leur petite sœur vont, avec elle, retrouver leurs parents ; dans Les six frères cygnes, le roi, la reine, leurs trois enfants et les six frères de la reine qu'elle a délivrés de l'enchantement vécurent ensemble très longtemps ; dans L'homme à la peau d'ours, la jeune fille cadette accepte d'épouser Peau d'Ours qui a sorti son père de la misère ; dans Tom Pouce, les parents et Tom Pouce s'aident et vivent ensemble très heureux ; dans Unœil, Deuxyeux, Troisyeux, Deuxyeux recueille dans le château où elle vit heureuse avec son mari ses deux sœurs qui l'avaient maltraitées.    

mariage-cendrillonEnfin l'amour, la passion et le coup de foudre existent au sein des couples, le prince tombe amoureux de Blanche-Neige endormie dans son cercueil ; le prince tombe amoureux de Cendrillon qu'il découvre au bal royal ; le prince qui veut voir La Belle au Bois Dormant en tombe amoureux lorsqu'il la voit si belle endormie et lui donne un baiser ; Demoiselle Méline, la princesse aime son prince contre le choix de son père et traverse moult épreuves pour le retrouver ; Jorinde et Joringel sont amoureux ; dans La fauvette qui saute et qui chante, la belle jeune fille promise au lion et le beau prince/lion tombent amoureux ; le roi a le coup de foudre pour La jeune fille sans mains qu'il épouse alors et qu'il retrouve après l'avoir cherchée pendant sept ans ; le tailleur tombe amoureux de la jeune fille qu'il admire enfermée dans un cercueil de verre et qui l'embrasse d'un long baiser sur la bouche quand il la délivre ; dans Le fidèle Jean, le roi a  le coup de foudre pour la princesse peinte sur un tableau et la fait chercher et enlever tant son amour était violent ; dans Le fuseau, la navette et l'aiguille, le prince tombe amoureux de la jeune orpheline qui filait et lui donne un baiser avant de l'emmener avec lui ; Le petit âne/prince est tombé amoureux d'une princesse qu'il épouse et qui tombe amoureuse de lui lorsqu'elle voit la nuit des noces le bel homme qu'il est ; au moment où elle découvre le jeune prince qui l'aime enfermé dans Le poêle en fonte, la jeune princesse qui doit l'en délivrer en tombe amoureuse ; la princesse du Roi Grenouille et Henri de Fer aime le prince qu'elle délivre d'un sort ; dans L'eau de vie, la princesse et le jeune prince cadet du roi sont tombés amoureux l'un de l'autre ; dans L'enfant et la bonne vierge, le roi tombe profondément amoureux de la jeune fille mutique ; (après avoir croqué avec lui la Pomme de Vie) la princesse Des trois feuilles du serpent tombe amoureuse du jeune homme qui subit les épreuves ; L'homme a la peau d'ours  retrouve un an après la jeune fille cadette qu'il aime passionnément et qui l'a attendu ; le prince tombe amoureux de Raiponce ; le roi tombe amoureux de Peau-de-mille-bêtes ; les amoureux dans L'ondine de l'étang se retrouvent après une longue séparation et s'aiment toujours autant ; dans La noire et la blanche épousée, le roi tombe amoureux de la jeune fille qu'il voit sur un portrait ; dans Le conte du genévrier, le couple formé par le père et la mère du jeune garçon s'aime d'un grand amour ; dans Les enfants couleur d'or, un des frères a le coup de foudre pour la jeune fille qu'il rencontre et qui l'aime en retour ; dans Les six frères cygnes, le roi tombe profondément amoureux de la sœur cadette silencieuse des cygnes/princes.
L'amour  rivalise avec la violence et adoucit les nombreuses épreuves qui traversent les contes. Sans sexuation particulière, hommes et femmes éprouvent des sentiments amoureux, et les gestes plus intimes sont autant d'hommes que de femmes (un baiser, un baiser sur la bouche, serrer dans ses bras, ... Trois plumes, Le cercueil de verre, L'homme à la peau d'ours, ...).

Existe-t-il une sexuation des contes, une gendérisation effective?

blanche-neigeDivers éléments ressortent d'une sexuation active. Deux des trois objets donnés par la vieille à la jeune épouse pour sauver son époux dans L'ondine du lac sont à connotation féminine, un peigne pour lisser les longs cheveux, puis un rouet pour filer ; deux des trois objets déposés discrètement par Peau-de-mille-bêtes dans la soupe du roi sont connotés féminins, un petit rouet d'or et un dévidoir d'or ; les moyens utilisés par la belle-mère de Blanche-Neige pour la tuer sont des artifices féminins (corselet, peigne à cheveux). Blanche-Rose a une paire de ciseaux dans la poche, les deux sœurs filent près de la cheminée, leur mère fait de la couture et achète fils, aiguilles, dentelles et rubans. Cendrillon s'occupe du feu, fait la cuisine, la lessive et les travaux domestiques. Dans Dame Holle, la fille courageuse s'occupe de la maison, file du matin au soir et, une fois chez Dame Holle, aide, fait le lit et secoue l'édredon. Demoiselle Méline, la princesse et sa femme de chambre trouvent du travail en cuisine. La Belle au Bois Dormant se pique au fuseau d'une vieille qui file du lin et une bonne plume une poule. Dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la vieille et la jeune fille filent à leur rouet et la vieille fait le ménage. La petite sœur de La nixe ou la dame des eaux doit filer et porter l'eau. La jeune fille du Fuseau, la navette et l'aiguille file, tisse et coud. Les deux jeunes filles des Petits nœuds filent. La mère de Tom Pouce file au coin du feu. Les trois fileuses filent le lin pour la future princesse. La sœur des Six frères cygnes doit leur coudre des petites chemises en fleurs.

(Alors que les objets livrés au fils du marchand dans Le roi de la Montagne d'or sont à connotation masculine, une épée, une cape d'invisibilité, une paire de bottes, un baton, un manteau qui rend invisible, un cheval.)

