Cendrillon inspire encore, diversement
 

cendrillonCendrillon est également devenue une héroïne théâtrale grâce à l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat. Né en 1963 à Roanne, après une enfance passée à Rochefort où son père était militaire dans l’Armée de l’air, Pommerat acquiert d’abord une formation autodidacte d’acteur avant de fonder en 1990 la compagnie Louis Brouillard pour laquelle il écrit des textes qu’il met lui-même en scène avec un collectif d’acteurs. Quelque vingt-cinq spectacles, du Chemin de Dakar à La Réunification des deux Corée, en passant par Pôles, Cet enfant, Je tremble ou La Grande et fabuleuse histoire du commerce, dont plusieurs tournent en même temps en France et à l’étranger, sont issus de cette démarche. Ainsi que trois contes : Le petit Chaperon rouge (2004),  Pinocchio (2008) et Cendrillon (2011)

C’est l’envie de faire des spectacles destinés aux enfants – mais également aux adultes – qui l’a conduit à se tourner vers les contes. «C’est une manière d’être de nouveau en apprentissage de l’écriture, a-t-il explique dans une interview au Midi Libre. Le conte dépasse la littérature, il y a de l’oralité, mais c’est finalement de la mythologie, de la matière imaginaire extrêmement puissante et pour l’écrivain de théâtre que je suis, c’est une façon de m’exercer, de retourner à l’école quasiment ! Quant au choix de Cendrillon, c’est un défi de plus car selon moi, c’est le conte des contes. Le thème de la méchanceté m’intéressait beaucoup.»

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chaperonchaperonComme dans Le Petit Chaperon Rouge, où l’héroïne est jetée dans la gueule de loup par une mère inquiétante, Cendrillon prend beaucoup de liberté avec la fable originale. Trois lignes directrices guident son travail: le deuil, la culpabilité et l’éclatement de la structure familiale. L’orpheline, prénommée Sandra mais surnommée «Cendrier», vit rejetée dans une pièce quasi vide évoquant une cage, soumise à sa marâtre – qui ne ménage pas non plus ses propres filles qu’elle considère comme des rivales. Elle est douloureusement hantée par la promesse faite à sa mère sur son lit de mort de ne jamais l’oublier afin qu’elle ne meure pas totalement. Une promesse prise à la lettre par la fillette qui s’interdit d’oublier d’y penser ne fût-ce qu’une seconde. Après moult malentendus, ses pas vont croiser ceux du prince déprimé qui attend depuis dix ans le retour d’une maman partie sans prévenir et en l’honneur de qui le roi organise une fête.

C’est la version du conte qu’en ont donné les frères Grimm qui a inspiré le metteur en scène, comme il l’explique dans le programme de la pièce. «Je me suis intéressé particulièrement à cette histoire quand je me suis rendu compte que tout partait du deuil, de la mort (celle de la mère de Cendrillon). À partir de ce moment, j’ai compris des choses qui m’échappaient complètement auparavant. J’avais en mémoire des traces de Cendrillon version Perrault ou du film de Walt Disney qui en est issu : une Cendrillon beaucoup plus moderne, beaucoup moins violente, et assez morale d’un point de vue chrétien. C’est la question de la mort qui m’a donné envie de raconter cette histoire, non pas pour effaroucher les enfants, mais parce que je trouvais que cet angle de vue éclairait les choses d’une nouvelle lumière. Pas seulement une histoire d’ascension sociale conditionnée par une bonne moralité qui fait triompher de toutes les épreuves ou une histoire d’amour idéalisée. Mais plutôt une histoire qui parle du désir au sens large : le désir de vie, opposé à son absence. C’est peut-être aussi parce que comme enfant j’aurais aimé qu’on me parle de la mort qu’aujourd’hui je trouve intéressant d’essayer d’en parler aux enfants.»

japrisotreinhardtLes frères Grimm ont, semble-t-il, peu inspiré les écrivains français. Et les deux romans dont le titre renferme le nom de Cendrillon n’ont guère de lien avec le conte du même nom. Couronné par le Grand Prix de Littérature policière en 1963, Piège pour Cendrillon de Sébastien Japrisot, devenu deux ans plus tard un film d’André Cayatte, met bien en scène un trio de filles – dont l’une meurt très vite – et une marraine, pas du tout sympathique, mais c’est tout. Dans cette très troublante histoire de meurtre et d’identité floue, on trouve deux allusions à Cendrillon: c’est «peut-être» parce qu’elle reçoit chaque année, pour Noël, des escarpins de Florence, que l’une des héroïnes se prend pour elle. Et, apprend-on à la dernière ligne, le titre du roman est le nom d’une eau de Cologne pour homme dont la narratrice trouve l’odeur «infecte».

Les quatre personnages de Cendrillon, le quatrième roman d’Éric Reinhardt paru en 2007, courent tous vers le bonheur. Peut-être est-ce lien avec le célèbre personnage? «C'est parce que Cendrillon ne s'est jamais résolue à son malheur, qu'elle a toujours continué d'y croire, qu'elle n'a jamais perdu la foi que sa marraine a fini par surgir, commente l’auteur. Nous sommes tous des Cendrillon aspirant à accéder, grâce à la magie, à un espace de bonheur, de prospérité, où l'on serait reconnu pour ce que l'on est – uniques, Comme Cendrillon qui abandonne sa pantoufle de verre, les quatre personnages principaux fuient à la fin de leurs trajets respectifs. Me projetant dans la figure de Cendrillon, au lieu d’une pantoufle de verre, je laisse des livres grâce auxquels on va peut-être me retrouver.» 

 

Michel Paquot
Novembre 2013 

crayongris2  Michel Paquot est journaliste indépendant

microgrisGérald Purnelle enseigne les formes poétiques modernes à l'ULg. Ses recherches actuelles ont pour principal objet la métrique, l'histoire des formes poétiques et la poésie française des 19e et 20e siècles.

 

 

 

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