Des femmes, des contes et des frères

(Beaux-)frères et (demi-)sœurs

cendrillonDeuxièmement, la violence intrafamiliale est aussi fraternelle ou sororale : les demi-sœurs de Cendrillon l'humilient et la maltraitent ; dans La reine des abeilles, les deux fils aînés d'un roi se moquent de leur frère cadet appelé le petit nigaud ; dans L'oie d'or, les deux aînés se moquent du cadet surnommé Bêta ; même moquerie des deux aînés vis-à-vis du plus jeune surnommé Bêta dans Les trois plumes ; les deux sœurs aînées de la jeune fiancée de L'homme à la peau d'ours se moquent d'elle méchamment ; dans La noire et la blanche épousée sa demi-sœur et sa belle-mère font du mal à la jeune fille belle et immaculée ; les deux frères aînés volent et menacent de mort le plus jeune dans L'eau de vie ; dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux, l'aînée et la cadette tourmentent leur sœur parce qu'elle est "comme tout le monde". Les frères de L'homme à la peau d'ours refuse de l'héberger ou de l'aider à son retour de la guerre.

Voire même fratricide : dans Les trois petits hommes de la forêt, la jeune mère est tuée par sa demi-sœur et sa belle-mère qui la jettent par la fenêtre dans le fleuve ;  dans L'os chanteur le frère aîné tue son cadet ; dans Frérot et sœurette, sa demi-sœur et sa marâtre veulent étouffer Sœurette en l'enfermant dans la salle de bain surchauffée ; la demi-sœur et la belle-mère de la jeune fille belle et immaculée dans La noire et la blanche épousée la poussent par la fenêtre du carrosse en passant sur un pont de sorte qu'elle tombe dans la rivière.

Là où les enfants devraient être en sécurité et protégés, ils courent le plus grand danger, la solidarité familiale est faillible, l'envie, la jalousie et la cupidité ont raison de tous les liens familiaux, du sang comme par alliance. L'intérêt de l'individu prime sur celui du groupe et de la famille, les parents traitent les enfants comme des rivaux, les frères et sœurs également. Celui qui est beau, bon et qui respecte les codes est sans cesse exposé à l'envie des autres, moins travailleurs, moins gentils, moins engagés, moins investis dans une démarche désintéressée ; il devient faible donc exploitable ou éliminable parce que bonté et fragilité sont confondues, parce que travail et profit sont inversés, parce que avoir et être sont déplacés.

Respect des parents et du foyer

Et enfin, lorsque cette violence intrafamiliale est intergénérationnelle, elle s'applique dans le sens unique de parents à enfants et jamais dans l'autre sens. Quelles que soient les maltraitances subies par les enfants, ils ne se retournent pas contre leurs parents. Pas de parricide, pas de matricide, le respect vis-à-vis de l'autorité et de la parole parentale reste entier : La jeune fille sans mains tend elle-même ses poignets à son père qui va les lui couper ; Cendrillon obéit à sa marâtre qui la surcharge volontairement de travail au moment des fêtes royales ;  la belle jeune fille des Trois petits hommes de la forêt obéit à sa marâtre qui l'envoie peu couverte cueillir des fraises et rouir le fil dans la neige et le froid gelant de l'hiver.

Deux contes toutefois sembleraient inverser la donne concernant la filiation mais il s'agit d'enfants adultes vis-à-vis de leur parent âgé : Le vieux grand-père et son petit-fils dans lequel le fils du grand-père et sa femme exercent sur lui une violence sur personne âgée en le laissant à l'écart, en l'humiliant et le négligeant ; et Le fils ingrat dans lequel le fils cache la bonne nourriture pour ne pas la partager avec son père.

Pourtant c'est très souvent dans les murs familiaux – même si menaçants précédemment – que les enfants reviennent : Hansel et Gretel rentrent dans la maison de leur père ; Madelon et Dénichet rentrent chez eux ; Les sept corbeaux et leur sœur retournent à la maison; Jean le chanceux qui subit ses épreuves en chemin rentre chez sa mère après 7 ans de travail chez son patron ; le roi, la reine et leur fils de La jeune fille sans mains rentrent chez eux auprès de leur vieille mère ; le fils de L'envie de voyager rentre à la maison chez sa mère ; Cendrillon rentre chez  sa marâtre chacun des 3 soirs après le bal royal ; la jolie fille courageuse recueillie par Dame Holle qui la traite bien se languit de sa maison ; dans Le conte du genévrier, Marlène et son petit frère rentrent dans leur maison avec leur père ; dans Le fiancé voleur, la jeune fille, fiancée contre son gré par son père à un voleur, revient au moulin ; Le maître-voleur revient chez ses parents ; Jorinde et Joringel, désenchantés, rentrent chez eux ; une fois le charme vaincu, Les sept corbeaux et leur sœur rentrent à la maison ; dans Les trois plumes, le jeune Bêta qui a satisfait aux trois conditions de son père règne à la suite de son père qui l'a testé.