Les femmes s'occupent de la cuisine chez les particuliers, et en famille, Le jeune géant, Le pauvre et le riche, Le maître-voleur, Les lutins, Cendrillon, Le diable et sa grand-mère (et même la pâtée du chien dans Le vieux Sultan). Mais le cuisinier des châteaux (le professionnel) est un homme : La Belle au Bois Dormant ; Demoiselle Méline, la princesse ; Blanche-Neige ; Les six compagnons qui viennent à bout de tout ; Les trois feuilles du serpent ; (seules les aides et les petites mains peuvent être des femmes, une bonne plume le poulet dans La Belle au Bois Dormant, la jeune princesse trouve une place d'aide-cuisinière dans Le poêle en fonte ; Demoiselle Méline la princesse et sa femme de chambre trouvent une place d'aides et de souillon à la cuisine du château ; Peau-de-mille-bêtes est envoyée comme aide à la cuisine pour balayer, trier les cendres, porter l'eau et le bois, entretenir le feu, éplucher les légumes et plumer la volaille).

tailleurDe même, les femmes filent et cousent en privé mais les tailleurs sont des hommes, Le vaillant petit tailleur, Les deux compagnons en tournée, Le cercueil de verre, Les présents des gnomes, Les six compagnons qui viennent à bout de tout (seule la jeune orpheline dans Le fuseau, la navette et l'aiguille file, tisse et coud pour gagner sa vie).

Les femmes intriguent, les filles se montrent efficaces

Nombre de femmes sont les instigatrices du drame, elles intriguent, harcèlent, dirigent, ordonnent, organisent leurs intérêts personnels (qui peuvent éventuellement passer par celui de leurs enfants) : la belle-mère de Blanche-Neige ordonne à un chasseur de tuer Blanche-Neige ; la mère de Hansel et Gretel pousse le père à abandonner ses enfants ; la vieille cuisinière envoie les 3 valets à la poursuite de Dénichet et Madelon ; la femme du pêcheur toujours plus ambitieuse le pousse à demander de plus en plus à la barbue dans Du pêcheur et sa femme ; dans Le conte du genévrier, la femme amène son mari à manger son fils sans le savoir ; dans Le pauvre et le riche, la femme du riche, intéressée, renvoie son mari à la poursuite du visiteur qu'ils avaient rejeté ; la belle-mère de Cendrillon pousse ses filles à mentir et tricher ; la laide fiancée au cœur dur utilise Demoiselle Méline la princesse pour séduire le prince le jour des noces; dans Dieu nourrit les malheureux, la sœur sans cœur refuse le pain à sa sœur et ses neveux affamés ; la marâtre poursuit Frérot et sœurette jusqu'à substituer sa fille à Sœurette ;  la marâtre arrive à ce que le roi épouse la mariée noire  dans La noire et la blanche épousée ; la grand-mère du diable le trompe pour aider des hommes dans Le diable et sa grand-mère.

Les filles sont débrouillardes souvent plus que les garçons pour trouver une solution : Demoiselle Méline la princesse,  Dénichet, Hansel et Gretel, Frérot et sœurette, La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, La nixe ou la dame des eaux, Le conte du genévrier, L'ondine de l'étang, Les douze frères, Les six frères cygnes, Les sept corbeaux ; Peau-de-mille-bêtes ; et elles prennent l'initiative, la jeune fille du Cercueil de verre explique comment la délivrer et embrasse le jeune tailleur qu'elle promet d'épouser ; la princesse du Corbeau, explique au jeune homme comment la délivrer et l'embrasse en disant qu'ils se marieront le lendemain ; la princesse de La boule de cristal explique ce qui lui est arrivé et comment l'en délivrer.

Dans les fratries mixtes d'enfants exposés ce sont souvent les filles qui libèrent les enfants du mal et des sortilèges : Gretel pousse et enferme la sorcière dans le four, Hansel et Gretel ; Madelon noie la méchante cuisinière dans l'eau de l'étang, Dénichet ; Marlène ramasse et enterre les os de son frère au pied du genévrier dans Le conte du genévrier ; la libération vient de sœurette qui n'a jamais laissé son frère transformé en chevreuil, Frérot et sœurette ; la jeune sœur des Six frères cygnes se tait pendant six ans et confectionne les six chemises demandées qui rendront forme humaine à ses frères ; la jeune sœur des douze frères accepte de se taire au risque de sa vie pendant sept ans ; leur petite sœur part seule chercher ses frères dans la montagne, Les sept corbeaux.

Les épreuves elles-mêmes sont sexuées. Aux garçons, la bravoure, la visibilité, l'extraordinaire, le sensationnel. Aux filles, l'abnégation, le silence, la discrétion, le quotidien. Les épreuves des hommes sont imposées généralement par d'autres hommes ; les épreuves des femmes relèvent généralement de sortilèges.

L'image des filles et des femmes est bien loin des préjugés de femmes soumises et dominées et de jeunes filles innocentes, naïves et pures. Les femmes des contes sont multiples, et très proches de la réalité, même actuelle. Fortes, fragiles, faibles, intéressées, calculatrices, stratégiques, généreuses, amoureuses, obéissantes, révoltées, innovantes, créatrices, pratiques, méchantes, jalouses, envieuses, sorcières, tendres, douces, maternelles, égoïstes, volontaires, etc. pourtant ce n'est pas l'image que le sens commun propage des filles et des femmes dans les contes les classant dans trois cases bien distinctes, celle des mauvaises, les sorcières, celles des gentilles belles innocentes, les princesses, et celle des aidantes indispensables à l'éclat final, les fées.

Pourquoi alors ce succès des contes?

Les contes allient évidences et mystère, magie et réalité, ombres et lumières, bien et mal, soumission et résistance, masculin et féminin. Avec une alternance imaginaire/quotidien. Et une opposition débrouillardise/lâcheté continuelle.

Des fées et du merveilleux

blanche-Neige et Rose-RougeLe surnaturel fait partie de la norme : l'ours de Blanche-Rose et Rose-Blanche s'exprime en paroles ; parlent également la plume, le petit poisson, le cheval blanc de Fernand Loyal (Fernand Loyal et Fernand Déloyal) ; le pain et le pommier appellent à l'aide dans Dame Holle ; dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante le soleil, la lune et les vents répondent à la fille cadette ; un oiseau prévient la jeune fiancée du Fiancé voleur ; Le fidèle Jean comprend le langage des corneilles ; le lièvre, le renard, le loup, l'ours et le lion des Deux frères parlent ; Le fuseau, la navette et l'aiguille travaillent tout seuls ; la petite chatte parle dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; le poisson d'or dans Les enfants couleur d'or parle et apporte richesses et or aux parents ; dans La gardienne d'oies, le cheval Falada parle, même une fois la tête tranchée ; le jeune soldat des Souliers usés du bal reçoit une cape qui le rend invisible ; dans Le roi de la Montagne, le fils du marchand prend la cape qui rend invisible ; le poisson d'or dans Les enfants couleur d'or devient enfants, lys et poulains dorés ; le lièvre recolle la tête coupée du jeune prince chasseur qui revit alors, et plus tard celle de son frère jumeau dans Les deux frères ;  dans Fernand Loyal et Fernand Déloyal, la reine coupe la tête de Fernand Loyal et la recolle sans problème ; dans Le roi de la Montagne d'or, la princesse recolle et ranime le jeune fils du marchand ; les chattes s'occupent de tout dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; les château, maisons et dépendances reprennent leur dimension naturelle après avoir été réduits dans Le cercueil de verre ; dans Le poêle en fonte, le prince et la princesse rentrent dans la petite maison qui se changea alors en un somptueux  château ; la maison et le jardin disparaissent lorsque, transformés en corbeaux, les frères s'envolèrent au dessus de la forêt, dans Les douze corbeaux ; dans La vraie fiancée, la vieille construit un château en quelques heures ; dans Le tambour, une selle transporte instantanément là où on le souhaite dès qu'on la chevauche ; dans La boule de cristal, un chapeau transporte où il le désire celui qui fait un vœu.

