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Nouveaux disques signés Musique en Wallonie

18 février 2014
Nouveaux disques signés Musique en Wallonie

Compositeurs emblématiques de la nation belge, Roland de Lassus et André-Ernest-Modeste Grétry voient leurs œuvres mises à l’honneur par le label Musique en Wallonie. Ce dernier dévoile trois nouvelles productions de son cru, dont la diversité est le maître-mot. Des motets et chansons de Lassus aux opéras et quatuors de Grétry, l’auditeur y est emmené à la découverte de quelques-unes des plus belles pages musicales des 16e et 18e-19e siècles.

Collaboration étroite entre musicologues et interprètes, enregistrements de qualité, exploration de répertoires peu connus, livrets explicatifs rédigés en diverses langues : telle est la formule qui depuis plus de quarante ans fait le succès des disques de Musique en Wallonie, label attaché à l’Université de Liège dont la réputation a dépassé depuis longtemps les frontières du pays. Cette formule se retrouve également dans les trois nouvelles productions de la firme de disques, consacrées respectivement aux compositions de Roland de Lassus (Mons, ca. 1531 - Munich, 1594) et d’André-Ernest-Modeste Grétry (Liège, 1741 - Montmorency, 1813), deux musiciens phares de l’histoire, dont le nom est certes connu de tous mais dont la musique offre encore bien des œuvres à mettre en valeur.

Roland de Lassus. Biographie musicale vol. III
La gloire musicale de la Bavière (2) : le temps des conflits

lassusPoursuivant la série des disques consacrés à la vie et à l’œuvre du Montois Roland de Lassus, Musique en Wallonie publie le troisième volume de sa Biographie musicale, initiée dans le cadre de « Mons 2015, Capitale européenne de la culture ». Après avoir successivement exploré la jeunesse puis les années fastes de la carrière munichoise de Lassus, la maison de disques se penche à présent sur le « temps des conflits » que le maître de chapelle du duc Albert V de Bavière est amené à connaître à la cour bavaroise. Alors que son nom s’est auréolé de gloire, le musicien semble en effet aspirer à une plus grande indépendance et ce, au détriment de son prince-patron qui pourtant a contribué à asseoir sa réputation. Une lettre de Roland de Lassus datée d’octobre 1572 donne le ton de la dégradation de leurs relations en dénonçant, dans un vocabulaire teinté d’ironie, les ordres que lui inflige « son Altitude » le duc Albert à la manière d’un simple serviteur. Ces tensions se doublent de la situation politique agitée que connaît alors la Bavière, confrontée non seulement à l’avancement de la Réforme mais aussi à un état des finances alarmant.

Malgré les vicissitudes du temps, l’activité musicale et éditoriale de Lassus se poursuit pourtant, et avec quel élan ! C’est cette puissance créatrice que le label Musique en Wallonie s’est attaché à révéler au travers d’un ensemble de vingt-cinq morceaux, enregistrés avec le concours de l’ensemble néerlandais Egidius Kwartet. Mentionnons parmi ceux-ci le lied Ich armer mann qui exhale la plainte d’un « mal marié », la pièce profane Anna mihi dilecta au chromatisme envoûtant, les pièces sans texte, à deux violes, des Cantiones ad duas voces ou encore, dans le domaine religieux, la Missa O passi sparsi composée sur un madrigal de Sebastiano Festa. Le troisième volet de cette Biographie musicale concourt ainsi une nouvelle fois à démontrer toute l’étendue du savoir de Roland de Lassus, « homme des contrastes » jonglant avec les registres instrumental et vocal, sacré et profane, simple et savant.

André-Ernest-Modeste Grétry : portrait musical

gretryEn second lieu, le label Musique en Wallonie publie un coffret de cinq disques se voulant, au travers de la réédition et de la compilation d’enregistrements anciens, le « portrait musical » d’un autre compositeur d’origine belge : André-Ernest-Modeste Grétry, dont la Ville de Liège a célébré tout au long de l'année 2013 le bicentenaire de la mort. Au cours de sa carrière particulièrement longue, Grétry s’est illustré dans quantité de genres, allant de l’opéra-comique à l’opéra révolutionnaire, en passant par la pastorale, la tragédie, la comédie-ballet ou encore l’opéra historique. Toutefois, comme le souligne le musicologue Philippe Vendrix, « la diversité n’est pas que de nomenclature chez Grétry, mais elle se traduit aussi par une maîtrise stupéfiante et efficace des manières de composer1 ». Celle-ci apparaît nettement dans La Caravane du Caire (1784), opéra-ballet au charme exotique où alternent allègrement airs, ariettes, récitatifs, ensembles et ballets, et dont des extraits forment le premier disque du coffret. Les rôles du Pacha, de Saint-Phar et de Zélime y sont respectivement tenus par Jules Bastin, Guy de Mey et Isabelle Poulenard, tandis que les ensembles vocaux sont confiés au Chœur de chambre de Namur, qui vient tout juste de se produire, au mois d’octobre dernier, dans une version concertante de cette œuvre donnée à l’Opéra royal de Wallonie.

