Saint / diable Nicolas

Dans les pays germaniques, le personnage de saint Nicolas est ambigu. Il peut être ce saint débonnaire, représenté en évêque, que l'on connaît tant en France que chez nous, mais il peut aussi se muer en croque-mitaine effrayant, surtout durant l'une des quatre Rauhnächte (nuit du 5 au 6 décembre ; nuit du solstice, le 21 ; nuit de la Saint-Sylvestre, le 31, et nuit des Rois, du 5 au 6 janvier), particulièrement hantées par les démons, ou encore durant les douze nuits qui séparent la Noël des Rois. Même s'ils sont appelés Klaüse (Nicolas) en Suisse, les personnages qui assument cet aspect négatif, inquiétant, voire démoniaque, de saint Nicolas durant ces nuits, ne sont souvent que les accompagnateurs d'une figure plus avenante représentant l'évêque.

 
 
 
Le comportement de ces êtres terrifiants est similaire dans toutes les régions : ils produisent un énorme vacarme à l'aide de fouets, de chaînes, de cloches ou de sonnailles de toutes dimensions, de cornes ou de trompes. En Autriche, les Krampus qui accompagnent le vieux saint barbu sont toujours des personnages velus, vêtus d'une énorme pelisse, le visage dissimulé derrière un masque hideux à la longue langue rouge et surmonté de cornes. Ils suscitent la peur en menaçant non seulement les enfants désobéissants mais aussi les adultes qu'ils sermonnent publiquement et les jolies filles dont ils pincent volontiers le bas du dos1.

Les traditions des jeux de saint Nicolas, appelé Nikolo, Niglo, Santaklos ou Klos, se perpétuent avec une remarquable constance en Styrie, au Salzkammergut, au Tyrol et au Vorarlberg. En Allemagne, en Alsace et en Flandre par contre, elles ont quasiment disparus.

 

 

 

En Suisse, l'apparence des Klaüse a connu presque partout des changements au cours de ces dernières décennies : les masques hideux, grimaçants se sont effacés au profit de personnages aux costumes chatoyants ou harmonieux. Ainsi, dans les cantons de Schwyz et de Zoug, les Klaüse parcourent les rues des villes et villages, la nuit du 6 décembre, vêtus d'aubes blanches et coiffés de gigantesques mitres ajourées éclairées de l'intérieur.

En Appenzell, les Silvesterklaüse (littéralement : « Nicolas de la Saint-Sylvestre ») sont, pour la plupart, revêtus d'éléments naturels – mousses, faines, branchages, champignons, pommes de pin – collés ou cousus sur une enveloppe de tissu qui dissimule complètement corps et visage. Ici, pas de saint Nicolas car ils sortent le Jour de l'An2.

Le folkloriste et philologue bâlois Klaus Meuli voit en eux des « personnifications des anciens démons de la mort et, dans leurs formes feuillues vertes, une expression claire d'un culte de la végétation qui n'est plus consciemment perçu comme tel3».

L'ethnologue française Colette Méchin, qui a consacré sa thèse de doctorat, à la Faculté des sciences humaines de Strasbourg, à l'étude du culte, des traditions et des fêtes de saint Nicolas, analyse aussi les accompagnateurs de saint Nicolas en les rapprochant des sonneurs ou porteurs de cloches et des claqueurs de fouets qui animaient autrefois la nuit du 1er au 2 novembre en de nombreux endroits (y compris chez nous). « Le cliquetis des chaînes et les trompes annoncent l'intrusion des morts dans le monde des vivants » rappelle-t-elle4. Et la plupart des masques anciens de ces accompagnateurs du saint étaient hirsutes, sombres et cornus – comme l'est toujours le Krampus autrichien –, masques bestiaux ou masques humains alliant saleté, manque de dignité, parfois même cruauté. 

Saint Nicolas étudiants 2002

Le Père Fouettard français, le Zwarte Piet flamand et néerlandais, l'Hansmuff (littéralement : Jean qui fait la moue) des Cantons de l'Est et l'Hanscroufe (Jean le bossu) wallon semblent bien n'être que des versions édulcorées d'un de ces « diables Nicolas », face négative du vénérable et vénéré « saint Nicolas ».  

Chez nous, la dualité de saint Nicolas avait une fonction symbolique qui rejoignait en quelque sorte sa fonction pragmatique : saint distributeur de friandises et de jouets aux enfants sages et studieux, il se devait, pour jouer pleinement son rôle moralisateur, de sanctionner les enfants désobéissants ou paresseux. Mais, comme tout châtiment s'accompagne de mesures peu compatibles avec la sainteté du personnage, celui-ci déléguait ses pouvoirs à celui qui l'accompagnait, le fameux « Père Fouettard ». J'emploie à dessein l'imparfait car dès l'instant où, dans les familles, les corrections corporelles et les punitions effectives ont disparu (après mai 68, diront certains, grâce à Françoise Dolto, diront d'autres), le Père Fouettard a fait de même. Les centres commerciaux et les cortèges institutionnalisés ont gardé un « valet » de saint Nicolas, d'aspect vaguement diabolique, mais il ne fait plus peur aux enfants et son rôle est essentiellement figuratif. 

 

 

Françoise Lempereur
Novembre 2009

 

crayon

Françoise Lempereur a soutenu une thèse de doctorat sur la transmission du patrimoine immatériel, matière qu'elle enseigne aux étudiants de master en Histoire de l'art et en Communication de l'ULg.

 

 
 

 


 

 

1 Voir Michel REVELARD, Fêtes et traditions masquées d'Autriche, Binche, Musée international du Carnaval et du Masque, 1987.
2 Françoise LEMPEREUR, « À la rencontre des Sylvesterklaüse » dans Tradition wallonne, revue annuelle de la Commission royale belge de Folklore, t. 3,  1986, pp. 113-124.
3 F. FUCHS et H. SCHLAPFER, Festbräuche im Appenzellerland, Herisau, Verlag Appenzeller Hefte, 1980 (traduction personnelle).
4 Colette MECHIN, Saint Nicolas. Fêtes et traditions populaires d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Berger-Levrault, 1978.
5 Claude LEVI-STRAUSS, « Le Père Noël supplicié » dans Les Temps modernes, 7e année, n° 77, mars 1952.
 

 

Photo des Krampus © CultureDrome