Ainsi que le merveilleux : robes d'or de Cendrillon ; des perles sortent de la bouche de la jeune fille belle et courageuse dans Dame Holle, des perles coulent des yeux la cadette chassée par son père dans La gardeuse d'oies près de la fontaine ; dans Les trois petits hommes de la forêt des pièces d'or sortent de la bouche de la jeune fille lorsqu'elle parle ; les robes or, argent et scintillante comme les étoiles de Peau-de-mille-bêtes et de La vraie fiancée  ; une bonne fée recueille la jeune fille chassée par son père chez La gardeuse d'oies près de la fontaine ; des fées entourent La Belle au Bois Dormant, une fée sauve Deuxyeux dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux ; une table garnie apparaît quand Deuxyeux le demande ; la table se dresse seule dans Le jeune géant ; de l'argent tombe du ciel pour la petite fille généreuse des Ducats tombés du ciel ; les larmes de Raiponce rendent la vue à son prince bien-aimé ; dans les Deux compagnons en tournée, le tailleur retrouve la vue en se frottant avec de la rosée tombée du gibet ; un arbre aux feuilles d'argent et aux fruits d'or pousse pour la jolie Deuxyeux du conte Unœil, Deuxyeux et Troisyeux ; dans L'oiseau d'or, le roi possède un arbre avec des pommes d'or, il y a un oiseau d'or et un cheval d'or ; la maison que la vieille offre à la princesse La gardienne d'oies près de la fontaine devient un château ; dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte, la maison bâtie par le garçon meunier à la demande de la princesse chatte devient un château ; dans Le pauvre et le riche, la vieille maison est transformée en neuve ;

Les humains sont aidés par des esprits, comme l'esprit vêtu de blanc de La jeune fille sans mains, ou le méchant esprit vaincu par le cadet dans  Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur.

Et par des fées, dans La Belle au Bois Dormant, dans La gardienne d'oies près de la fontaine, Les six frères cygnes, L'ondine de l'étang, Unœil, Deuxyeux, Troisyeux, évoquées dans La lumière bleue.

Et finalement, les acteurs se jettent dans les bras les uns des autres, ils se pardonnent, ils vivent heureux ensemble, les enfants avec les parents, les fiancés avec les fiancées, les maris avec leur femme, les soeurs avec les frères, ... Même si les happy-end ne semblent pas toujours évidents, La pauvre vieille mère, La sage Élise, Le maître-voleur, Les lutins, Les miettes sur la table, Maître Poinçon.

Espoir de bonheur et de justice

Les contes de Grimm continuent à être publiés et illustrés sous différentes formes pour les enfants et lus par les enfants ou par les parents aux enfants, dès leur plus jeune âge. Mais, mises à part la morale qui reste intemporelle ou la fin heureuse qu'on peut y trouver, ajoutés à la transmission littéraire, à la présence transgénérationnelle, aux animaux acteurs voire anthropomorphisés, qu'est-ce qui met les contes de Grimm sur le devant de la scène aujourd'hui?

vécurentheureuxEt ils vécurent heureux jusqu'à la fin de leur vie... ces mots clefs qui referment nombre de contes, sont le graal derrière lequel les êtres humains courent, vivre heureux ! mais comment ? Nombre d'ouvrages sur la quête du bonheur et le bien-être sont publiés chaque année, les contes, par leur morale et leur fin heureuse sont des espaces de distraction et d'espoir antidépresseurs qui embellissent la réalité de la vie humaine en proposant des instants de merveilleux et de magie. Et une représentation de la justice rassurante, simple et tranchée : les méchants sont réellement attrapés et punis pour leur méchanceté, loin des traitements complexes de la justice aujourd'hui. Et les bons finissent par être récompensés, seule issue possible. Une éducation à la vie en suivant les réserves, les précautions, les menaces, les narrations, les explications que nous livrent les contes. Mais également en observant et intégrant les rôles sexués qui y sont repris, gendérisation effective et efficace qui en fait bien plus que les lois ne pourront jamais le faire. Simplification apaisante de la vie quotidienne aujourd'hui si complexe. Les contes permettent de rendre préhensible le bonheur, pour l'atteindre, il suffit de passer les épreuves et de garder son cœur pur. L'obtention du bonheur dans ces vies si rapides et stressantes : "... la belle fille du roi se maria au comte, ils restèrent ensemble dans le palais, et ils vécurent dans la plus grande félicité aussi longtemps que Dieu voulut." La gardeuse d'oie près de la fontaine. Jolie fin, pleine de promesses, voire d'amour, ouverte sur le monde, suscitant l'envie de vivre la même chose. "Et depuis lors, ils ont vécu heureux ensemble jusqu'à la fin de leurs jours" La fauvtte-qui-saute-et-qui-chante.  "Ils s'embrassèrent et vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours" Demoiselle Méline, la Princesse. "Et ils vécurent heureux jusqu'à leur mort." La Belle au Bois Dormant. " Ainsi les deux jeunes époux régnèrent ensemble sur les deux royaumes et vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours." Le poêle en fonte (Le fourneau). "Et désormais rien ne manqua plus à leur bonheur tant que dura leur vie." L'oiseau d'or. "Ils vécurent donc heureux ensemble..." Le roi de la Montagne d'or. "Ensuite on célébra les noces et ils vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours." Peau-de-mille-bêtes. "Ils s'aimèrent et vécurent heureux jusqu'à un âge très avancé." Les trois feuilles du serpent. "...et il ramena sa bien-aimée dans son royaume, où ils furent accueillis avec des transports de joie et vécurent heureux désormais pendant de longues, longues années de bonheur." Raiponce. "...alors Joringel rentra avec sa Jorinde et ils vécurent longtemps heureux" Jorinde et Joringel ;"...ils vécurent riches et heureux pour le reste de leur vie". L'apprenti meunier et la petite chatte. "Et ils vécurent tous heureux ensemble jusqu'à la fin." Le fidèle Jean. "...et ils vécurent désormais tous ensemble heureux et unis jusqu'à la mort." Les douze frères. "Pendant de nombreuses années, le roi, la reine et ses six frères vécurent dans le bonheur et la paix." Les six frères cygnes. "...ils célébrèrent leurs noces et vécurent heureux et tranquilles, s'aimant de tout leur cœur." puis "Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassèrent, et s'ils furent heureux, qu'on ne le demande point." L'ondine de l'étang. "Mariée et heureuse, elle vécut de longues années de joie et de plaisir." Unœil, Deuxyeux et Troisyeux.


