La Collégiale Sainte-Croix : patrimoine mondial en péril

La réaffectation : une condition nécessaire ?

Si les pouvoirs publics semblent fermer les yeux sur l’état de santé calamiteux de Sainte-Croix, c’est d’abord parce qu’elle représente – c’est là le problème majeur du patrimoine religieux – un énorme budget. La collégiale aurait besoin d’une restauration globale, commente Louis Shockert, architecte chargé de la maintenance de l'édifice et qui a également participé à monter le dossier du Watch. Mais cela représente pour la Région Wallonne un budget de quelque 25 millions d’euros.... Pour convaincre les pouvoirs publics d’investir, il faudrait par ailleurs proposer un projet de réaffectation viable : une condition sine qua non par les temps qui courent. La réflexion sur la possibilité de réaffectation suppose de faire un choix entre des églises à conserver comme églises et d’autres à réaffecter, commente Claudine Houbart. Le problème est qu’il n’y a pas de dialogue entre les autorités de l’Église et les autorités qui s’occupent du patrimoine pour définir une ligne de conduite commune. L’idéal, c’est qu’une église reste une église mais il faudrait alors en supprimer un tas d’autres...

Imaquette1730l y a aussi la dimension humaine, fait remarquer Quentin Hutsemékers. On ne peut pas demander aux gens de se déplacer comme ça... Ils vont dans une église parce que c’est près de chez eux, parce qu’il y a un engouement communautaire. Par exemple, à proximité, Sainte-Marguerite fonctionne très bien alors qu’elle n’a rien d’exceptionnel au niveau patrimonial. Dans son mémoire, Quentin Hutsemékers s’est longuement penché sur les possibilités de réaffectation de Sainte-Croix. Il faudrait d’abord une vision d’ensemble au niveau du quartier car il y a de nombreuses « dents creuses » au niveau du Cadran, avec le problème de la façade de l’Académie des Beaux-Arts par exemple. Ensuite, il faudrait voir si l’on dédie la Collégiale à une fonction unique ou à une mixité d’usages, avec un partage de l’espace. Il serait par exemple possible de conserver le culte dans une partie ; il pourrait aussi être question de l’intégrer à un circuit des collégiales avec un musée religieux par exemple, qui entraînerait une gestion quotidienne. Car l’aspect uniquement « touristique » ne permet pas l’entretien d’un bien. À la base, une église est aussi un lieu communautaire qui permet de se rencontrer : il y a donc aussi la possibilité d’en faire une salle de spectacle modulable, d’autant que la collégiale est reconnue pour sa très bonne acoustique. Autre possibilité parfois évoquée : la transformation de la collégiale en centre de design ou d’études. Il est aussi question d’étoffer l’offre de services avec une cafétéria, une boutique correcte, etc., explique Louis Schockert. Ce sont de petites choses qui permettent de faire vivre un lieu.


Détail de la maquette de G. Ruhl, La noble cité de Liège, vers 1730. La collégiale Sainte-Croix se trouve à peu près au centre de l'image. En dessous, se trouve la collégiale Saint-Pierre, aujourd'hui détruite. L'actuel boulevard de la Sauvenière était encore un bras de la Meuse.

 L’enjeu de la réaffectation pose cependant d’importantes questions sur une forme de récupération pragmatique qui nierait les strates de l’histoire... un comble pour le patrimoine. L’église n’est pas qu’une enveloppe vide, il y a aussi du mobilier, des tableaux, etc., insiste Claudine Houbart. Aujourd’hui, on a tendance à s’extasier sur la « réaffectation » branchée des églises en hôtels par exemple... Je trouve que cette idée de l’église « ancienne » contrastant avec un design branché est quelque chose d’assez irritant dans la mesure où l’on nie complètement la dimension symbolique. Et ce n’est pas une question de croyance ou de pratique religieuse. Je suis d’accord sur le principe de la réaffectation mais je trouve que certains édifices anciens ont une valeur suffisante pour être préservés en tant que tels. Il ne faut pas nécessairement les utiliser comme des boîtes à chaussures où l’on met telle et telle fonction ! Est-ce qu’on réaffecte les pyramides d’Égypte ? Quelles que soient ses métamorphoses à venir, il reste à espérer que, grâce au Watch, Sainte-Croix échappera au scénario catastrophe que certains prédisent si l’on n’agit pas : une destruction pure et simple pour des raisons de sécurité, une insupportable dent creuse dans le paysage liégeois.

 

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Photos © Toni Alaimo. Photoclub IMAGE ULg

 

 

Julie Luong
Octobre 2013

crayongris2  Julie Luong est journaliste indépendante

microgrisClaudine Houbart enseigne l'histoire de l'architecture et la conservation du patrimoine à la Faculté d'architecture. Ses principales recherches portent sur la théorie et l'histoire de la conservation-restauration aux 19e et 20e siècles.

microgrisQuentin Hutsemékers est désormais architecte diplômé de l'ULg. Il a consacré son travail de fin d'études, en juin2013, à la Collégiale Sainte-Croix sous la direction de Claudine Houbart. Il est le principal responsable du dossier déposé au WMW.

 

 


 

 

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Mathieu Piavaux, La collégiale Sainte-Croix à Liège. Formes et modèles dans l’architecture religieuse du Saint-Empire. XIIIe-XVe siècles, Presses universitaires de Namur, 2013. ISBN 978-2-87037-571-6

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