Des femmes, des contes et des frères

Il y a gendérisation dans les expressions de la violence

sw1La violence serait sexuée masculin, et la gendérisation rapporte aux hommes le goût et le recours à la violence. La violence des contes de fées respecte-t-elle cette manière de sexuer les choses?

Dans le corpus utilisé, garçons et filles subissent des violences, sans différenciation sexuée, à tout âge, de toute condition sociale, dans tout type de famille. La diversité viendrait alors des auteurs, des types de violence et des moyens utilisés.

Toutefois, il apparaît clairement qu'il n'y a pas de sexuation particulière chez ceux qui exercent la violence, hommes et femmes en sont experts ; mais, il y a gendérisation dans les expressions de la violence et les moyens utilisés pour l'exercer. Y compris en ce qui concerne les châtiments.

Tout d'abord, ce sont des objets féminins du quotidien qui servent les maléfices utilisés contre Blanche-Neige, un corselet (qui l'étouffe), un peigne (empoisonné), et la pomme empoisonnée reprend le principe de séduction de Ève et Adam.

 

Corvées de femmes

blanche-neigeLes travaux domestiques et l'entretien du foyer sont domaine des femmes, ils deviennent aisément corvées selon le volume, le rythme, l'âge, le temps, le matériel, etc. : Gretel doit s'occuper de toutes les corvées du ménage dans la maison de la sorcière ; Cendrillon doit s'occuper de la maison et y faire les lourds travaux domestiques, nettoyage, lessive, feu, porter l'eau, tri des cendres ; Méline trouve un travail de petites mains et de souillon dans la cuisine du château où vit son bien-aimé ; Peau-de-mille-bêtes trouve un travail d'aide en cuisine et doit y faire les gros travaux, porter le bois et l'eau, entretenir le feu, plumer les volailles, éplucher les légumes, trier les cendres ; dans La lumière bleue, François met la fille du roi à son service et lui fait balayer le plancher et cirer ses bottes ; dans La nixe ou la dame des eaux, c'est la fillette qui doit porter l'eau. Les travaux de couture, le rouissage et le filage du lin et de la laine et l'utilisation du rouet sont travaux féminins, à nouveau, ils sont détournés pour devenir danger, besognes humiliantes ou fardeaux, dans La nixe ou la dame des eaux, la fillette doit filer de la filasse mauvaise et sale ; La Belle au Bois Dormant se pique à un rouet ; la sœur des Six cygnes doit confectionner six chemises en tiges de fleurs ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle-mère envoie la jeune fille rouir le fil bouilli en plein hiver dans l'eau glacée ; La vraie fiancée doit ébarber douze livres de plumes, vider l'étang et construire un château pour sa marâtre.

Ce ne sont pas des travaux d'hommes, un seul garçon reçoit l'ordre d'exécuter ces travaux (le jeune prince dans Jean-de-Fer trouve un boulot d'aide à la cuisine, pour porter le bois et l'eau et balayer les cendres). Les hommes eux sont écartés des choses humaines.  Les garçons perdent leur apparence d'hommes, ils sont transformés, emprisonnés dans un corps animal, changés en oiseaux pour Les six cygnes, pour Les sept corbeaux, en corbeaux pour Les douze frères, en oiseau splendide pour le petit garçon du Conte du genévrier, en batracien pour Le roi Grenouille ou Henri de Fer, en félins pour le prince lion et ses gens dans La fauvette qui saute et qui chante ; en équidés pour Le petit âne ; en cerf pour le frère aîné dans Le cercueil de verre, et en chevreuil pour Frérot dans Frérot et sœurette, en ours pour le prince de Blanche-Rose et Rose-Rouge. Ou encore ils sont enfermés dans un espace réduit qui rend toute fuite impossible, Hansel est dans une étable où il doit engraisser dans Hansel et Gretel, voire qui les immobilise tel le prince dans Le poêle en fonte (Le fourneau), ou Le fidèle Jean changé en pierre, le jeune roi chasseur dans Les deux frères.

Seuls deux garçons héritent d'une corvée : le grand frère dans La nixe ou la dame des eaux qui doit couper un arbre à la hache et François dans La lumière bleue qui doit bêcher le jardin de la sorcière et fendre ses bûches pour l'hiver, ces trois tâches sont qualifiées de masculines. Le jeune prince dans Jean de Fer  passe des travaux à la cuisine à ceux du jardin, planter, arroser le jardin, bêcher, creuser. Le tambour doit vider un étang avec un dé et trier les poissons, couper le bois de toute la forêt et en faire des bûches, et faire brûler tout cela en un grand feu.

