Sexuation ou sexisme ? Le cas de saint Nicolas et du Père Noël

«Vous n'allez quand même pas lui offrir ça ?!? »

garçon cuisine

Marc a 4 ans. Dans sa liste à saint Nicolas, il demande une batterie de cuisine et un petit four pour cuire des gâteaux. La liste circule auprès des grands-parents, parrain et marraine, fonctionnement traditionnel auquel les parents tiennent, chacun doit cocher ce qu'il va offrir. L'année passée, il voulait un Tigrou en peluche, une auto rouge, et un train duplo, chacun a participé en approuvant. Saint-Nicolas lui a tout apporté le 6 décembre. Mais cette fois, rien ne va, ses parents ne reçoivent que des remarques de désapprobation : « Vous n'allez quand même pas lui offrir ça ? », « Vous êtes sûrs qu'il ne veut pas autre chose ? », « Oui c'est mignon mais ce n'est pas fait pour les garçons ! ». La parenté veut corriger la sexuation parentale qui de toute évidence dévie des normes acceptables. Marc est un petit garçon, il ne peut recevoir ce jouet, sous-entendu parce que c'est pour les filles, or le rôle des parents est de faire de Marc un vrai garçon viril, c'est-à-dire loin des choses de la cuisine. Les jouets permettent à l'enfant d'imiter ses parents pour apprendre ce qu'il doit devenir à son tour. C'est le père de Marc qui cuisine et fait les gâteaux, en accord parfait avec son épouse qui déteste ça. Jamais, on ne lui a reproche son manque de virilité. Le couple, hétérosexuel classique, a trouvé un équilibre qui respecte et rencontre les désirs des deux partenaires. Paradoxe de l'époque, les deux fonctions principales du jouet sont incompatibles parce que opposées. Saint Nicolas doit trancher.

Hakim a 5 ans, l'année passée, du Père Noël  il a reçu la cuisinière, avec un four et un petit évier, il voudrait que saint Nicolas lui apporte des petites assiettes et des tasses, des casseroles et un rouleau pour étaler la pâte, et faire tout comme sa mère qui vit en famille monoparentale. Non seulement il fait de la pâte à sel avec elle, mais il adore mettre la main à la pâte avec tous ceux de sa famille qui cuisinent, grand-mère, tantes, oncles. Ainsi pâte à crêpes, crèmes, mousse au chocolat, soupes, blancs en neige n'ont plus beaucoup de secrets pour lui. Il le raconte très fier à l'institutrice qui se rassure parce qu'il joue aussi avec des voitures, des camions, des avions et les animaux du zoo et de la ferme. La liste d'Hakim est longue et mêle Flash Mac Queen, T-Rex avec vélociraptors et service dînette. La famille d'Hakim est fière de lui parce qu'il s'intéresse à tout, les petites filles se le disputent déjà, c'est un homme parfait. Mais l'institutrice l'a vexé en disant que « le noir et le bleu c'est pour les garçons, le rose c'est pour les filles », il portait ce jour-là un pull à rayures roses et bleues, certains copains ont ri. L'adulte référent l'a anormé au milieu de ses pairs. La sexualisation se construit avec des représentations différentes au sein du même système culturel. La difficulté  pour les enfants est de grandir, de manière homogène, intègre et équilibrée, au milieu d'une multitude de représentations hétérogènes, incohérentes voire contradictoires. Et devenir, malgré tout, des adultes épanouis qui se côtoient et vivent ensemble.

Lucie a 4 ans, sa mère qui a garé facilement son 4X4 dans un espace assez réduit, vient de la faire pleurer dans le magasin de jouets en l'empêchant d'admirer les superbes voitures de pompiers, ambulances et camions-poubelles pour la planter devant les aspirateurs, planches à repasser, Barbie, petits poneys et littlest Petshop « Regarde comme c'est beau tout ça, dis-moi ce que tu aimerais avoir chérie ? ». Laura, elle,  a ému ses parents en demandant timidement à saint Nicolas de lui apporter un bébé Corolle qui fait pipi et un maxi-cosy buggy 3 en 1 rose qui fait siège-auto, couffin et poussette. « À 5 ans elle sait déjà tout ce qu'il faut, c'est mignon ». Autant Lucie a failli à l'apprentissage féminin que sa mère lui donne – la voiture c'est plus tard, quand la gendérisation féminine est fixée–, autant Laura satisfait les attentes sociofamiliales qui reposent sur elle.  Où se situe la féminisation d'une femme libre daptée et correspondant à son époque?

 

Rose pour les filles, bleu pour les garçons     

Rose et bleu  rose et bleu

JeongMee Yoon, The Pink and blue Project : SeoWoo and Her Pink Thing, Light jet Print, 2006 & Ethan and His Blue Things, 2006
Copyright and Photo Licence © JeongMe Yoon. All right reserved.   

Les catalogues de jouets de tous types de magasins ont envahi  les boîtes aux lettres depuis des semaines permettant aux enfants de faire leurs listes pour saint Nicolas et le Père Noël. C'est-à-dire qu'il y a soudain une concentration des modèles sexués étalée sur trois mois de l'année, le reste du temps n'étant que des rappels réguliers de la mise en scène sexuante proposée pour les fêtes de fin d'année. Tout va servir aujourd'hui encore à construire non pas des enfants mais des garçons et des filles, non pas des (pré-) adolescents mais des jeunes filles et des jeunes garçons, qui donneront les adultes, femmes et hommes de demain. Et l'infans n'est pas tenu à l'écart de cette sexualisation, puisque dès sa naissance, mais souvent bien avant, dans la volonté de sa conception, puis grâce à l'échographie dans les sociétés technologisées, on sexue le bébé par l'usage des couleurs et des petits vêtements. La difficulté est que les codes et les normes diffèrent d'une culture à l'autre, obstacles à la compréhension.En Allemagne, par exemple, c'est le rose qui est dévolu aux garçons et le bleu aux filles...

Cette utilisation des couleurs est une sexuation radicale, c'est l'information première qui va permettre aux enfants de savoir dans quelles pages du catalogue ils peuvent faire leur choix mais aussi où ils doivent faire leurs choix sous peine de représailles. L'éducation est normée. Et le système a beau être dénoncé, il perdure parce qu'il fonctionne.

 

 

 

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