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Saint Nicolas, de l'histoire à la légende

25 novembre 2009
Saint Nicolas, de l'histoire à la légende


saint nicolas

Présence dans les écoles, les clubs sportifs, les galeries commerciales, arrivée publique en hélicoptère ou en calèche, représentations en chocolat, en couque ou en pain d'épice, collecte et guindaille des étudiants... À cette époque de l'année, saint Nicolas est omniprésent dans notre région. Quelles que soient sa provenance ou ses croyances, chaque enfant résidant en Wallonie (ou ailleurs, comme on le verra plus loin) est très tôt confronté à l'image d'un homme âgé, à la fois imposant et accueillant, prêt à distribuer friandises et jouets, à qui on associe quantité de légendes, d'usages et de comportements.

La récente polémique à propos de la croix qui figure sur sa mitre et que d'aucuns voudraient voir disparaître, montre à quel point le personnage dérange les militants laïques qui y voient l'emprise d'une Église monopolistique d'autrefois. La disparition du « saint » est cependant loin d'être une réalité programmée puisque chaque école ou chaque entreprise, même dotée d'un pouvoir organisateur anticlérical, se plie à la tradition. Celle-ci a certes évolué au cours des siècles, elle reste profondément ancrée dans notre patrimoine immatériel. 

Saint Nicolas a-t-il existé ?

L'existence historique de saint Nicolas fait l'objet de nombreuses controverses. Aujourd'hui pourtant, les spécialistes s'accordent pour situer sa naissance vers 265 ou 270 après JC, à Patare, important port de la province romaine de Lycie, au sud de l'Asie mineure, actuelle Turquie, et pour admettre que, vers 290-300, il devint évêque de Myra, autre ville de la même province, à environ 80 kilomètres à l'est de Patare. Le jour de sa mort nous est parvenu – le 6 décembre – mais pas l'année.

L'accession de Nicolas au rang d'évêque fut particulière puisque les écrits hagiographiques prétendent qu'il reçut cette dignité suite à un songe qu'avait fait un des membres de l'assemblée de prières réunie dans la ville au lendemain de la mort de l'évêque local, et qu'il passa directement de l'état laïque à l'épiscopat, prouesse que l'Église ne reconnaît que pour trois saints seulement : saint Nicolas, saint Sévère et saint Ambroise. Pour le reste de sa biographie, aucune relation contemporaine n'est avérée authentique par les Bollandistes. Sa participation au Concile oecuménique de Nicée en 325 est même contestée et il est certain que bon nombre de vitae, dont la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine (mort en 1298), semblent confondre Nicolas de Patare avec un homonyme, saint Nicolas, archimandrite du monastère de Sion et évêque de Pinare, qui vécut deux siècles après lui1.

Quoi qu'il en soit, la popularité de « notre » saint Nicolas, déjà réelle au VIe siècle à Constantinople et dans l'Église d'Orient, se répandit en Occident dès le VIIIe siècle, grâce aux moines orthodoxes qui cherchaient à fuir les persécutions des iconoclastes. On écrivit alors de nombreux hymnes et récits hagiographiques en son honneur et les miracles qui lui furent attribués favorisèrent des cultes de plus en plus lointains et qui se transmirent souvent jusqu'à nos jours.

 

Les patronages qui lui sont liés

manne st nicolas

La réputation de ces miracles firent de lui davantage un saint patron qu'un saint guérisseur, quoique de nombreuses guérisons furent et sont encore imputées à la manne ou myron, liquide aromatique qui exsude de ses ossements. Ce liquide « miraculeux » dont les textes parlaient déjà avant le transfert des reliques à Bari en 1087, est encore recueilli, le soir du 9 mai de chaque année, par le Prieur de la Basilique Saint-Nicolas de Bari, en présence de l'Archevêque catholique et du Métropolite orthodoxe. La manne récoltée dans une ampoule de verre est alors versée en partie dans de petites fioles qui seront conservées telles quelles, au trésor du Vatican et aux archives de Bari notamment, le reste est dilué dans de l'eau bénite destinée à être vendue aux pèlerins.

Saint Nicolas a été choisi comme saint patron de territoires (la Russie et la Lorraine), de métiers ou de fonctions (bateliers, flotteurs de bois, pêcheurs, marins, tonneliers, marchands, dentellières, enfants de chœur, etc.) mais aussi et surtout de groupes d'âge ou de catégories sociales (enfants, écoliers, étudiants, prisonniers, filles à marier et prostituées). Chacun de ces patronages se rapporte à un épisode de sa vie légendaire.

saint nicolas des marins

Ainsi, de nombreux miracles sont liés au pouvoir de saint Nicolas de calmer les tempêtes et de sauver les marins des écueils en tout genre. Il se retrouve dès lors patron des navigateurs, des voyageurs et des pêcheurs et, dans nos régions, plus particulièrement des bateliers, des flotteurs de bois et des pontonniers, qu'il préserve des inondations. Ainsi, à Saint Petersbourg, une église est dédiée à Saint-Nicolas-des Marins (photo ci-contre).

