Éclats de lune. Imaginaire

Croyances et folklores lunaires

croyances

André Koeckelenbergh

 

Depuis des millénaires, astrologues et astronomes s’évertuent à trouver aux phases de la Lune un quelconque lien durable, fiable et constant avec les phénomènes naturels qu’elle accompagnerait.

 

Si la Lune et le Soleil sont capables de soulever de quelques mètres la masse des eaux lors des marées, quelle influence doivent-ils donc avoir sur nos petites personnes ou sur la biologie végétale ! Marionnettes agitées par des doigts de fée ou destin du fétu de paille dans le torrent implacable qui descend de l’Olympe ? Que de catastrophes, combien de calamites impute-t-on à la Lune ! Aucune de ces soi-disant influences ne résiste à une analyse un peu sérieuse.  Cependant, les humains se sont construit une véritable doctrine d’agriculture lunaire qui fait le bonheur des almanachs populaires et d’éditeurs dont la préoccupation principale est de vendre, indépendamment de la réalité scientifique. Et la rumeur selon laquelle les services d’obstétriques des hôpitaux sont plus sollicités à la pleine lune a la vie dure, malgré toutes les statistiques qui prouvent qu’il n’en est rien…

Contrairement à certaines croyances, la lune n’a aucun rôle dans la grossesse et l’ accouchement.
© Marylin Barbone – Fotolia.com
 

Histoire et actualité d’un imaginaire traditionnel wallon

Françoise Lempereur (ULg)

fagot

Les contes et légendes, croyances et expressions d’autrefois utilisent abondamment l’imaginaire astral, dans nos régions et bien au-delà. La lycanthropie, par exemple, capacité pour un être humain de se transformer en loup-garou les nuits de pleine lune, remonte au moins à la mythologie grecque et s’est popularisée dans la tradition orale de l’Europe entière avant d’être mondialisée par la littérature fantastique et le cinéma. Par ailleurs, dans l’imaginaire wallon lié à la météorologie traditionnelle et aux expressions  orales,  la lune se retrouve abondamment. Il était d’usage naguère de tenir compte des phases de la lune pour se couper les cheveux, tuer les porcs, couper le bois de chauffage, cuire le pain, confectionner confitures et conserves de légumes, etc. De nos jours, seules certaines pratiques horticoles et agricoles s’y réfèrent encore.

La plupart des personnages vus dans la lune portent un fagot. © Philippe Noël – PhotoClub Image ULg


exilés

Au clair de la Terre. Les utopies lunaires françaises

Valérie Stiénon (ULg)

Contemplée, visitée ou habitée, la Lune est un thème très prisé par la littéraire française. Elle constitue un chronotope de la production fantastique, contribue au développement de la science-fiction dans le sous-genre du space opera et présente des affinités avec l’utopie, dont l’ailleurs idéalisé sert de cadre d’identification aux conditions du bonheur en société. En France tout particulièrement, elle intéresse le genre littéraire du voyage imaginaire, magnifié de la plus belle façon par Jules Verne, avant de donner lieu à des variantes romanesques dystopiques dans lesquelles l’astre et ses autochtones sont prétextes à satire et sources intarissables de problèmes éminemment terrestres. 

 Les Exilés de la Terre,
André Laurie, 1888

The Man in the Moon, personnage de la littérature anglaise

jekyllJuliette Dor (ULg)

Des êtres lunaires surgissent du flou du clair de lune et les nuits de pleine lune sont le théâtre de transformations en loups-garous maléfiques, thème souvent exploité par le roman gothique. Qui ne se souvient des dédoublements de personnalité du bon Dr Jekyll en un monstrueux Mr Hyde, et même, plus récemment, de L Année du loup-garou de Stephen King (1983), récit de meurtres en série commis chaque fois que la face visible de l’astre est éclairée par le soleil ?

L’homme dans la lune,  motif récurrent de la littérature anglaise des le Moyen Âge, fruit des interrogations nées de la présence de taches sombres à la pleine lune,  survit dans les proverbes, le folklore et la littérature et fait partie intégrante du patrimoine culturel d’Outre-Manche.