Le prince (pas si) charmant

frogPorte ouverte sur le rêve et assurance du bonheur. C'est la fin des contes racontés aux enfants. Mais aujourd'hui principalement c'est la fin des contes racontés aux petites filles, sélection première pour former les envies et les buts dans la vie : exploit et vaillance pour les petits garçons, mariage et bonheur dans le même packaging pour les petites filles. Imprégnation à leur insu de la fonction socioculturelle féminine que la société veulent leur faire intégrer. De telle sorte qu'elles le souhaitent, le désirent de tout leur cœur, grandissent avec cette envie de plus en plus présente et pressante qui devient une évidence personnelle et collective, souhait qui comblera leur cœur, fruit de leurs rêves voire nécessité, obligation ou obsession de toute leur vie. Pour être une femme heureuse et comblée, il faut se marier.

Et pour se marier, il faut que la jeune fille trouve un Prince Charmant. Hétérosexuation d'époque, devenue normative. Le conte est à la fois l'instigateur et le nourricier ; le conte sème le germe, propose le modèle et une fois cela accompli, il permet aux petites filles de trouver satisfaction à leur désir en se plongeant dans d'autres contes, les contes alimentent la soif du bonheur. Sans cesse. La boucle est bouclée, les petites filles bientôt plus grandes gardent l'espoir de rencontrer un jour ce Prince Charmant qui leur assurera le bonheur en leur donnant accès au rêve proposé dans ces contes. Jusqu'au moment où, bien plus âgées, ces contes seront manière de s'évader d'une réalité bien éloignée de ce bonheur parfait tant attendu.

Pourtant, ils ne sont pas nécessairement Charmants ces princes et autres amants. Non seulement beaucoup d'entre eux tombent amoureux de la beauté des jeunes filles et pas des jeunes filles – les moins belles et les laides (La gardeuse d'oie  près de la fontaine, le jeune comte pense que même avec trente de moins, une petite amie comme ça ne toucherait pas cœur) parce que hors normes sont délaissées – (sauf si, s'en référant à la morphopsychologie, cette beauté recherchée par les princes signifie que la jeune fille est d'un cœur pur, innocente et vierge ; mais que faire alors des jeunes filles telles les demi-sœurs de Cendrillon qui "sont  jolies et blanches de visage, mais laides et noires de cœur?"), mais encore l'un s'éprend de la beauté figée d'une morte Blanche-Neige ; un autre de la représentation d'une jeune fille sur un tableau (La noire et la blanche épousée) ; le prince chez Cendrillon ne voit pas que les jeunes filles se sont mutilées pour entrer dans la pantoufle d'or ; le roi fait kidnapper la jeune princesse qu'il aime, et par Fernand-Loyal (Fernand-Loyal et Fernand-Déloyal ) qui pleure et se lamente devant l'épreuve ; l'époux royal de Sœurette (Frérot et Sœurette) ne voit pas qu'on a échangé sa jeune épouse à peine accouchée ; dans La vraie fiancée, le prince ne reconnaît pas sa fiancée et va épouser une autre fille ; les princes dont le père est gravement malade se lamentaient (L'eau de vie) ; le père de son amoureuse ayant refusé sa demande en mariage, le prince qui aimait Méline accepte sans plus d'épouser la fiancée choisie par son père et ne reconnaît pas sa bien-aimée en face de lui (Demoiselle Méline la princesse) ; le roi ne voit pas qu'une femme autre que son épouse est couchée dans le lit royal (Frérot et sœurette) ; le prince ne réalise pas que c'est une autre que son épouse qu'il va épouser (La fauvette-qui-saute-et-qui-chante) ; François se sert de la fille du roi pour se venger de son père (La lumière bleue) ; aveuglé, le roi accepte d'épouser la méchante jeune fille à la place de celle qu'il aime (La noire et la blanche épousée) ;  Hans accepte d'épouser Élise "à condition qu'elle soit vraiment intelligente" (La sage Élise) ; le roi tombe amoureux d'une jeune fille sur un tableau et la fait kidnapper, et parce qu'il ne comprend pas l'attitude de son cher valet, il le met en prison et le condamne à la potence (Le fidèle Jean) ; le prince croyant morte la fiancée qui l'avait délivré va épouser une autre fille (Le poêle en fonte) ; le roi finit par croire les dires selon lesquels son épouse est une ogresse et la laisse condamner au bûcher (L'enfant de la bonne vierge) ; le roi prête foi aux diffamations de sa mère sur son épouse et la condamne à mort (Les douze frères) ; le roi écoutant les diffamations faites par sa mère sur sa belle épouse condamne son aimée au bûcher (Les six frères cygnes) ; le roi ne se rend pas compte qu'on a échangé son épouse dans le lit royal (Les trois petits hommes de la forêt) ; Le tambour oublie sa fiancée et va en épouser une autre.

Attitudes et comportements peu engageants, dont on ne peut se vanter, loin du courage, de la bravoure, de l'amour passionné qu'on pourrait attendre. Les princes charmants sont faillibles. Mais eux ne sont jamais responsables : les hommes trompent leurs femmes parce qu'ils sont trompés par des femmes, ce sont des victimes. Les femmes trompent les hommes parce qu'elles sont mauvaises. Les femmes font confiance à leur époux ou fiancé, les hommes font confiance à leur mère ! Les hommes règlent les conflits avec leur femme par le bûcher, les femmes par la patience et l'obstination. Qui est le sexe fort ? Ce qui n'empêche ni les amoureux, ni les fiancés, ni les mariages.