Liège, comme de nombreuses villes d'Europe occidentale, possédait autrefois son « pont Saint-Nicolas », doté d'un petit oratoire.

Sa protection des filles à marier et des prostituées concerne la période où il n'était pas encore évêque : Nicolas aurait alors aidé anonymement un voisin qui, ne pouvant assurer l'entretien financier de ses trois filles, les destinait à la prostitution. Ayant rassemblé de l'argent, le futur saint en jeta par trois fois - pour chacune des filles -, de nuit, par la fenêtre du voisin ; celui-ci put ainsi doter ses filles et leur éviter le déshonneur.

Plus tard, Nicolas sauve trois innocents de la peine capitale, en s'emparant de l'épée de leur bourreau, et délivre du cachot trois généraux, condamnés à mort pour raisons politiques. Le voilà donc protecteur des prisonniers et de ceux qui sont injustement condamnés. Par ailleurs, comme au cours de sa vie, il n'eut de cesse de punir les voleurs et de faire restituer les objets volés à leur propriétaire, les commerçants et les financiers voient en lui un allié et se placent sous son patronage.


 


1 Pour l'étude des sources, voir notamment Gerardo CIOFFARI, Saint Nicolas. L'histoire et le culte, Bari, Centro studi Nicolaiani, 1996

Mais comment expliquer que saint Nicolas soit le patron des enfants ? L'actuel spécialiste mondial de saint Nicolas, le Père Cioffari, parle d'un « malentendu littéraire » (« trois innocents » comme synonyme de « trois enfants ») et d'un autre, iconographique (trois incarcérés comme trois enfants dans un cuveau), à l'origine d'une légende franco-allemande dans laquelle il fut conté qu'un hôtelier ou un boucher assassina trois enfants, les découpa en morceaux et les mit au saloir. On connaît la suite : « Sept ans après, saint Nicolas, saint Nicolas passa par là... ». Précisons qu'il fallut attendre le XIIe siècle, soit 800 ans après la mort du saint, pour que naisse cette légende.

La légende des enfants au saloir fut le sujet d'un jeu médiéval. Il inspira un chant, sur un air proche de l'hymne Pange Lingua, dont le texte fut publié pour la première fois en 15822.

 

Il était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs
   
S'en furent un soir chez un boucher :
- Boucher voudrais-tu nous loger?
- Entrez entrez petits enfants               
Y'a d'la place assurément

Il n'étaient pas sitôt rentrés
Que le boucher les a tués
Les a coupés en p'tits morceaux
Mis au saloir comme pourceaux.

Saint-Nicolas au bout d'sept ans
Vint à passer dedans ce champs
Alla frapper chez le boucher :
- Boucher voudrais-tu me loger? 

- Entrez entrez Saint Nicolas
Y'a d' la place, il n'en manque pas.
Il n'était pas sitôt rentré
Qu'il a demandé à souper :

- Voulez vous un morceau d'jambon?
- Je n'en veux pas il n'est pas bon
- Voulez vous un morceau de veau?
- Je n'en veux pas il n'est pas beau. 

Du p'tit salé, je veux avoir
Qu'il y a sept ans qu'est dans le saloir.
Quand le boucher entendit c'la
Hors de la porte il s'enfuya.

- Boucher, boucher, ne t'enfuis pas
Repens-toi, Dieu te pardonn'ra.
Saint-Nicolas alla s'asseoir
Dessus le bord du saloir :

- Petits enfants qui dormez là
Je suis le grand Saint-Nicolas!
Et le saint étendit trois doigts
Les p'tits se l'vèrent tous les trois.

Le premier dit : - J'ai bien dormi!
Le second dit : - Et moi aussi
Et le troisième répondit :
- Je me croyais au Paradis!


 

Sa longue transmission orale engendra des variantes locales parfois fort curieuses. En voici une, recueillie à Monceau-Imbrechies (région de Chimay), où, jusqu'aux années 1960, elle servit de chanson de quête aux garçons du village, le jour de la Saint-Nicolas3, alors que les filles pratiquaient une quête similaire le 25 novembre, pour la Sainte-Catherine.

Saint Nicolas a trois enfants
Ils sont bien riches et gros marchands.
Ont tant allé, ont tant venu
Que le soleil ils ont perdu.
S'en vont demander à loger
Tout droit chez un maître-boucher :
- Boucher, boucher, maître-boucher
Voudriez-vous bien nous héberger ?
- Oh, nènni-da, mès p'tits enfants,
Nous n'ons point d'lit pour vous coucher
....
Ah revenez, mès p'tits enfants,
Nous ons un lit pour vous coucher.
Les ont pris, les ont découpés
Dans un tonneau les ont salés.
Sept ans après, saint Nicolas
Saint Nicolas passa par là.
- Ah ! Voulez-vous de ce jambon ?
- Je n'en veux pas, il n'est pas bon
Ah ! Donnez-moi du p'tit salé
Qu'il y a sept ans que vous gardez.
Quand le boucher entend cela
Il prend son bâton, il s'en va.
- Boucher, boucher, ne t'en vas pas
Prie bien, ton pardon tu l'auras
Mais pour ta femme, ne l'auras pas
C'est elle qui t'a conseillé ça.

saint nicolas
 


Patron des enfants, saint Nicolas affectionne particulièrement ceux qui font preuve d'obéissance et qui s'appliquent dans leur travail. Pas étonnant dès lors que le saint devienne le patron des écoliers, petits et grands, et des enfants de chœur.

