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Cendrillon inspire encore, diversement

02 novembre 2013
Cendrillon inspire encore, diversement

À un siècle d’intervalle, l’écrivain suisse allemand Robert Walser et l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat se sont inspirés de contes de Grimm. Cendrillon se retrouve aussi dans le titre de  romans français, mais plutôt comme une allusion, la référence à l’histoire de l’orpheline épousant un prince n’est que lointaine.

cendrillonNé à Bienne, en Suisse alémanique, Robert Walser (1878-1956) est l’auteur d’une œuvre protéiforme composée de poèmes, de courts textes en prose ou scènes dialoguées, de quatre romans (Les Enfants Tanner, Le Commis, L’Institut Benjamenta, Le Brigand), ou encore de « dramolets », brèves pièces de théâtre en vers dont deux sont inspirées des frères Grimm, Blanche-Neige et Cendrillon (1901). «Son genre principal, commente Gérald Purnelle qui donnera une conférence sur l’auteur en février prochain aux Midis de la poésie1, c’est le texte court, des petites proses d’un genre indéfinissable qui se situent entre le récit, la chronique, la page de journal et le poème en prose. Il en a publié cinq recueils de son vivant et d’autres ont été réunis après sa mort, notamment ceux qu’il a écrits lors de son séjour dans l’hôpital psychiatrique d’Herisau.»

«Les dramolets, poursuit l’enseignant, c’est de la littérature au second degré. Il s’agit de reprendre le thème du conte et d’en inscrire la dimension littéraire dans la pièce elle-même. Ce ne sont donc pas des pièces où l’action du conte se déroule naturellement. Il prend au contraire les données de base pour en faire des œuvres méta-poétiques, qui ont à chaque fois trait au conte lui-même. C’est de la littérature au second degré, qui induit une réflexion sur la place des personnages dans un conte ou dans une pièce, sur leur autonomie face à ce qui leur arrive et sur l’incidence du récit sur leur destin.»

blanche-neigeblanche-neige-luçon2 blanche-neige-luçon BlancheNeige

Ci-dessus :Blanche-Neige, de Walser, mis en scène par Nicolas Luçon, au Festival Émulation de Liège, 2006.
Ci-dessous : La loi de Cendrillon, par la Cie Monika-Neun, Théâtre de l'Élysée à Lyon, 2009

cendrillonRobert Walser a ainsi travaillé autour de deux célèbres contes de Grimm, Cendrillon et Blanche-Neige. Si dans le premier, on retrouve les données de départ – les sœurs auxquelles Cendrillon est soumise, le prince qui tombe amoureux et cherche à l’épouser, etc.–, les personnages savent qu’ils sont dans un conte, et d’ailleurs le conte lui-même est l’un d’eux. Fournissant à Cendrillon sa robe, il tient d’une certaine manière la place de la marraine, tout en annonçant ce qui va se passer. «L’idée générale de la pièce tourne autour de la prédestination, du fait que le destin est écrit ou non, explique encore Gérald Purnelle. À la fois passive et très exaltée, Cendrillon accepte sa servitude auprès de ses sœurs, elle les flatte, va au-devant de leurs désirs, tout en étant plus rétive à l’égard du prince. Elle représente, selon moi, l’individu face à son destin, à ce qui lui arrive, à ce qui est prédestiné car écrit dans un conte. Elle le répète régulièrement : le conte a dit que, c’est écrit dans le conte, etc. Elle sait donc qu’elle est un personnage du conte.»

«Dans Blanche-Neige, la distance littéraire opérée entre les données de base, c’est-à-dire la tradition, et la pièce prend une autre forme. La pièce se passe en effet après le conte et fait de constantes allusions à ce qui s’y est déroulé. Blanche-Neige a été sauvée, sa mère (et non sa belle-mère) est toujours vivante, le prince est là et le chasseur aussi. On assiste à un chassé-croisé entre eux d’ordre quasi psychanalytique.  Le prince est ébloui par la mère dont il tombe amoureux, Blanche-Neige le trouve trop faible, la reine a une aventure amoureuse avec le chasseur qu’elle avait convaincu d’aller tuer sa fille. Chez Walser, la mère culpabilise en demandant sans cesse pardon à Blanche-Neige, qui lui répond qu’il est bien naturel qu’elle ait voulu la tuer. C’est une sorte de freudisme à l’envers.»


 

 

1 Midis de la Poésie, le 18 février à 12h40, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique

 

cendrillonCendrillon est également devenue une héroïne théâtrale grâce à l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat. Né en 1963 à Roanne, après une enfance passée à Rochefort où son père était militaire dans l’Armée de l’air, Pommerat acquiert d’abord une formation autodidacte d’acteur avant de fonder en 1990 la compagnie Louis Brouillard pour laquelle il écrit des textes qu’il met lui-même en scène avec un collectif d’acteurs. Quelque vingt-cinq spectacles, du Chemin de Dakar à La Réunification des deux Corée, en passant par Pôles, Cet enfant, Je tremble ou La Grande et fabuleuse histoire du commerce, dont plusieurs tournent en même temps en France et à l’étranger, sont issus de cette démarche. Ainsi que trois contes : Le petit Chaperon rouge (2004),  Pinocchio (2008) et Cendrillon (2011)

C’est l’envie de faire des spectacles destinés aux enfants – mais également aux adultes – qui l’a conduit à se tourner vers les contes. «C’est une manière d’être de nouveau en apprentissage de l’écriture, a-t-il explique dans une interview au Midi Libre. Le conte dépasse la littérature, il y a de l’oralité, mais c’est finalement de la mythologie, de la matière imaginaire extrêmement puissante et pour l’écrivain de théâtre que je suis, c’est une façon de m’exercer, de retourner à l’école quasiment ! Quant au choix de Cendrillon, c’est un défi de plus car selon moi, c’est le conte des contes. Le thème de la méchanceté m’intéressait beaucoup.»