Mais l'important ne réside pas uniquement dans le fait de se marier, encore faut-il que le mariage soit grandiose, magnifique, et le plus visible possible, par le public le plus nombreux, rite incontournable pour une vie à deux, non indispensable dans nombre de sociétés actuelles, mais quand même... et le déplacement de ce rite dans les diverses étapes de la vie n'en diminue pas la valeur, même si le sens a parfois changé, le mariage des contes fait rêver, au point d'être une référence cérémonielle, de nombreux sites et organisateurs de mariages proposent les contes comme thème de mariage, qui peuvent être spécifiés. Blanche-Neige "leurs noces furent célébrées avec magnificence et splendeur" ;  La Belle au Bois Dormant "Le mariage du prince et de la Belle au Bois Dormant fut célébré avec un faste exceptionnel." ; La fauvette-qui-saute-et-qui-chante "...leurs noces furent célébrées en grande joie et magnificence." ; L'eau de vie "Les noces furent célébrées en grande pompe.." ; Les douze frères "Là furent célébrées les noces avec autant de pompe que de joie..." ; Les trois cheveux d'or du diable "...on fit des noces splendides..." ; Les trois petits hommes de la forêt "...on célébra la noce en grande pompe..." ; Le petit âne "on donna un magnifique banquet de noces".  

Tant de petites filles ont été bercées et élevées avec ces mots d'encouragement et de rêves. Tant de petites filles ont appris à rêver, à désirer, et à attendre le Prince Charmant que l'on trouve dans les contes. Tant de grandes filles ont eu un mariage de rêve, et un rêve brisé bien avant la fin de leur vie. La faute au Prince Charmant qui les a abandonnées après quelques années de vie à deux qui, parfois, n'étaient pas particulièrement heureuses. La faute au prince qui, peu à peu, a quitté ses atours de Charmant. Après tout, dans les contes on rencontre beaucoup d'hommes faibles, soupçonneux, influençables.

Ils vécurent heureux... et eurent beaucoup d'enfants

Ce happy-end des contes qui détermine l'ordre des choses, le choix et les rêves des petites filles pour le mariage et qui revient dans les discours notamment féministes comme la plus grande tromperie sur le bonheur ne provient pas des contes de Grimm. C'est une invention tardive dont la source reste floue. Dans les contes de Grimm, il y a peu d'enfants. Pas d'enfant dans Du pêcheur et sa femme, ni pour le cordonnier dans Les lutins I, ni pour la servante dans Les lutins II, ni pour le vieux meunier dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; Blanche-Neige est fille unique, comme Peau-de-mille-bêtes, comme la fillette dans Dame Trude, comme Demoiselle Méline la princesse, unique comme Fernand Loyal, comme Le tambour, unique comme Jean le chanceux, unique comme La jeune fille sans mains, uniques comme Jorinde et Joringel, comme La gardeuses d'oies, comme La Belle au Bois Dormant, comme La fiancée du petit lapin, comme La sage Élise, comme la jeune fille dans Le fiancé voleur, comme le prince dans Le fidèle Jean, comme la jeune orpheline dans Le fuseau, la navette et l'aiguille, comme Le Jeune géant, comme Le maître-voleur, comme Le petit âne, comme Le petit Chaperon rouge, comme la princesse dans Le poêle en fonte, comme le petit-fils dans Le vieux grand-père et son petit fils, comme L'enfant de la bonne vierge, comme le fils dans L'envie de voyager, comme la petite orpheline dans Les ducats tombés du ciel, comme l'enfant échangé dans Les lutins III, comme le fils dans Les trois cheveux d'or du diable, comme la fille unique du roi dans L'oiseau griffon, comme le fils du meunier dans L'ondine de l'étang, comme le fils du roi dans Jean de Fer, comme Raiponce, comme Tom Pouce, comme le jeune homme dans Le chasseur accompli, comme la fille du roi dans Le chasseur accompli.

Blanche-Rose et Rose-Rouge sont deux, comme les sœurs dans Dame Holle, comme Dénichet et Madelon, comme les sœurs dans Dieu nourrit les malheureux, comme Frérot et sœurette, comme Hansel et Gretel, comme les enfants dans La nixe ou la dame des eaux, comme La noire et la blanche épousée, comme les fils de La pauvre vieille mère, comme le jeune garçon et sa petite sœur Marlène dans Le conte du genévrier, comme les deux fils dans Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur, comme Les enfants couleur d'or, comme les demi-sœurs dans Les trois petits hommes de la forêt, comme les frères dans L'os chanteur, comme Les deux frères jumeaux, comme les enfants du marchand dans Le roi de la Montagne d'or

6fTrois chez Cendrillon et ses deux sœurs, comme les sœurs dans La fauvette-qui-saute-et-qui-danse ; comme les princesses dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, comme les sœurs princesses dans Le tambour, comme les fils de la magicienne dans La boule de cristal, comme les fils dans La reine des abeilles, comme les princes dans L'eau de vie, comme les princes dans Les trois plumes, comme les fils dans L'oie d'or, comme les fils du paysan dans L'oiseau griffon, comme les sœurs dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux , comme les fils du roi dans L'oiseau d'or.

Sept comme les frères et sœur dans Les six frères cygnes ; huit comme les frères et sœur dans Les sept corbeaux ; douze pour les princesses dans Les souliers usés au bal ; treize comme les enfants du père dans La mort marraine,  comme les frères et sœur dans Les douze frères ; et plusieurs princesses dans Le roi Grenouille et Henri de Fer, plusieurs frères dans L'homme à la peau d'ours.

Ceci concerne directement les acteurs des contes, on est bien loin des familles nombreuses comme modèles ou référents.

Et en ce qui concerne leurs enfants, ceux qui devraient être dans les mots "eurent beaucoup d'enfants", dans Le roi de la Montagne d'or, le fils du marchand et sa femme ont un fils ; Blanche-Rose et Rose-Rouge ont des enfants ; dans Dieu nourrit les malheureux, la sœur qui est veuve a cinq enfants ; Fernand Loyal a un fils ; dans Frérot et sœurette,  le roi et sa femme sœurette ont un fils ; la reine dans Rumpelstiltskin a un fils ; La jeune fille sans mains devenue reine et le roi ont un fils ; dans Le fidèle Jean, le roi et la reine ont des fils jumeaux ; dans L'enfant de la bonne Vierge, la reine et le roi ont trois enfants ; dans Les trois petits hommes de la forêt, le roi et la reine ont un fils ; Raiponce et son prince ont des jumeaux. Pas de "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" en fin du conte, et peu d'enfants en fin de ces compte.