Lithographie en couleur illustrant le roman de Robert Louis Stevenson, Dr. Jekyll and Mr. Hyde,
National Prtg. & Engr. Co., Chicago, USA, 188-?. © Library of Congress Prints and Photographs Division

Poésie sélénique

pierrotJean-Pierre Bertrand et Gérald Purnelle (ULg)

La lune a constitué et constitue toujours un motif largement éculé de la poésie. Du romantisme au symbolisme, le 19e siècle a mis à mal sa symbolique en l'épuisant de toutes les façons, tantôt graves et sérieuses, tantôt (et de plus en plus) dérisoires et ludiques. Apres les symbolistes, la lune n’aura plus guère de place dans le répertoire poétique. Il y a certes la « lune mellifluente aux lèvres des déments » d’Apollinaire mais, comme le pronostiquait Maupassant, le thème est éculé, ravalé à un romantisme de bas de gamme. Ce n’est certainement pas un hasard si l’un des premiers grands recueils surréalistes s’intitulera Clair de terre, signé André Breton en 1923.

Pierrot chatouille Colombine à mort par Adolphe Willette, peintre et caricaturiste
français, dans Le Pierrot, 7 décembre 1888.

 

bonsoirMagie de la lune dans l’album pour enfants

Michel Defourny (ULg)

Dans l’album pour enfants, pas de nuit… sans lune. Ronde ou en croissant, elle illumine la nuit, elle illumine la page. Sa lumière douce apaise et rassure. Elle endort et protège. Dans l’album pour enfants, la lune enchante, elle invite à la contemplation, au jeu, à la danse, voire au déchaînement. Son reflet couleur d’argent, couleur de lait est à l’origine de maintes aventures, poétiques ou burlesques. N’oublions pas que Jean de la Lune qui l’habite depuis toujours, symbole du rêve et de la liberté, fut interdit de séjour sur notre planète Terre. La lune nous inviterait-elle à rester vigilants ?

 

Subjective lune. Lune et bande dessinée

Frédéric Paques (ULg)

felixSi l’on se réfère au titre des albums de bandes dessinées, force est de constater qu’un nombre impressionnant de BD contiennent le terme « lune » dans leur intitulé. On pense à l’evident diptyque hergéen Objectif Lune / On a marché sur la lune mais aussi à Pleine Lune de Christophe Chaboute, les Chroniques de la Lune noire de François Marcela-Froideval et Olivier Ledroit, Lune de guerre de Hermann et Jean Van Hamme, Face de lune de François Boucq, It came from the Moon (un volume de la serie Mutafukaz) de Run, Sailor Moon de Naoko Takeuchi, Moon Knight de Doug Moench et Don Perlin, The Moon de Lin Ying, ou Sunnymoon de Blutch. Le site de référencement BD

Gest’ recense pas moins de 55 séries et 367 titres d’albums reprenant le mot lune... Rien d’étonnant à cette prolifération, le terme est extrêmement fertile pour l’imagination du lecteur. Il évoque la nuit, le mystère, le rêve et est prometteur d’évasion pour l’acheteur potentiel.

Pat Sullivan, Félix le chat, s.d. (DR)

 

 

offenbachD’Au clair de la lune à Echoes  from the Moon

Henri Vanhulst

Dès l’apparition des signes de mesure tels que le cercle O et le demi-cercle C, on n’a pas manqué de noter leur ressemblance avec respectivement le soleil et la lune. Dans sa Practica musica (1556), le théoricien allemand Hermann Finck fait explicitement le rapprochement. Au debut du 18e siècle, Antonio Caldara élabore encore deux recueils de canons « dans la mesure que bat la lune ».

un fragment du Cantique des cantiques commençant par Quae est ista quae progreditur (Qui est celle qui avance), dans lequel la femme aimée est dite belle comme la lune sera décliné en de nombreuses versions, de la Renaissance à César Franck. Au 19e siècle, la mélodie se développe à Berlin, Vienne ou en France, qui mettent en musique des œuvres de poèmes, dont beaucoup sont inspirés par la Lune. Il n’est guère étonnant que le thème de la lune dans les livrets d’opéras soit apparu au Siècle des lumières.  Le thème est aussi fortement utilisé dans la musique orchestrale, que l’on songe à Beethoven, Debussy, Smetana, Schönberg… mais aussi aux compositeurs contemporains comme Stockhausen, R. Murray Schafer ou Pauline Oliveros.