Si les deuxième et troisième disques présentent également des extraits d’œuvres lyriques dues au compositeur – extraits des comédies mêlées d’ariettes, L’Amant jaloux ou les fausses apparences et Le Jugement de Midas, créées en 1778 sur des livrets de Thomas d’Hèle – le quatrième CD dévoile quant à lui une facette moins connue de la production de Grétry : celle de sa musique instrumentale. Les Six Quatuors opus III qui y figurent ne peuvent sans doute, comme le souligne le critique Jean Dupart, « être comparés à ceux de Haydn, de Mozart et de Beethoven », étant « plus modestes, harmoniquement beaucoup plus simples ». Toutefois, les « interprétations fines, incisives et limpides » qu’en offre le Quatuor Haydn remplissent pleinement l’objectif de cette musique de chambre, destinée au « plaisir immédiat, non raisonné de l’auditeur2 ». Et c’est en cela que les œuvres de Grétry se distinguent, par le plaisir qu’elles ont su procurer à leurs publics depuis le 18e siècle jusqu’à aujourd’hui. Le cinquième disque du coffret témoigne de cette fascination, en exposant les transcriptions et adaptations que divers compositeurs – y compris des célébrités telles que Mozart et César Franck – ont réalisées sur base de ses opéras. Considéré dans son entièreté, le coffret offre ainsi une parfaite illustration des qualités qui, selon Philippe Vendrix, s’avèrent intrinsèquement liées à l’histoire du succès de Grétry, à savoir la longévité, l’intensité et la diversité.

André-Ernest-Modeste Grétry : Guillaume Tell, drame en trois actes

Tell1-450Le dernier disque à voir le jour n’est autre que l’enregistrement de l’opéra Guillaume Tell de Grétry, tel qu’il a été interprété en juin 2013 à l’Opéra royal de Wallonie sous la direction du maître Claudio Scimone, avec Anne-Catherine Gillet, Marc Laho et Lionel Lhote dans les rôles principaux.

Production de l'Opéra de Liège, juin 2013
Photo ©ORW-Jacky Croisier

Fruit de la collaboration du musicien avec le librettiste Michel-Jean Sedaine, cet opéra-comique est créé à la Comédie-Italienne le 9 avril 1791 au lendemain de la Révolution française. La légende de la conquête de l’indépendance suisse personnifiée par Guillaume Tell – symbole de la lutte contre un régime tyrannique – acquiert dans ce contexte une force politique toute particulière, que le Journal de Paris ne manque pas de relever en soulignant que « l’ouvrage respire la haine de l’oppression et l’amour de la liberté3 ». Pourtant, en dépit de son caractère novateur, tant gretry2politique que musical, l’ouvrage ne parvient pas à s’imposer durablement au répertoire et c’est avec raison que l’on a pu parler de « (re)création » lors de sa reprise par l’Opéra royal de Wallonie, première représentation de l’œuvre en Belgique ! L’accueil en fut chaleureux, en raison notamment de la distribution de la pièce, unanimement louée par la presse : dans un article sous-titré « Le Guillaume Tell de Grétry n’est pas celui de Rossini. Mais on s’y amuse bien », La Libre Belgique dit « s’incliner et ôter son chapeau pour Gessler mais aussi pour les familles Tell et Melktal, sans oublier le voyageur », qui « tous sont excellents4 ». De même, Crescendo Magazine loue l’ « interprétation musicale impeccable », allant jusqu’à estimer que la « production fut bien proche de la perfection5 ». Par cet enregistrement, le label Musique en Wallonie sauve donc de l’oubli non seulement une œuvre, mais aussi une interprétation de qualité, affirmant une fois de plus sa mission de valorisation du patrimoine musical belge et ajoutant une pierre supplémentaire à l’imposant édifice de plus de cent cinquante disques qu’il compte actuellement à son actif. Les mélomanes découvriront sur le site de la firme de disques un aperçu de cet imposant catalogue, ainsi que les projets qui se profilent à l’horizon, tel ce disque Eugène Ysaÿe qui d’ores et déjà attise la curiosité.

 

Barbara Bong
Février 2014

crayongris2 

Barbara Bong est chercheuse en Musicologie à l'ULg.

                 
Voir aussi, notamment :




1Notice du coffret Grétry.
2Jean Dupart, Arts et Métiers magazine, mai 1993.
3 Livret du disque.
4 Nicolas Blanmont, « Laho sur la montagne. Les autres aussi. – Le Guillaume Tell de Grétry n’est pas celui de Rossini. Mais on s’y amuse bien. », La Libre Belgique, 10 juin 2013.
5 Bruno Peeters, « Un autre Guillaume Tell ! », Crescendo Magazine, 17 juin 2013.


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