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Histoire naturelle : quand l'art rencontre la science

Histoire naturelle : quand l'art rencontre la science

Dès le 29 octobre, l’exposition «Histoire naturelle» ouvre ses portes sur le site de Gembloux. Consacrée à l’œuvre de Paul Van Hoeydonck, elle investit jusqu’en février le cœur historique du campus universitaire, y nouant un dialogue avec la vocation scientifique qui anime la faculté depuis plus de 150 ans. Un voyage entre terre et éther.

 fallen astronaut«J’ouvre des brèches dans l’espace et tu révèles ce qui se cache derrière.» Cette assertion, adressée à Paul Van Hoeydonck par le plasticien italien Lucio Fontana – auteur emblématique des Concetto spaziale – résume habilement la démarche de l’artiste belge.  Tout au long de sa carrière, Paul Van Hoeydonck tisse un lien particulier avec l’espace : cette thématique, qui marque en filigrane la majeure partie de sa production, s’illustre une fois encore au sein de l’exposition Histoire naturelle. Passionné de science-fiction – nourri par l’univers fantastique de Jules Verne et le coup de crayon d’Alex Raymond –, il s’attache à décrire le lien entre l’homme, la nature et l’univers : des Blanc sur blanc aux Planetscapes, des Space Accidents à l’Homo Spatiens, il nous livre une interprétation personnelle de la conquête spatiale et de ses aléas. Au cours de l’été 1971, lorsque la mission Apollo 15 quitte la Lune, elle y laisse une petite statuette anthropomorphe ; cette œuvre de Paul Van Hoeydonck, intitulée Fallen Astronaut (photo ci-contre), rend hommage aux morts qui jalonnent l’histoire de l’exploration spatiale. L’implication de l’artiste dans cette branche de la recherche scientifique, depuis plusieurs décennies, est saluée par l’Université de Liège en 2012, à l’occasion de sa rentrée académique : Paul Van Hoeydonck y est nommé docteur honoris causa, aux côtés des astronautes Dirk Frimout et Frank de Winne, ainsi que des directeurs de la NASA et de l’ESA.

Inscrite dans la continuité de cette reconnaissance de l’anversois par le monde académique, l’exposition Histoire naturelle prolonge également une ligne directrice adoptée par Gembloux depuis 2009 : organiser, au sein même du campus, la rencontre de l’art et de la science. Pour fêter le 150e anniversaire de la fondation de l’Institut agricole, l’artiste Didier Mahieu et son exposition Scaphandre avaient séjourné au sein de la faculté ; l’expérience est aujourd’hui réitérée avec l’œuvre de Paul Van Hoeydonck. Cette volonté de rassembler l’artistique et le scientifique se reflète jusque dans le choix des deux commissaires d’exposition : Éric Haubruge – vice-recteur et professeur à Gembloux – et Willy Van den Bussche – spécialiste de l’œuvre de Van Hoeydonck et fondateur des musées Constant Permeke et d’Art Moderne sur mer.

Paard-et-Zwaan2 Paard-et-Zwaan-zoom
 Paard et Zwaan

Dès ses premiers pas dans la cour d’honneur, le visiteur est accueilli par quatre sculptures de bronze : alors que Paard et Zwaan s’ébrouent dans l’eau de la grande vasque, Totem et Handje se dévoilent au détour d’un passage vers l’ancienne ferme abbatiale. Ces anthropomorphes, oscillant entre l’homme et la machine, incarnent une pratique émergeant dès les années 1980 dans la production de Paul Van Hoeydonck : le recyclage et l’assemblage d’éléments métalliques d’origine industrielle. Subtile gifle adressée au créationnisme religieux, ces êtres reflètent également l’agression que l’homme, par sa technologie envahissante, exerce sur la nature – s’inscrivant ainsi dans une des préoccupations essentielles de la faculté d’agronomie.

Groupe-7Les-OtagesLa porte du palais abbatial s’ouvre sur plusieurs œuvres majeures de l’exposition. Au cœur de l’escalier central, Les Otages voit son histoire intimement liée à celle de l’incontournable Fallen Astronaut. Après le dépôt de cette dernière sur la Lune, la NASA contrôle strictement la communication autour de ce mémorial, restreignant notamment la diffusion du nom de son concepteur ; l’œuvre Les Otages reflète le sentiment particulier de mise à l’écart qui est celui de Paul Van Hoeydonck au cours de cette période.

  Groupe 7 (à gauche)
Les otages (à droite)

Dans la lignée de la série de ses Space Accidents, de nombreuses créations de l’artiste anversois s’attachent à illustrer les dangers de l’exploration du système solaire. Dans un couloir, la blancheur des combinaisons spatiales du Groupe 7 contraste avec le rouge brûlant de leurs plaies béantes : les corps déchiquetés des astronautes rappelle douloureusement les pertes humaines, dont celles de l’exercice d’Apollo 1 en 1967 et de la mission Soyouz 11 en 1971. Un socle accueille des pieds, un autre, des mains : avec Groupe 7, Van Hoeydonck édifie un monument silencieux et rageur pour tous les engagés dans la conquête spatiale.


