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Saint Nicolas en Wallonie hier et aujourd'hui

25 novembre 2009
Saint Nicolas en Wallonie hier et aujourd'hui

De saint Nicolas au Père Noël

En 1952, Claude Lévi-Strauss dénonçait la polémique née en France un an plus tôt à propos de la « paganisation » de la fête de Noël1 , polémique qui s'était traduite par des attaques d'autorités ecclésiastiques contre le Père Noël, symbole à leurs yeux des dérives commerciales de la fête, sacrée à l'origine. Que dire aujourd'hui de la « laïcisation » de saint Nicolas voulue par les militants laïques, au nom d'un principe de pluralisme idéologique ? Il me semble qu'elle n'aurait guère de sens dans les régions – Belgique, Pays-Bas, Nord et Est de la France – où le personnage est lié à des représentations traditionnelles transmises par la société tout entière et non par une réelle pratique religieuse. L'ethnologue observe bien que la croyance en saint Nicolas2 s'apparente, pour les enfants, à une croyance divine, mais il ajoute qu'il est fondamental que les adultes encouragent les enfants à y adhérer et l'entretiennent par plusieurs mystifications, tout en étant conscients de celles-ci.

La tradition se rattache donc aux rites de passage, l'accession à la vérité équivalant à l'entrée dans l'adolescence. L'expression « ne plus croire en saint Nicolas », est d'ailleurs utilisée fréquemment chez nous pour exprimer la perte de l'innocence et de la crédulité enfantines.  

Même si Père Noël, Saint Nicolas et Santa Claus sont les noms donnés, dans des circonstances particulières, à un même personnage, le distributeur de jouets aux enfants, la situation actuelle de présence successive, voire simultanée, de saint Nicolas et du Père Noël dans notre région est troublante pour les enfants. Un remplacement du premier par le second impliquerait que les innombrables représentations stéréotypées du saint patron soient immédiatement remplacées par celles du gros lutin barbu, vêtu de rouge et blanc, avec une mention du type « saint Nicolas a changé de costume »... mais qu'adviendrait-il du nom de l' « ami des enfants » ? Et de la date ? Et de l'âne : devrait-il lui revêtir un costume de renne ? Et... est-on certain que les rennes aiment les carottes ?

Pratiques wallonnes

Le patrimoine immatériel wallon lié à saint Nicolas est riche de plusieurs dizaines de pratiques culturelles dans les champs coutumier, pragmatique, symbolique et expressif. Certaines sont l'apanage de la région tout entière, d'autres, d'une localité, d'un quartier, d'une famille ; certaines sont connues depuis des siècles, d'autres depuis quelques années. En dresser une liste exhaustive est quasi impossible.  Contentons-nous ici de quelques exemples.

Pour illustrer les Saint-Nicolas d'avant la guerre, voici le témoignage d'une grand-mère d'aujourd'hui, Yvette Brismée-Antoine, née en 1934 dans la banlieue liégeoise. Ses souvenirs remontent aux années 1938-19393.

Yvette et la Saint Nicolas

« Dès novembre, les soirées plus longues ont installé dans la maison une atmosphère douillette et conviviale. Sous la lampe, ma famille ressemble à celles qui illustrent les livres de lecture de cette époque : le père lit son journal, la mère tricote, les enfants finissent leurs devoirs ou jouent sur un coin de table. Mais souvent un jeu nous réunit : le dada, le nain jaune, les dominos créent une joyeuse animation. On bavarde aussi et, petit à petit, les conversations prennent une tournure plus mystérieuse : les allusions à la fête du Grand Saint se multiplient, une sorte de magie imprègne la veillée. Je récite un poème appris à l'école. Ensemble, nous entonnons  l'une ou l'autre chanson.

Je me souviens d'une très belle mélodie wallonne, Sint-Nicolèye (paroles d' Émile Durbuy et  musique de Pierre Van Damme) dont on ne chante que le premier couplet – le deuxième,  entendu une fois, m'avait fait verser des torrents de larmes ! Parfois, notre concert est interrompu par une pluie de noisettes, de « nic-nac », de caramels qui s'abat sur nos têtes. Pourtant, aucune porte, aucune fenêtre ne s'est ouverte... Aucune main gantée de blanc n'est apparue. Bien plus tard, en revivant ces moments, j'ai revu ma maman : ces soirs-là, elle avait gardé son tablier de ménagère muni de deux énormes poches...

Presque chaque matin, nos chaussures recèlent quelques trésors : une mandarine, des noisettes, un «  sujet » en chocolat...Une formalité reste à accomplir avant l'épilogue de cette histoire : la visite à Saint Nicolas ! Pour atteindre Liège, où il réside, nous empruntons le « trolleybus » qui nous débarque au centre de la ville, à deux pas du Grand Bazar, qui abrite le Palais du grand saint.

