Les frères Grimm et leurs illustrateurs actuels

3 versions du célèbre Hänsel et Gretel

hanselHänsel et Gretel  d’Anthony Browne

Cette version que l’on pourrait qualifier de néo-réaliste. Elle permet un rapprochement entre les deux héros et l’enfant lecteur. À noter la parenté visuelle entre l’image peu flatteuse de la mère et celle de la sorcière complètement « défolklorisée ».

 

hanselgretelHänsel et Gretel  de Suzanne Janssen et Christian Bruel

« Suzanne Janssen et Christian Bruel ont proposé en 2007 aux éditions Être une nouvelle traduction de Hansel et Gretel. Celle-ci restitue au récit sa force brutale, si bien que le lecteur a l’impression de découvrir pour la première fois ce texte des frères Grimm cent fois lu ou entendu. Par delà la beauté austère de la langue, Christian Bruel et Suzanne Janssen ont créé un livre « total » comme on en rêve. Le format, la typo, l’encre et le papier, la mise en page, les illustrations font de cette édition un réel chef d’œuvre.

Loin d’être anecdotiques ou illustratives, les images font ressentir le pathétique, la détresse, la douleur, la violence qui traversent le conte de part en part. L’impuissance et la résignation se lisent dans le corps décharné de ce père ravagé par la misère. La froideur imprègne le visage de la mère. Quant à la solidarité qui unit le frère ou la sœur, elle s’exprime ici à travers un air de gémellité. Jamais Hansel et Gretel ne sont autant ressemblés. Peut-être Suzanne Janssen s’est-elle souvenue que, dans la version de Lo Cunto deli cunti de Giambattista Basile publiée vers 1625, les deux enfants portaient des noms qui laissaient supposer qu’ils étaient jumeaux : ils s’appelaient Ninnillo et Nennella.

La technique de Suzanne Janssen est complexe : superposition de papiers découpés, de peinture et d’impressions photographiques, travail sur la perspective et la position des corps, focalisation sur les visages. Aux doubles pages illustrées succèdent les pages de textes ornés de branchages, de fleurs et surtout d’insectes découpés dans du papier brun rouge légèrement noirci.

Dans cet univers sombre, la couleur rouge apparaît comme un fil qui relie différents épisodes entre eux, depuis le sang de la blessure du cerf qui ouvre le conte jusqu’au rougeoiement du four dans lequel Gretel pousse la sorcière, sans oublier les flammes rouges auprès duquel, au plus profond de la forêt, les enfant s'étaient endormis. »  

Lorenzo-MattottiHänsel et Gretel de Lorenzo Mattoti

En noir et blanc (et beaucoup plus en noir…), le Hänsel et Gretel de Lorenzo Mattoti (traduction de Jean-Claude Mourlevat) paru chez Gallimard en 2009 est une vision dramatique et cauchemardesque du récit.

Tout est affaire de point de vue et dans ce cas-ci, c’est la noirceur qui est métaphorisée par le recours à l’encre noire. On est moins dans l’illustration que dans la suggestion : tout est question d’ombre et de lumière, de cauchemar en noir et blanc. La maison de pain d’épice, par exemple, qui est en général quelque chose de très coloré est ici carrément effrayante.

Interview de l'auteur en vidéo

La comparaison de ces trois versions disponibles au Centre met en évidence l’une des dimensions fondamentales des contes : œuvres qui se prêtent à l’interprétation et dont le sens nous échappe parfois.

le conte du genevrierLe Conte du Genévrier (article à paraître dans la revue Lectures)

On répète que les frères Grimm aimaient beaucoup le Conte du Genévrier, tant il fait figure du prototype du genre. Les thèmes s’y entremêlent et s’y chevauchent. Ils croisent d’autres récits. Tel passage évoque quelque chose de connu, tel autre rappelle un épisode d’une histoire familière. Ainsi en est-il des gouttes de sang dans la neige au début du conte. On se doute qu’un enfant naîtra et que la mère mourra. Après le remariage du père, on s’attend à ce que la marâtre cherche à faire disparaître l’enfant du premier amour. À la différence de Blanche-Neige, dans le Conte du Genévrier, l’orphelin ne put échapper à son destin. Et qui plus est, comme dans un mythe grec, le voilà dévoré par son père, sans que celui-ci s’en doutât. Au noisetier donateur que fit pousser Cendrillon sur la tombe de sa mère correspond ici le genévrier au pied duquel la demi-sœur enterra les os du jeune garçon… Il n’en fallu pas davantage pour que l’on assistât à une métamorphose : comme si l’âme de l’orphelin assassiné s’était muée en un oiseau multicolore dont le chant magique et douloureux scande la seconde partie du récit.

Ma mère m’a tué ;
Mon père m’a mangé
Ma sœurette Marlène
A pris bien de la peine
Pour recueillir mes os jetés
Dessous la table, et les nouer
Dans son foulard de soie
Qu’elle a porté sous le genévrier.

Après avoir récompensé les gentils et châtié la criminelle, l’oiseau multicolore s’effaça pour faire place à l’enfant martyr ressuscité. Et comme si rien ne s’était passé, celui-ci donna la main à son père et à sa sœurette... puis tous trois rentrèrent à la maison et se mirent à table.

Parmi les Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm, celui du genévrier est peu souvent raconté. Trop violent, trop cruel, traumatisant sans doute. Insoutenable, cette marâtre qui malmène l’enfant du premier mariage, le pinçant, le frappant, le malmenant sans cesse avant de rabattre sur lui le couvercle d’un coffre qui lui tranche la tête. À ma connaissance, le Conte du Genévrier n’a jamais été illustré en totalité. Tout au plus une image accompagne-t-elle le récit dans l’un ou l’autre recueil de contes qui privilégie le texte. Voyez l’illustration de Maurice Sendak ; proche de celle de Walter Crane, dans le volume intitulé Hans-mon-hérisson que publia Gallimard en Folio Junior.

Ce serait donc « une première » que nous offrent en 2012, Gilles Rapaport et son éditeur Paul Fustier qui a placé sa maison sous le signe du « genévrier ».

Un petit film sur Youtube permet de suivre les étapes de l’évolution des illustrations « de la mise en place du noir et blanc jusqu’à l’image publiée en couleurs. »

On est éblouis par l’art de Gilles Rapaport qui a situé le conte à l’époque médiévale et non, il y a plus de 2000 ans comme l’affirme le texte. Les personnages, leur gestuelle, leur visage, leur regard nous poursuivent par delà la lecture. Plans panoramiques et plans rapprochés alternent en créant un rythme qui soutient l’oralité « mise par écrit » propre aux contes des frères Grimm. L’omniprésence du noir qui entre en contraste avec la couleur, discrète par moments, éclatante à d’autres traduit ce mélange de cauchemar et de merveilleux qui caractérise cette histoire de jalousie, de haine et d’amour.

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