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chaperonchaperonComme dans Le Petit Chaperon Rouge, où l’héroïne est jetée dans la gueule de loup par une mère inquiétante, Cendrillon prend beaucoup de liberté avec la fable originale. Trois lignes directrices guident son travail: le deuil, la culpabilité et l’éclatement de la structure familiale. L’orpheline, prénommée Sandra mais surnommée «Cendrier», vit rejetée dans une pièce quasi vide évoquant une cage, soumise à sa marâtre – qui ne ménage pas non plus ses propres filles qu’elle considère comme des rivales. Elle est douloureusement hantée par la promesse faite à sa mère sur son lit de mort de ne jamais l’oublier afin qu’elle ne meure pas totalement. Une promesse prise à la lettre par la fillette qui s’interdit d’oublier d’y penser ne fût-ce qu’une seconde. Après moult malentendus, ses pas vont croiser ceux du prince déprimé qui attend depuis dix ans le retour d’une maman partie sans prévenir et en l’honneur de qui le roi organise une fête.

C’est la version du conte qu’en ont donné les frères Grimm qui a inspiré le metteur en scène, comme il l’explique dans le programme de la pièce. «Je me suis intéressé particulièrement à cette histoire quand je me suis rendu compte que tout partait du deuil, de la mort (celle de la mère de Cendrillon). À partir de ce moment, j’ai compris des choses qui m’échappaient complètement auparavant. J’avais en mémoire des traces de Cendrillon version Perrault ou du film de Walt Disney qui en est issu : une Cendrillon beaucoup plus moderne, beaucoup moins violente, et assez morale d’un point de vue chrétien. C’est la question de la mort qui m’a donné envie de raconter cette histoire, non pas pour effaroucher les enfants, mais parce que je trouvais que cet angle de vue éclairait les choses d’une nouvelle lumière. Pas seulement une histoire d’ascension sociale conditionnée par une bonne moralité qui fait triompher de toutes les épreuves ou une histoire d’amour idéalisée. Mais plutôt une histoire qui parle du désir au sens large : le désir de vie, opposé à son absence. C’est peut-être aussi parce que comme enfant j’aurais aimé qu’on me parle de la mort qu’aujourd’hui je trouve intéressant d’essayer d’en parler aux enfants.»

japrisotreinhardtLes frères Grimm ont, semble-t-il, peu inspiré les écrivains français. Et les deux romans dont le titre renferme le nom de Cendrillon n’ont guère de lien avec le conte du même nom. Couronné par le Grand Prix de Littérature policière en 1963, Piège pour Cendrillon de Sébastien Japrisot, devenu deux ans plus tard un film d’André Cayatte, met bien en scène un trio de filles – dont l’une meurt très vite – et une marraine, pas du tout sympathique, mais c’est tout. Dans cette très troublante histoire de meurtre et d’identité floue, on trouve deux allusions à Cendrillon: c’est «peut-être» parce qu’elle reçoit chaque année, pour Noël, des escarpins de Florence, que l’une des héroïnes se prend pour elle. Et, apprend-on à la dernière ligne, le titre du roman est le nom d’une eau de Cologne pour homme dont la narratrice trouve l’odeur «infecte».

Les quatre personnages de Cendrillon, le quatrième roman d’Éric Reinhardt paru en 2007, courent tous vers le bonheur. Peut-être est-ce lien avec le célèbre personnage? «C'est parce que Cendrillon ne s'est jamais résolue à son malheur, qu'elle a toujours continué d'y croire, qu'elle n'a jamais perdu la foi que sa marraine a fini par surgir, commente l’auteur. Nous sommes tous des Cendrillon aspirant à accéder, grâce à la magie, à un espace de bonheur, de prospérité, où l'on serait reconnu pour ce que l'on est – uniques, Comme Cendrillon qui abandonne sa pantoufle de verre, les quatre personnages principaux fuient à la fin de leurs trajets respectifs. Me projetant dans la figure de Cendrillon, au lieu d’une pantoufle de verre, je laisse des livres grâce auxquels on va peut-être me retrouver.» 

 

Michel Paquot
Novembre 2013 

crayongris2  Michel Paquot est journaliste indépendant

microgrisGérald Purnelle enseigne les formes poétiques modernes à l'ULg. Ses recherches actuelles ont pour principal objet la métrique, l'histoire des formes poétiques et la poésie française des 19e et 20e siècles.

 

 

 


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