Astro-MaternityPlus loin, deux sculptures de la série des Astro prolongent cet hommage : Astro Maternity (photo ci-contre) et Astro Accident. Réalisées en 1971, elles ouvrent leurs plaques d’acier inoxydable (emprunt à l’industrie automobile florissante) sur des entrailles carmin : le cœur loupe un battement lorsqu’il découvre les enfants abrités par Astro Maternity, incarnations de la continuité de l’espèce au-delà du tribu qu’elle paie pour sa témérité. Cette thématique du danger trouve également écho dans l’œuvre Icare. Tableau orné d’un personnage en relief, elle semble illustrer la chute vertigineuse et inéluctable d’un spationaute ; par sa référence à l’infortune de Dédale et Icare, elle témoigne aussi de l’intérêt de Paul Van Hoeydonck pour la mythologique gréco-romaine. À quelques pas de là, Le Fil d’Ariane évoque – outre le nom d’un astéroïde gravitant entre Jupiter et Mars – un autre récit antique ; ces références parsèment la production de l’artiste.

Lorsque le visiteur quitte le palais abbatial pour se rendre dans les autres espaces d’exposition, il découvre un autre thème traité par Paul Van Hoeydonck : la mutation. Dans le groupe Le Cri, il donne vie à des formes plastiques à l’allure humaine : des entraves de tissu émergent des visages, dont l’angoisse muette rappelle un autre Cri célèbre, celui d’Edvard Munch.

Piccolo-TheatroÉvocation du théâtre de marionnettes, le Piccolo Theatro (photo ci-contre) traite également de la mutation : aux étranges bustes d’enfants juchés sur des tabourets fait face une scène habitée de personnages surréalistes, hybridations grotesques entre l’homme et la machine. Des êtres atypiques à la forme vaguement anthropomorphe animent également un ensemble de dessins : énigmatiques avatars de l’homme, ils semblent évoluer dans un ailleurs inaccessible – gratifiant parfois le visiteur d’un regard transperçant. La production en deux dimensions de l’artiste se complète aussi de plusieurs peintures disséminées sur le campus, dont The Night of the Flying Saucers, Astro With Snake, Cyb Take Off ou encore De Drie Standen van de Maan, triptyque où l’astre lunaire se compose d’une multitude de fines pièces métalliques.

Alors que la crypte de l’ancienne abbaye dévoile le groupe monumental des Funérailles du Christ, le cloître abrite également quelques œuvres : plusieurs d’entre elles portent les stigmates des nombreux voyages réalisés par Paul Van Hoeydonck. Tandis que Voyage on a Nile esquisse la civilisation égyptienne, le Kyoto Satellite Temple Group se situe dans la lignée des Kyotoscopes des années 1980, témoins de son intérêt pour la culture nippone. Sa découverte de l’Inde, et notamment de l’observatoire astronomique Yantra Mandir à Jaipur, marquera aussi durablement sa production. Enfin, le groupe Piazza del Cavallo Nero transcrit, avec ses colonnes brisées aux drapés classiques, l’influence de l’Antiquité : celui que le critique d’art Pierre Restany qualifiera d’archéologue du futur y met en parallèle le déclin de l’Empire romain avec celui qui secouera probablement notre génération si elle renonce à la conquête spatiale.

Toujours dans le cloître, une création aborde un autre thème essentiel de la production de Paul Van Hoeydonck : la cybernétique. Après ses Robots, il crée dès 1968 la série des Cyb’s, personnifications de l’application de la cybernétique à l’homme ; le groupe Danse Macabre, en déployant ses personnages au visage bardé d’électronique, illustre cette autre forme d’hybridation, avec laquelle l’humanité doit désormais composer.

Histoire-naturelle

Enfin, nimbée de la douce lumière des vitraux du cloître, Histoire naturelle (photo ci-dessus) accroche l’œil. Empruntant son nom à une création du surréaliste Max Ernst – dont le travail a fasciné Van Hoeydonck –, cette œuvre, empreinte d’une élégante sobriété, est la pièce maîtresse (et éponyme) de l’exposition. Rivés à leur socle d’acier, cinq bustes au visage d’un blanc de cire adressent au visiteur un regard insondable. Un insecte, une araignée ou encore une salamandre semblent retenir le plissé de leur vêtement, matérialisant la vocation première de l’exposition : nouer un dialogue entre l’art et la science. En traversant le voile délicat qui sépare l’imaginaire de la prescience, les œuvres de Paul Van Hoeydonck réussissent le pari de confronter le questionnement du chercheur avec celui de l’artiste. Une rencontre poétique et surprenante.

 

 

Julie Delbouille
Octobre 2013

 

crayongris2Julie Delbouille est journaliste indépendante, diplômée en histoire de l'art et en médiation culturelle.

 


 

 Photos © ULg - Jean-Louis Wertz

Informations pratiques et visites

Histoire naturelle

De novembre 2013 à février 2014
Du lundi au vendredi, de 9h à 17h
Entrée libre

Faculté de Gembloux Agro-Bio Tech
Accès via l’Avenue de la Faculté d’Agronomie (parking Espace Senghor)
5030 Gembloux

Plus d’informations sur www.histoire-naturelle.be


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