«J’ouvre des brèches dans l’espace et tu révèles ce qui se cache derrière.» Cette assertion, adressée à Paul Van Hoeydonck par le plasticien italien Lucio Fontana – auteur emblématique des Concetto spaziale – résume habilement la démarche de l’artiste belge. Tout au long de sa carrière, Paul Van Hoeydonck tisse un lien particulier avec l’espace : cette thématique, qui marque en filigrane la majeure partie de sa production, s’illustre une fois encore au sein de l’exposition Histoire naturelle. Passionné de science-fiction – nourri par l’univers fantastique de Jules Verne et le coup de crayon d’Alex Raymond –, il s’attache à décrire le lien entre l’homme, la nature et l’univers : des Blanc sur blanc aux Planetscapes, des Space Accidents à l’Homo Spatiens, il nous livre une interprétation personnelle de la conquête spatiale et de ses aléas. Au cours de l’été 1971, lorsque la mission Apollo 15 quitte la Lune, elle y laisse une petite statuette anthropomorphe ; cette œuvre de Paul Van Hoeydonck, intitulée Fallen Astronaut (photo ci-contre), rend hommage aux morts qui jalonnent l’histoire de l’exploration spatiale. L’implication de l’artiste dans cette branche de la recherche scientifique, depuis plusieurs décennies, est saluée par l’Université de Liège en 2012, à l’occasion de sa rentrée académique : Paul Van Hoeydonck y est nommé docteur honoris causa, aux côtés des astronautes Dirk Frimout et Frank de Winne, ainsi que des directeurs de la NASA et de l’ESA.
Inscrite dans la continuité de cette reconnaissance de l’anversois par le monde académique, l’exposition Histoire naturelle prolonge également une ligne directrice adoptée par Gembloux depuis 2009 : organiser, au sein même du campus, la rencontre de l’art et de la science. Pour fêter le 150e anniversaire de la fondation de l’Institut agricole, l’artiste Didier Mahieu et son exposition Scaphandre avaient séjourné au sein de la faculté ; l’expérience est aujourd’hui réitérée avec l’œuvre de Paul Van Hoeydonck. Cette volonté de rassembler l’artistique et le scientifique se reflète jusque dans le choix des deux commissaires d’exposition : Éric Haubruge – vice-recteur et professeur à Gembloux – et Willy Van den Bussche – spécialiste de l’œuvre de Van Hoeydonck et fondateur des musées Constant Permeke et d’Art Moderne sur mer.
Paard et Zwaan
Dès ses premiers pas dans la cour d’honneur, le visiteur est accueilli par quatre sculptures de bronze : alors que Paard et Zwaan s’ébrouent dans l’eau de la grande vasque, Totem et Handje se dévoilent au détour d’un passage vers l’ancienne ferme abbatiale. Ces anthropomorphes, oscillant entre l’homme et la machine, incarnent une pratique émergeant dès les années 1980 dans la production de Paul Van Hoeydonck : le recyclage et l’assemblage d’éléments métalliques d’origine industrielle. Subtile gifle adressée au créationnisme religieux, ces êtres reflètent également l’agression que l’homme, par sa technologie envahissante, exerce sur la nature – s’inscrivant ainsi dans une des préoccupations essentielles de la faculté d’agronomie.
La porte du palais abbatial s’ouvre sur plusieurs œuvres majeures de l’exposition. Au cœur de l’escalier central, Les Otages voit son histoire intimement liée à celle de l’incontournable Fallen Astronaut. Après le dépôt de cette dernière sur la Lune, la NASA contrôle strictement la communication autour de ce mémorial, restreignant notamment la diffusion du nom de son concepteur ; l’œuvre Les Otages reflète le sentiment particulier de mise à l’écart qui est celui de Paul Van Hoeydonck au cours de cette période.
Groupe 7 (à gauche)Les otages (à droite)
Dans la lignée de la série de ses Space Accidents, de nombreuses créations de l’artiste anversois s’attachent à illustrer les dangers de l’exploration du système solaire. Dans un couloir, la blancheur des combinaisons spatiales du Groupe 7 contraste avec le rouge brûlant de leurs plaies béantes : les corps déchiquetés des astronautes rappelle douloureusement les pertes humaines, dont celles de l’exercice d’Apollo 1 en 1967 et de la mission Soyouz 11 en 1971. Un socle accueille des pieds, un autre, des mains : avec Groupe 7, Van Hoeydonck édifie un monument silencieux et rageur pour tous les engagés dans la conquête spatiale.