Les princes et les villageois

Le bonheur, le mariage, le prince Charmant, éventuellement des enfants. Vision diachronique presque intemporelle d'une réussite féminine tellement actuelle. À laquelle on peut ajouter la sécurité financière assurée par le partenaire ou par la dot, notamment sous la forme de châteaux, possessions, titre de noblesse, héritage. Le prince royal apparaît comme le beau parti, le sens commun parle de bergère épousée par des princes, la seule bergère dans le corpus de Grimm est une riche jeune fille placée comme bergère à la recherche de son fiancé disparu, La vraie fiancée. Mobilité sociale, ascension sociale ? Les couples et mariages ci-dessous extraits des contes sont rassemblés par origine sociale : prince et princesse, villageois et villageoise, titre de noblesse et villageoise, titre de noblesse et villageois, prince et villageoise, princesse et villageois. Sur les 57 couples relevés dans ce corpus, il y a

- 14 couples prince/princesse : Blanche-Neige ; Demoiselle Méline la princesse ; La Belle au Bois Dormant ; La reine des abeilles ; Le petit âne ; Le poêle en fonte ; Le roi Grenouille et Henri de Fer ; L'eau de vie ; Les douze frères ; Les six frères cygnes ; Peau-de-mille-bêtes ; L'oiseau d'or ; Jean-de-Fer ; La gardeuse d'oies.

-  8 couples villageois/villageoise : Jorinde et Joringel ; La demoiselle de Brakel ; La sage Élise ; Le lièvre et le hérisson ; Les enfants couleur d'or ; Les petits noeuds ; L'homme à la peau d'ours ; L'ondine de l'étang.

- 10 couples prince/villageoise : Cendrillon ; Blanche-Rose et Rose-Rouge ; Frérot et sœurette ; La fauvette qui saute et qui chante ; Le fuseau, la navette et l'aiguille ; Les trois fileuses ; Les trois plumes ; Raiponce ; La vraie fiancée.

- 16 couples villageois/princesse : Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur ; La lumière bleue ; Le vaillant petit tailleur ; Les deux compagnons en tournée ; Les souliers usés au bal ; Les trois feuilles du serpent ; L'oie d'or ; L'oiseau griffon ; Les trois cheveux d'or du diable ; Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; Le chasseur accompli ; La boule de cristal ; Les deux frères ; Le corbeau ; Le tambour ; Le roi de la Montagne d'or.

 - 6 couples noble/villageoise : La jeune fille sans mains ; La noire et la blanche épousée ; L'enfant de la bonne vierge ; Les trois petits hommes de la forêt ; Unœil, Deuxyeux et Troisyeux ; Rumpelstiltskin.

-  3 couples villageois/noble : La gardeuse d'oies près de la fontaine ; Le cercueil de verre ; Fernand Loyal.

(Les nobles regroupent rois, reine, comte, seigneur).

Soit, sur  57 couples, 16 couples, 28%, de nobles tombent amoureux d'une roturière. Le rêve des petites filles peut se réaliser, elles ont des chances réelles de devenir princesse.

Les Petits Chaperons rouges sont oubliés, renvoyés dans les panoplies sexuelles ou fétichistes des adultes ; auprès des petites filles ils sont supplantés par les princesses et les fées. C'est le merveilleux qui a la cote chez les filles et leurs mères, parce que comme les contes, le merveilleux captive les femmes de tout âge, de toute condition, de toute formation. D'autant plus que c'est elles qui lisaient ou racontaient les histoires aux enfants, au coin du feu.

Une robe brodée d'or qui fait l'admiration de tous

Les Princesses font un retour en force dans l'éducation des petites filles des sociétés nord-occidentales, par le biais de leurs mères qui n'ont jamais autant participé à cette sexuation particulière. Achats d'éléments divers qui replongent les petites filles, futures femmes, dans les rêves "d'avant" et leur mère dans une enfance insouciante et pleine d'espoir qu'elles n'ont plus ou jamais eue. Illusion complète d'un bonheur associé à une condition avant tout socio-politique et économique (être princesse apporterait le bonheur individualisé que nos sociétés nous donnent le droit et souvent la possibilité de réclamer). Entretenu par l'adaptation des contes dans la réalité, Blanche-Neige, Cendrillon, Peau-de-mille-bêtes, Raiponce, c'est Albert et Élisabeth de Belgique, c'est Baudouin et Fabiola,  mais surtout Grâce Kelly et Rainier de Monaco, Kate Middleton et William d'Angleterre, Maxima et Willem-Alexander des Pays-Bas, Mette-Marit et Haakon de Norvège, Letizia Ortiz et Felipe d'Espagne, pour ne citer que ceux-là, et, dans l'autre sens, moins fréquent de toute évidence, Victoria de Suède et Daniel Westling, Madeleine de Suède et Christopher O'neill. Diadèmes, robes longues le plus souvent roses ou bleues, jupon et tulle, paillettes, ballerines, rubans, baguette étoilée, bijoux etc.... La variante fées ajoute des ailes légères et diaphanes en tulle. Certains de ces objets font partie de la panoplie des filles, bien plus âgées, puisqu'il n'est pas rare de voir des jeunes femmes parfois trentenaires puiser dans ces marqueurs, pour des fêtes, des soirées pyjamas, des enterrements de vie de jeune fille, voire même des sorties en boîtes.

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Fotolia 43067250 XS Iuliia Metkalova - Fotolia.comÀ tout moment et en toute saison, ces princesses remplissent le calendrier et fleurissent de la même manière les anniversaires que les fêtes les plus obscures, vêtements de princesse accessibles tout au long de l'année, loin du printemps des fées et des grands bals de fin de saison. Les petites filles se déguisent "en contes devenus de fées" pour rencontrer leur prince... Spiderman, pompier, pirate, Ninja ou Dark Vador. Les pages 48 et 49 du catalogue 2013 fin d'année de La Grande Récré, "Les plus belles fêtes!" sont très explicites : à gauche sont présentées les panoplies pour les garçons, dès 3ans les fusils, carabines, les aventuriers, cow-boys, pirates, chevaliers, Zoro, Ninja et, pour les plus grands (10 ans), policier et Batman. À droite, panoplies et robes pour les filles, dès 3 ans fée du Printemps, robe de fée, Disney Fairies, robe de princesse et bijoux, diadème et chaussures à talons, ailes et baguette magique, et, pour les plus grandes : robe blanche de mariée, robe et cape de princesse, robe rose fleurie de Caroline du Sud (guerre de Sécession), robe de princesse, robe Bollywood, robe espagnole et modèles princesse du monde.