Pour moi, c'est le dépaysement total : le bruit, la foule, les voitures. Mais, dès l'arrivée, devant les vitrines illuminées, j'oublie le monde alentour. Il n'y a plus que des poupées animées, vêtues de robes plus « franfreluchées »  les unes que les autres, des paysages montagneux avec des forêts, des ruisseaux, des maisons et des trains qui se croisent, enjambent des ponts et s'arrêtent devant des petites gares... Puis on entre dans cet immense magasin où on atteint enfin le Palais. C'est un dédale de couloirs éclairés et décorés qui nous plongent dans un monde enchanté. Je les ai parcourus tant de fois pendant mon enfance, puis plus tard avec mes enfants, que je ne me risque pas à décrire ce que je voyais à l'époque de mon récit : je ne pourrais que mélanger tous ces décors renouvelés chaque année.

Seul le couloir plus sombre et plus étroit qui mène à la salle du trône me semble immuable : couloir de l'angoisse où l'on étouffe quelques sanglots, où des menottes s'agrippent aux grandes mains ...Est-on jamais certain d'avoir été irréprochable ? Puis, soudain, en pleine lumière, on se trouve devant LUI ! Promesses, balbutiements, une main gantée de blanc qui caresse les cheveux et un cadeau : une grenouille en métal dont le clac-clac va bientôt retentir dans tout le magasin.

À la sortie du Palais, l'émerveillement succède à l'angoisse. Tout un étage est consacré aux jouets. On y trouve des jeux connus, plus pimpants que les nôtres, bien sûr, et on s'attarde surtout devant les nouveautés, que nous n'avons évidemment pas découvertes à la TV ni dans des feuillets publicitaires ;  ici on peut les voir en action, les toucher et même les essayer. J'aimerais tout recevoir, mais, de retour à la maison, mes désirs sont peu précis. J'attends le grand jour avec confiance sans exigence particulière !

Plus que trois fois dormir avant le 6 décembre ... À cette époque, Saint Nicolas ne passe qu'à cette date et, ce jour- là, tous les écoliers sont en congé ! La veille, on dépose nos assiettes sur la table à côté d'une bouteille de pèkèt, d'un verre et d'une carotte pour l'âne. A mon réveil, je guette les bruits de la maison et dès que j'entends mes parents dans la cuisine, je me précipite dans la chambre de mon frère, qui, bien plus âgé que moi, ne croit plus au miracle et me suit sans enthousiasme.

Chaque année, c'est le même scénario : sitôt la porte ouverte, je m'immobilise, bouche bée, ne sachant où regarder. Nos assiettes débordent de spéculoos, massepain, chocolat sous toutes ses formes : personnages, pièces d'or, cigarettes, souris et sucettes en gomme, lacets en réglisse, nic-nac, ...Un grand plat regorge de mandarines, de pommes rouges bien luisantes, de noix, de noisettes. Une moitié de la table a reçu les cadeaux de mon frère : des livres, du matériel pour la pêche, des accessoires pour vélo. Une grande partie de la pièce est colonisée par mes jouets : j'y retrouve ceux qui avaient disparu les jours précédents : petits meubles fraîchement repeints, lits de poupées garnis de draps soigneusement repassés,  gros nœud de ruban retenant le voile du berceau et tous mes enfants vêtus de neuf. L'une ou l'autre nouveauté aussi : une valisette garnie de matériel de puériculture, une dînette, une balance, des casseroles. Souvent aussi, saint Nicolas ajoute un jeu de table et il n'oublie jamais le gros cahier cartonné orné de son effigie, ni la boîte de crayons de couleur. Il me faut longtemps pour apprivoiser toutes ses richesses, je ne touche à rien, je regarde, heureuse, tout simplement.

Mes petits enfants eux aussi sont heureux à la Saint Nicolas, mais si je compare leur bonheur au mien, je suis à peine triste d'être née il y a déjà si longtemps. » 

Yvette Brismée-Antoine en 1938-39
yvette


1 Claude LEVI-STRAUSS, « Le Père Noël supplicié » dans Les Temps modernes, 7e année, n° 77, mars 1952.
2 (ibidem, p. 21).  Historiquement, Father Christmas [Père Noël] est un avatar de Santa Claus, dénomination anglaise de saint Nicolas. Son expansion aux Etats-Unis au cours du XIXe siècle, est due au succès d'un texte d'abord intitulé « A Visit From Saint Nicholas », rebaptisé plus tard en « Twas the Night Before Christmas », publié en 1822 par Clement Clark Moore, professeur de littérature orientale à la Columbia University.
3 Ce témoignage a paru pour la première fois en 2008 dans l'Alphabet des souvenirs, revue bisannuelle du Séminaire des Arts et Traditions populaires de Wallonie, séminaire qui regroupe d'anciens étudiants et auditeurs libres de mes cours à l'ULg.

Trois chansons de Saint-Nicolas d'Yvette Brismée-Antoine

1. (sur l'air du Valeureux Liégeois)

Grand St-Nicolas
Venez ici-bas
Emplissez nos corbeilles
Cahiers et crayons
Joujoux et bonbons
Mettez tout à merveille

Si Hanscroufe est encore fâché
Nous lui donnerons de l'avoine pour son âne
Si Hanscroufe est encore fâché
Nous lui donnerons du pain sec à manger

2.  