Les châtiments des femmes sont plus horribles

La sexuation se porte également sur les types de punitions et de châtiments.

les6cygnesTout d'abord  la différenciation se trouve dans le nombre des individus concernés, il y a plus de femmes châtiées que d'hommes. Ensuite, les châtiments des femmes sont généralement mortels.  Enfin, ce sont les plus durs, les plus horribles, les plus douloureux et les plus lents qui sont appliqués aux femmes. Reconnues comme sorcières, elles sont éliminées par le feu – ce qui représente des souffrances atroces – qui a un rôle purificateur. Certaines d'entre elles sont exposées aux yeux du public qui profite de leur extermination : la belle-mère qui s'est débarrassée des enfants de son mari en les transformant en cygnes dans Les Six frères cygnes est brûlée sur le bûcher ; la belle-mère/sorcière de Frérot et sœurette est jetée vivante dans le feu. C'est prise à  son propre piège que meurt la sorcière de Hansel et Gretel, brûlée vive enfermée dans son propre four, subissant la fin violente qu'elle avait préparée pour la fillette Gretel.

Par contre, la petite fille difficile et désobéissante dans Dame Trude est changée en bûche et alimente le feu de la sorcière qui exécute en quelque sorte la punition des adultes excédés pour celle qui, quoique prévenue, et par désobéissance et provocation, est venue exciter les puissances redoutables dans leurs murs.

La fin de la demi-sœur de Frérot et sœurette est également mort lente et douloureuse, en forêt, la fin n'est pas immédiate, l'angoisse et la terreur la plus grande saisissent la personne exposée qui ne sait à quel moment elle sera touchée, d'autant que nombre d'animaux sauvages déchirent leurs proies sans les tuer net.

Tout autre est le châtiment  dans Les trois petits hommes de la forêt, de la vieille marâtre et de sa fille enfermées dans un tonneau avec des clous, qu'on fait rouler jusqu'au fleuve, pas de purification, juste la torture et la mort lente par noyade après immersion. Et la vieille sorcière et sa fille dans La noire et la blanche épousée sont enfermées nues dans un tonneau garni de clous tiré par un attelage lancé au galop, torture, humiliation (nudité) et membres brisés lentement par les cahots de la route, les rebondissements du tonneau, déchiquetés par la vitesse et l'éclatement final qui se termine par la mort.

Autre violence aiguë, dans Le conte du genévrier, l'oiseau/petit garçon lâche une pierre de meule sur sa belle-mère meurtrière qui en a la tête écrasée.

Tandis que les deux sœurs de la douce cadette dans L'homme à la peau d'ours se suicident, de dépit, de désespoir, de jalousie, de regret, l'une se noie, l'autre se pend, justice personnelle.

Chez les hommes, les choses sont moins complexes, moins construites, moins torturées. Le frère meurtrier dans L'os chanteur est jeté vivant dans l'eau après avoir été cousu dans un sac, ce qui, contrairement à la marâtre des Trois petits hommes de la forêt entraîne une noyade rapide. Dans L'oiseau griffon, le passeur laisse tomber le roi ambitieux et cupide au milieu de l'eau où il se noie, châtiment rapide et net.

filsChâtiment des vivants non sexué en lui-même mais sexué par le médium, la crevaison des yeux est torture, faute et honte, pour les femmes comme pour les hommes, mais d'un côté ce sont des pigeons qui crèvent les yeux des sœurs de Cendrillon, association d'un animal domestique, petit, roucoulant, sympathique, proche des êtres humains, et rattaché aux femmes par la blancheur de la colombe douce et ronde qui exprime la pureté et l'innocence. Ces animaux proches de Cendrillon qui l'ont aidée à surmonter les épreuves infligées par ses belle-mère et demi-sœurs deviennent ses justiciers. Tandis que ce sont les corbeaux qui crèvent les yeux du méchant cordonnier des Deux compagnons en tournée , image plus mâle, plus forte, plus rude, et animal traditionnellement associé aux forces obscures, à la mort et au gibet, parce que le corbeau est aussi un charognard.

Les châtiments qui suivent diminuent de violence, de souffrance, de conséquence et surtout n'empêchent en rien de vivre ; simplement, les horribles stigmates de la faute accompagneront les fautifs jusqu'à la mort, montrant ainsi à tous leur mauvaise responsabilité ; dans Dame Holle, la fille paresseuse est recouverte de poix ; un "crapaud" enlaidit le visage du Fils ingrat ; et dans Les présents des gnomes, le forgeron se retrouve avec deux bosses et sans cheveux. Tout ceci est bien doux par rapport aux bûchers et aux tonneaux imposés aux femmes.


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