Le décalage est énorme, les petites filles rêvent un prince. Très tôt s'établit l'éloignement et la difficulté de se comprendre, se creuse l'écart qu'il y a entre les sexes et leurs représentations de l'amour et du couple. Les princes et les héros des contes de Grimm ne sont pas dans les catalogues pour Noël. Ces pages opposent l'action masculine au paraître féminin, image éloignée des femmes actives des contes de Grimm, gentilles ou méchantes, qui bougent, qui agissent, les robes de mariée et les robes luxueuses et de soirée sont extraordinaires, non pour le quotidien. Et si Playmobil et Lego ont tous deux un rayon princesses pour les filles, qui propose pour cette année l'un le palais de cristal, l'autre le palais de Cendrillon, d'autres jouets sexués féminins rappellent constamment ces princesses, bijoux, rubans, boîtes à secrets, poupées diverses, fées, même Barbie a maintenant un château des fées et trois Petshop enchantés (deux fées et un dragon) attendent les petites filles dès 4 ans sur les listes de Saint-Nicolas.


Ainsi parmi tous les objets, le seul marqueur incontournable, d'une importance primordiale,  élément indispensable et irremplaçable pour les princesses, de Grimm et actuelles, c'est LA robe.

cendrillon2La robe montre la magnificence, met en valeur la beauté de la jeune fille, définit l'appartenance sociale, attire l'attention du jeune homme qui tombe alors amoureux, captive les regards du groupe qui assiste : Cendrillon se rend au bal avec une robe d'or et d'argent et des pantoufles de soie et d'or, suit une deuxième encore plus belle et une troisième robe somptueuse et très brillante accompagnée de pantoufles tout en or, toutes trois faisant se retourner les gens sur sa beauté ; dans Les souliers usés au bal, les filles portent des robes de bal superbes ; Peau-de-mille-bêtes porte une robe de soleil et le roi trouve qu'il n'a jamais vu de plus belle femme, puis une robe argentée comme la lune, et enfin une robe qui scintille comme les étoiles ; La vraie fiancée se rend au bal avec une robe aux soleils d'or et des pierres précieuses, puis une robe aux lunes d'argent avec une demi-lune de diamant dans les cheveux et enfin une robe brodée d'étoiles qui scintillait à chaque pas et un collier et une ceinture faits  d'étoiles de diamants.

La robe est l'indicateur de beauté, de statut social et la preuve de la justesse du souvenir : La gardienne d'oies près de la fontaine revêt la robe de soie qu'elle portait lorsqu'elle a été chassée par son père.

La robe devient le média qui permet de détourner le sortilège à son avantage : Demoiselle Méline la princesse doit porter la magnifique robe de mariée à la place de la jeune fille qui veut l'évincer dans le cœur de son prince, et tout le monde est frappé par sa beauté.

La robe participe du subterfuge, elle est le moyen le plus efficace pour mettre en place les conditions d'échanges amoureux les plus importantes : dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, la princesse porte une robe aussi brillante et aussi belle que le soleil et tout le monde est émerveillé sur son passage (pour avoir cette robe, la fiancée usurpatrice laisse la jeune fille passer une nuit avec son futur mari,  – qu'elle pense prudemment à endormir au préalable) ; dans Le poêle en fonte, la jeune fille porte une robe magnifique (que la fausse fiancée échange contre une nuit avec le prince fiancé, endormi), la deuxième robe encore plus belle (échangée également contre une nuit avec le prince endormi), et la troisième robe est en or pur (échangée également contre une nuit avec le fiancé) ; dans Le tambour, la jeune princesse porte une robe aussi brillante que le soleil (qu'elle laissera à la seconde fiancée contre une nuit à la porte de la chambre de son fiancé endormi par un somnifère), puis une robe aussi argentée que la lune (laissée également contre une nuit à la porte de la chambre du fiancé endormi par un somnifère)  et enfin une robe aussi scintillante que les étoiles (contre une nuit à la porte de la chambre du fiancé qui retrouve la mémoire).

La robe c'est la pureté et la protection contre le diable : La jeune fille sans mains met une robe blanche pour recevoir le diable qui vient la chercher.

La robe est à la fois le présent merveilleux que méritent la beauté de l'aimée et le rang social qu'elle intègre par son mariage royal à la fois l'objet de reconnaissance pour le roi fiancé : dans La noire et la blanche épousée, le cocher doit apporter à la future épouse une superbe robe brodée d'or, un cheval et un carrosse, et plus tard une autre robe magnifique.

La robe est le dédommagement pour la rupture d'un contrat : dans Le tambour, la deuxième fiancée reçoit les robes magnifiques (dorée, argentée, scintillante) en dédommagement de son mariage annulé.

La robe est l'objet révélateur des compétences féminines idéales qui permettent de se marier (ou pas) : dans Les petits noeuds, la servante travailleuse fait une étoffe puis une robe à partir des touffes de laine jetées par sa maîtresse montrant ainsi combien l'une est besogneuse, l'autre paresseuse.

D'autres robes ne relèvent pas du merveilleux, mais sont tout autant d'une utilité primordiale, voire salvatrice : dans Les trois cheveux d'or du diable, l'hôtesse cache le jeune homme transformé en fourmi dans les plis de sa robe pour entendre du diable les réponses aux énigmes (cachette) ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la jeune fille doit porter une robe de papier en plein hiver (appel à la pitié).

Ces dernières robes ne remplissent pas les rêves des jeunes filles. Tout au plus voit-on apparaître de temps en temps les guenilles de Cendrillon comme déguisement d'Halloween. Par contre, les premières robes citées qui font appel aux couleurs merveilleuses et inimitables des astres brillants, scintillants et inaccessibles sont la base de la panoplie "princesse".

robeprincesseLa robe merveilleuse, extraordinaire, fait partie de la réalité rêvée parce qu'elle peut relever de l'habileté, de l'art et des artifices des hommes. Non seulement pour les grands rites au rituel précis et particulier, bals, mariages, entrée dans le monde, mais également lors des fêtes, anniversaires, carnaval, soirées. La robe est élément féminin pour les femmes, les jeunes filles et déjà les fillettes. Toutes petites, les fillettes sont dirigées vers, tentées par, amenées aux robes de princesses (robes ordinaires pour le quotidien et la silhouette, robes extraordinaires pour la fête et la splendeur ; choix des couleurs, des textures, des tombés sont sujets de débats féminins depuis probablement le début de l'histoire des femmes), jusqu'au jour de leur mariage qui sera la réalisation, la consécration et l'aboutissement de leurs démarches, de leurs souhaits, attentes, devoirs, choix, obligations (selon le système familiosocioculturel auquel elles appartiennent). Les princesses sont présentes dans le quotidien de toutes les filles, magazines spécialisés (Point de vue images du monde), paparazzi traquant les couples mixtes (roturiers/nobles), sites et autres blogs parsemés d'illustrations diverses, princesses, papillons, robes éthérées, couleurs pastelles et scintillantes, oiseaux colorés et colombes, fleurs, soleils, nuages, étoiles, lunes, mariages à thème contes (parfois de fées) et robes de princesses, somptueuses, ou simplement issues des catalogues de jouets pour les fêtes de fin d'année principalement.

