Les contes de Grimm et Disney

Obstination et réactualisation d’une vision du monde

belle au boisdormantTout n’est pourtant pas aussi simple dans le croisement de Disney et de Grimm. Considérer ces derniers comme des défenseurs de la société patriarcale serait une erreur possible si l’on se réfère à la simple vision des films de Disney. L’exemple le plus éloquent concerne sans aucun doute l’adaptation de La Belle au bois dormant, réalisée en 1959, époque où les femmes ont acquis une série de libertés faisant d’elles le (presque) égal des hommes. Cette fois, l’adaptation diffère largement dans la morale du conte selon les auteurs (Perrault et Grimm contre Disney). Bruno Bettelheim voit par exemple dans le conte un processus initiatique de la jeune fille vers la femme : piquée à la pointe d’un rouet, objet phallique, la princesse se met à saigner (allusion à la menstruation) et tombe dans une léthargie que seul un prince charmant lèvera, notamment par un baiser d’amour (prélude amoureux à la vie d’épouse). Si Disney a conservé cette vision de la Femme, il est étonnant qu’il ait occulté la partie masculine du récit. Dans le conte original, ce n’est pas par un baiser que s’illustrera le prince mais par un viol (il fera deux enfants à la princesse alors qu’elle est toujours endormie). Par la suite, fou d’amour, le Prince (en réalité un Roi) n’hésitera pas à se débarrasser de son épouse légitime pour vivre avec celle dont il a abusé quelques années plus tôt. On comprend mieux pourquoi Disney, défenseur de l’autorité bienveillante du mâle dominant, se soit écarté à ce point du récit original…

Raiponceindépendance de la femmeIl faudra pourtant attendre 50 ans avant que les studios Disney, comme débarrassés de l’aura de l’oncle Walt, retrouve un discours admissible auprès de la société. Dans Raiponce, dernière adaptation des Grimm à ce jour, l’héroïne n'est plus objet de convoitise ou princesse en détresse mais bien une femme moderne, voulant découvrir le monde en dehors de sa tour. Ode à la liberté de la Femme, même si Disney ne peut s’empêcher sur la fin du film de ressasser l’importance du « prince » (un voleur) en figure de sauveur. Si Disney, par logique, évite encore la violence du conte original (où la princesse erre dans le désert avant d’y retrouver son amour, les yeux crevés par des ronces), on notera toutefois la même capacité réparatrice de l’héroïne : filtre de jeunesse et don de guérison chez Disney, capacité à rendre la vue chez Grimm, la Femme est enfin considérée non comme un objet de désir sexuel mais comme une personne ressource, un être incontournable dans le bien-être de l’Homme. Pour la première fois, une production Disney semble enfin avoir saisi le deuxième sous-texte des frères Grimm : un regard sociologique avant tout.

Bastien Martin
Novembre 2013
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Bastien Martin est chercheur en Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales portent sur le cinéma d'animation belge.

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