Saint-Nicolas
Patron des enfants sages
Pour te prier, je me mets à genoux
Entends ma voix,
À travers les nuages
Et cette nuit, apporte des joujoux

Je voudrais bien une ménagerie
Avec des fleurs et des petits oiseaux,
Une montagne, une verte prairie
Et des moutons qui boivent dans le ruisseau

Tralala tralala (bis)
Tralalalalala...
Lala

J'ai bien appris
Ma leçon de grammaire
Aux bonnes sœurs
J'obéis chaque jour
Et chaque soir,
Je dis bien mes prières
Pour que Dieu donne
À Maman d'heureux jours

Écoutez la chanson : 

3. 

Saint-Nicolas bonhomme
Apportez-moi des pommes
Des pommes et des raisins
Saint-Nicolas, c'est mon cousin.

Écoutez la chanson :

 

Que reste-t-il, septante ans après, des traditions décrites par Yvette ? À la maison, la télévision et l'ordinateur ont modifié les longues soirées d'automne. Chansons et poèmes sont toujours appris à l'école ; leur transmission spontanée, d'enfant à enfant, ou transgénérationnelle dans le milieu familial, a, par contre, quasi disparu. Les pluies de noisettes, de nic-nac ou de caramels se font rares, d'autant que les mamans ne portent plus guère de tabliers à grandes poches... La tradition des chaussures placées sur l'escalier ou près du foyer a mieux résisté mais les barres chocolatées ou les bonbons de fabrication industrielle y ont bien souvent remplacé les noisettes et « sujets » en chocolat.

Les galeries commerciales rivalisent d'ingéniosité pour attirer enfants et surtout parents. Dire que la visite au grand saint ne provoque plus la même angoisse et le même émerveillement est sans doute exact car cette visite se résume le plus souvent à : « - Bonjour, comment t'appelles-tu ? ». Arthur, Léonie ou Marvey décline alors son prénom, d'une voix fluette.

« - As-tu été bien sage ? ». La réponse est invariablement « oui » ...et le saint de remettre un petit sachet de friandises ou une poignée de chiques à l'enfant, sous l'objectif du photographe de service qui ne perd rien de la scène afin de monnayer peu après l'instantané auprès de la maman ou de la grand-mère.

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La tradition de l'assiette vide déposée, le soir du 5 décembre, sur la table du living, auprès d'un verre de pèket pour le saint et de carottes pour son âne, a résisté dans quelques familles. Elle se perd néanmoins, d'autant que le passage de saint Nicolas n'est pas toujours programmé en date du 6 décembre matin. Difficile de mettre son assiette quand le saint « passe » le samedi à 16 heures ou le dimanche à 13 heures... De plus, les friandises sont le plus souvent vendues sur une assiette de carton ou de plastique toutes préparée, à la boulangerie ou dans la grande surface où saint Nicolas s'approvisionne habituellement. Parmi les fruits, seules les mandarines ont encore la cote. Pommes, noix et noisettes ne sont plus à la mode et il est loin le temps où l'unique orange était un cadeau convoité. Les bounames (bonshommes de pâte), massepains, spéculoos et couques de Dinant en forme de saint font heureusement encore briller les yeux des petits car le chocolat, consommé quasi quotidiennement, n'est plus une surprise. Le choix des jouets est moins souvent dicté par la tradition que par les campagnes de marketings des sociétés multinationales spécialisées. De façon générale, nous dirons qu'ils sont plus colorés, plus emballés, plus fragiles aussi que leurs ancêtres et qu'il serait impensable aujourd'hui de recevoir, comme Yvette, de « petits meubles fraîchement repeints » et d'anciennes poupées « vêtues de neuf ». 

Le changement le plus important en matière de coutumes est sans doute l'omniprésence de saint Nicolas dans la vie sociale, favorisée sans doute par notre société de consommation. Aujourd'hui, l'enfant reçoit jouet ou friandise chez tous les membres de la famille, voire chez les amis ou voisins des parents, il en reçoit à l'école, à la crèche ou chez la gardienne et dans les clubs sportifs, mouvements de jeunesse, écoles de musique, etc., qu'il fréquente au long de l'année. La Saint-Nicolas se fête aussi dans les homes de personnes âgées, dans les associations, les clubs de loisirs, les théâtres et semble n'être réservée à aucune classe d'âge. Il est loin le temps où seuls les petits garçons quêtaient de porte à porte pour obtenir de la farine, du beurre, du sucre et des œufs, qu'une fois rentrés à la salle du village ou à l'école, ils donnaient aux mamans volontaires ou à l'institutrice pour qu'elle leur confectionne des gaufres ou des galettes. Nous avons observé cette coutume pour la dernière fois à Merlemont (Philippeville) en 1976.

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Françoise Lempereur
Novembre 2009


crayon
Françoise Lempereur a soutenu une thèse de doctorat sur la transmission du patrimoine immatériel, matière qu'elle enseigne aux étudiants de master en Histoire de l'art et en Communication de l'ULg.


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