Affiche du Voyage dans la lune de Jacques offenbach
(Paris, théâtre de la Gaîté, 1875).


policeLa Lune et ses évocations dans les musiques populaires

Adèle Querinjean (ULg)

Que les artistes populaires y fassent allusion de manière métaphorique ou non, la lune apparait dans les chansons des styles les plus variés. Prenons quelques exemples. How High the Moon est chanté pour la première fois en 1940, à Broadway, par Alfred Drak, avant d’être repris par Frank Sinatra et Ella Fitzgerald. Fly me to the Moon est un autre de ces standards du jazz, interprété par Kaye Ballard, puis par Sinatra, Sarah Vaughan, Marvin Gaye, Dany Brillant ou Julien Clerc. Georges Brassens, lui,  s’adresse à la lune, de même que les Beatles (Mr Moonlight). Tout  le monde se souvient de la chanson de Charles Trennet dans laquelle le soleil a rendez-vous avec la lune, ou encore du Clair de lune à Maubeuge de Pierre Perrin, reprise avec succès par Bourvil, Annie Cordy et même Claude François. Autre grand succès, Blue moon of Kentucky de Bill Monroe, sera popularisée par Elvis Presley. Dans d’autres styles, on peut citer Walking on the moon, de Police ou Moonlight drive, des Doors, My Moon, My Man,  de Feist, Dancing with the Moonlit Knight  de Genesis, Drunk on the Moon  de Tom Waits…  ou encore le morceau inédit de Pink Floyd, Moonhead, diffusé à l’occasion de l’alunissage d’Apollo en 1969.

Pochette du 45 tours, The Police, Walking on the moon, 1979.
 

 

Reflets de lune

Nicole Gesché-Koning (ULB)

friedrich

Séléné est souvent représentée sur les vagues grecs à figures noires, puis à figures rouges. A Rome, les legendes liées à cette divinite lunaire, tel son amour pour le berger mortel Endymion sont le sujet de nombreuses peintures romaines et le thème sera repris maintes fois par les artistes du 16e au 18e siècles. Avec l’avènement du christianisme, la représentation de la lune est réservée à la version astrale, souvent liée à la mesure du temps. Le Couronnement de la Vierge par la Sainte trinité  d’Enguerrand Quarton (1454) montre La Vierge au centre, vêtue d’un ample manteau, qui repose sur la lune traçant à ses pieds une auréole blanche. Cette représentation de la vierge sera suivie notamment par le Tintoret, le greco, Rubens, Velasquez… Issue de la tradition flamande du 16e siècle, la peinture de paysage connaît un développement particulier sous la lumière du nord et ce sont surtout les rendus d’atmosphères d’un ciel au clair de lune qui seront souhaités par les peintres. Les peintres romantiques représenteront abondamment la lune. Avec les surréalistes comme Delvaux, elle ne sera plus exploitée que pour son simple pouvoir d’évocation… 


Caspar David Friedrich, Lever de lune sur la mer, 1822, huile sur toile, 55 × 71 cm.
© bpk / foto : nationalgalerie der Staatlichen Museen zu Berlin - Preußischer Kulturbesitz

 

Cinégénies lunaires. Le cinéma à la conquête de la lune

Dick Tomasovic (ULg)

meliesLa Lune au cinéma apparaît à la fois comme une destination exotique, romanesque et périlleuse, et comme une figure poétique majeure invitant autant à la contemplation rêveuse qu’à la remise en question existentielle. Le cinéma filme la Lune, mais la Lune regarde le spectateur. Devant le nombre de films qui ont mis en scène l’astre lunaire, il faut se borner à repérer deux grandes formes d’utilisation, deux poétiques du motif lunaire. Elles cohabitent déjà dans l’univers fantastique de George Méliès dont on sait qu’il n’a jamais cessé d’irriguer le cinéma. En effet, le célèbre Voyage dans la Lune (1902) met en évidence une double figure lunaire : une destination pour explorateurs et un motif poétique sous la forme d’un visage céleste.  La Lune sera ainsi l’une des destinations préférées du cinéma de science-fiction, avant que les exploits réels des cosmonautes n’invitent à lui préférer la plus lointaine et inaccessible planète Mars. Parmi les classiques de la science-fiction lunaire, il faut pointer Frau im Mond (La Femme dans la Lune, 1929) de Fritz Lang ou Destination Moon (Destination Lune, 1950) d’Irving Pichel qui s’illustrent par leur volonté d’appuyer récit et mise en scène sur un ensemble de données scientifiques.

Mais il n’y a pas que les explorateurs de l’espace qui contemplent la Lune. Sur Terre, humains romantiques et inhumains fantastiques (vampires, lycanthropes, extra-terrestres égarés, personnages de dessins animés les plus divers…) observent l’astre lunaire, se nourrissent de son attraction ou, simplement, abandonnent leur destin à ce visage lumineux, à la fois proche et lointain, qui invitent à une éternelle rêverie.

Le voyage dans la Lune, Georges Mélies, 1902.