Dreamland, Oxybul (photo ci-contre), Collishop, Brooze, La grande Récré, Maxitoys par exemple proposent tous des robes de princesse, à dominante rose, parfois des pantoufles en faux verre (et non de vair) et des baguettes magiques et ailes de fées, princesses et fées étant de plus en plus communément associées.


Grimm revu par Walt Disney

Les princesses sont éloignées du monde actuel, loin de mai 68, loin des revendications, du travail, des sous à gagner, montrant les filles sous un angle éthéré, fragile, infantile, irréel et irrationnel, alors que les garçons sont dans la pratique, la violence, le concret. Le set princesse résoud les problèmes à la baguette des fées.  Mais ces princesses auxquelles petites filles et jeunes femmes veulent ressembler, sont toute innocence, infantilité, superficialité, alliant simultanément l'arc-en-ciel des Bisounours et le Prince Charmant des bonbons Prince. Leurs modèles sont Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant (Aurore), Belle, Jasmine, Raiponce, Arielle et même Tiana (l'ethnicisation de Pocahontas et Mulan les éloignent du type homogène des précédentes). C'est-à-dire non pas les princesses des contes de Grimm mais des héroïnes de Walt Disney, produits des représentations idéalisées des stéréotypes féminins américains. Bien loin des contes réels qui ont pu les inspirer. Bien loin des contes auxquels on fait référence pour parler de rêve et de prince Charmant. Bien loin des vrais contes de Grimm. Dont les princesses évoluent au milieu de la violence, de la cruauté, de la misère sociale et mentale, de la jalousie et des châtiments durs. Grimm revu par Walt Disney. Qui s'est installé en spécialiste des contes et des princesses. Nombre de livres sont réécrits et illustrés à partir des dessins de Disney et non avec les anciennes illustrations. Il y a des séries dédiées exclusivement aux princesses de Disney, des CD regroupant les chansons des films dont les chansons d'amour, Un jour mon Prince viendra, Les rêves d'amour, Mon amour je t'ai vu au milieu des rêves, etc., des forums princesses Disney, des tops 10 et 20 personnalisés des tenues des princesses Disney, des plus beaux couples Disney, etc. Et Disney, en association avec Alfredo Angelo a lancé la collection Disney Bridal qui propose des robes de mariées issues des contes de fées, ainsi la robe Cendrillon (scintillante), la robe Blanche-Neige, La Belle au Bois Dormant, Ariel (avec une coupe sirène), Jasmine, Belle, Tiana et Raiponce, chaque robe représente le caractère de la jeune héroïne du conte et le modèle s'inspire de son histoire et de ses vêtements dans le dessin animé.

sofiaPrincesse Sofia prend la relève et prépare les toutes petites filles à ces rêves, famille recomposée dans l'autre sens, c'est la maman de Sofia (marchande de chaussures) qui épouse le roi qui a deux enfants, par ce mariage, la petite fille garçon manqué au comportement pragmatique devient une princesse  ; elle doit changer de garde-robes, les robes de princesse deviennent ses vêtements habituels, elle suit ses cours à l'école des princes et des princesses, les cours sont donnés par les trois fées marraines de Aurore (école du courage, respect de soi, pardon, gentillesse, générosité), et elle reçoit régulièrement la visite de ses aînées, Cendrillon, Jasmine. Sofia prépare les princesses de demain, "ressembler à une princesse n'est pas si difficile, mais se comporter comme l’une d’entre elles doit venir du cœur".

Quatre princesses des contes et légendes des frères Grimm ont été mises en scène par les studios Disney, Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant (Aurore) et Raiponce. Ces quatre jeunes filles qui font rêver les petites filles ont toutes rencontré le Prince Charmant dans des conditions fort différentes. Mais toutes par hasard. Ce qui renforce encore le rêve et l'espoir des petites filles en chair et en os, "Un jour mon prince viendra" et "Les rêves d'amour" sont de Walt Disney, pas de Grimm. Mais les princes et les princesses se marient aussi dans leur classe sociale,  – il n'y a pas de bergère pour épouser un prince chez Grimm (il y en a une chez Perrault, Griselidis)–, la mobilité et l'élévation sociales ne se font pas de cette manière, les princes épousent autant les princesses que les roturières. Sous des aspects parfois très humbles ou très pauvres, certaines jeunes filles épousées (toujours captivantes par leur beauté) sont en réalité des princesses chassées (La gardienne d'oies près de la fontaine), asservies (Demoiselle Méline la princesse), tenues par un sortilège (Les six frères cygnes). Et les princesses épousent aussi des roturiers, plus souvent dans les contes que dans la réalité semble-t-il. Le courage, la ruse, la détermination définissent la virilité attendue et remplacent judicieusement le noble titre, alors que les jeunes filles ne se suffisent pas à elles-mêmes quelles que soient leurs qualités, elles sont avant tout princesses, riches et habitent dans un château. LA robe à elle seule ne suffit pas pour s'assurer le mariage de rêve et le bonheur qui va avec. Les jeunes filles des contes se battent avec la vie, en douceur ou en force, avec le sourire ou sans, patientes, bonnes, mauvaises, dynamiques, envieuses, généreuses, égoïstes, jalouses, serviables, intelligentes, simples, elles travaillent, elles bougent, elles souffrent, elles gagnent, ce sont des femmes fortes, courageuses, jusqu'au boutistes, jamais elles ne sont passives, jamais elles ne sont larmoyantes, jamais elles ne se laissent dominer par les hommes, au contraire, elles les secouent, les accompagnent, les poussent, leur tiennent tête, les aident, et arrivent avec eux à ce bonheur vers lequel nous tendons tous. Les contes sont actuels, plus que jamais.

La boucle est bouclée quant à la sexuation des contes tournée vers le sexe féminin quand la maman de Blanche-Rose et Rose-Rouge s'assied près de la cheminée avec ses filles, met ses lunettes et commence un conte tandis que ses petites filles l'écoutent en filant. L'histoire continue...

Chris Paulis
Novembre 2013

crayongris2Chris Paulis est docteur en anthropologie de la communication. Ses cours et ses recherches à l'Université de Liège concernent principalement communication et genre,  interculturalité et  sexualité.    


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