Dangers hors du foyer

L'espace privé peut être très dur, l'espace public est dangereux également, l'environnement, la nature et tout étranger représentent une menace, fait courir un risque, d'autant plus grand qu'il y a des animaux sauvages (un sanglier dévaste tout dans Le vaillant petit tailleur ; dans L'os chanteur un sanglier fait des ravages dans les champs, parmi les bêtes et les hommes ; dans Le vaillant petit tailleur, une licorne fait des ravages dans le royaume), affamés et féroces des géants, des êtres fantastiques, des esprits, des gnomes, et qu'on peut même rencontrer des sorciers et le diable, toujours déguisés ; pas de langue de vipère, de queue fourchue, de balai volant ou de trident qui préviendrait du danger, en général des vieilles femmes fatiguées, des vieux bonhommes grognons ou des "monsieur et madame tout le monde", dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, le père de la princesse qui voulait épouser le prince fiancé à la jeune fille qu'il aime et qui l'a sauvé est un sorcier ; dans Le cercueil de verre, le sorcier était un simple cavalier qui demanda l'asile pour la nuit, plus tard il se transforme en taureau puissant ; dans Les enfants couleur d'or, la sorcière est une vieille femme dans une petite maison ;  dans Hansel et Gretel, la sorcière est une vieille femme aimable dont la vue est mauvaise ; dans Dénichet la sorcière est une vieille cuisinière ; dans Frérot et sœurette la marâtre est la sorcière, qui se déguisera plus tard pour les besoins de ses méfaits en camériste ; dans Les six frères cygnes, la sorcière apparaît sous les traits d'une vieille femme à la tête dodelinante, qui aide le roi à sortir de la forêt où il s'est perdu ; dans Jorinde et Joringel, la magicienne qui vit dans le grand château se transforme en chatte, en chouette et ordinairement le soir en être humain ; dans Le diable et sa grand'mère, le diable se transforme en dragon ; la belle-mère dans La noire et la blanche épousée est une pauvre paysanne en réalité sorcière ; dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la vieille femme qui coupe de l'herbe est une fausse sorcière en réalité une fée ; dans Le cercueil de verre, le sorcier se transforme en taureau. Les enfants sont encore plus démunis que les adultes.

chr SmithLes enfants sont donc exposés à une double violence, une interne et une externe. La violence à l'extérieur semble la plus évidente, les espaces hors du cocon familial et des murs protecteurs sont considérés dans toute société comme espaces de risques et s'y montrer prudent fait partie de l'éducation des enfants, danger de l'éloignement, risque de se perdre, rencontre criminelle, attaque d'animaux, chute dans l'eau, froid, croisement de prédateurs divers, ... :  Le petit Chaperon rouge se perd dans la forêt et rencontre le loup ; un loup avale la panse de vache dans laquelle Tom Pouce avait atterri ; dans Le vieux sultan, un loup feint d'enlever le bébé des paysans qui travaillent à l'écart dans leur champ ; une intervenante maléfique s'impose dans La Belle au Bois Dormant ; Hansel et Gretel rencontrent une sorcière au cœur de la forêt ;  Blanche-Rose et Rose-Rouge sont insultées et menacées par le nain qu'elles secourent ; Demoiselle Méline, la princesse est menacée de mort par la laide mariée qui profite d'elle dans le château où elle a trouvé du travail ; Jorinde et Joringel se perdent dans la forêt près du château de la sorcière qui transforme les jeunes filles en oiseaux chanteurs ; Blanche-Neige se perd dans la forêt ; dans La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, la jeune femme se retrouve seule perdue dans la nature ; La gardeuse d 'oies est perdue dans une forêt sauvage ; dans La nixe ou la dame des eaux, un jeune garçon et sa sœur tombent dans une fontaine ; les deux aînés de La reine des abeilles se perdent dans le grand monde ; l'apprenti tailleur du Cercueil de verre se perd dans la grande forêt ; le loup cherche à entrer dans la maison des 7 petits biquets dans Le loup et les sept chevreaux ; la princesse du Poêle en fonte s'égare dans la forêt ; dans Les trois petits hommes de la forêt, la belle jeune fille est envoyée faire diverses besognes dans le froid glacial de l'hiver peu couverte ; les deux amoureux de L'ondine de l'étang sont perdus au fond d'une forêt inconnue et séparés l'un de l'autre ; Raiponce et son amoureux sont séparés et perdus dans la forêt chacun de son côté.


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