 


 

2 Information donnée par Roger Pinon
3 Cette chanson fut notée après la 2e guerre par Maurice Vaisière, d'après deux témoins locaux : Lia Pierre et Roland Vaisière. Elle figure sur le disque Anthologie du Folklore wallon n°2 publié par le CACEF en 1974

 


 

Les lieux de cultes

Les archives que détiennent les monastères russes commencent à livrer des informations sur le culte de saint Nicolas dans l'Église byzantine et, à travers elle, en Turquie et dans les pays du Moyen-Orient. Ainsi, sous l'impulsion d'un tourisme de plus en plus développé sur la côte méridionale turque, la redécouverte du présumé tombeau de saint Nicolas, à Myra, attire aujourd'hui un nombre considérable de visiteurs ou pèlerins.

Pour ce qui est du monde occidental, le culte est essentiellement focalisé autour de deux localités : la ville italienne de Bari, dans les Pouilles, et la commune de Saint-Nicolas-de-Port en Meurthe-et-Moselle, à 12 kilomètres de Nancy. Toutes deux doivent leur renom aux reliques du saint qu'abritent leurs églises respectives.

 

St Nicolas Bari St Nicolas Bari
Procession de saint Nicolas à Bari

 

La Basilique Saint-Nicolas de Bari, de style roman, est l'une des églises les plus imposantes du sud de l'Italie, au centre d'une localité de près de 400.000 habitants. La translation du corps du saint en 1087 fut décrite avec force détails par des historiographes contemporains. On connaît jusqu'aux noms des 62 marins qui ramenèrent la précieuse relique, au terme d'une véritable expédition, longuement préparée, qui s'apparente plus à un vol qu'à un geste pieux. Arrivés le 7 mai au large de Bari, ils durent attendre la marée haute du lendemain pour entrer au port Saint-Georges, distant de quatre milles de la ville elle-même. De là, les ossements saints furent acheminés dans une châsse portée par une foule enthousiaste jusqu'au lieu où, peu de temps après, commença à s'élever la majestueuse basilique devenue depuis un des plus grands centres de pèlerinages du monde chrétien. Ainsi, cette année par exemple, pour le 922e anniversaire de la translation, les célébrations religieuses ont duré douze jours et les manifestations civiles, 6 jours, culminant les 7,8 et 9 mai. Le 7, un cortège historique de plus d'un millier de figurants a parcouru les rues de la cité entre 21 et 23 heures, suivi d'un gigantesque feu d'artifice. Le lendemain, les portes de la basilique ont été solennellement ouvertes dès 4h 30 du matin, au son de toutes les cloches de la ville. Entre 4000 et 5000 participants ont assisté à la messe dans et autour de l'édifice et plusieurs dizaines de milliers de pèlerins, venus essentiellement d'Italie et d'Europe de l'Est, ont ensuite participé aux célébrations et processions qui se sont succédé jusque tard dans la nuit et ont repris le samedi 9, jour du prélèvement de la manne.

Bari
Basilique Saint-Nicolas de Bari, Italie.
Construite entre 1087 et 1196, cette basilique contient des reliques du saint, dont on extrait la manne, chaque année, le soir du 9 mai.
Photo ©Szepattila
tombe saint  nicolas
Tombe à Myra, montrée aux touristes comme étant celle de st Nicolas. La tombe originelle serait sur l'île de Gemile, abandonnée vers 650 devant la menace arabe. Photo prise par le Padre Gerardo Cioffari

 

Eglise st nicolas
saint nicolas lorraine

Rien de tel à Saint-Nicolas-de-Port, commune de 7500 habitants. Érigée en gothique flamboyant entre 1481 et 1545, la basilique de Port possède des dimensions de cathédrale puisque ses deux tours de façade, à clochers bulbeux, culminent à 85 et 87 mètres. Elle n'accueille cependant plus qu'une manifestation religieuse importante, la procession aux bougies de la Saint-Nicolas, le soir du 6 décembre. Le reste de l'année, rares sont les fidèles qui viennent honorer le saint éponyme dont une phalange, dérobée à Bari par un Lorrain de retour de croisade, fut à l'origine d'un culte qui naguère attira sur les bords de la Meurthe des milliers de pèlerins. De la fin du XVe siècle jusqu'à la guerre de Trente ans qui la ruina en 1635, Saint-Nicolas-de-Port était une bourgade au commerce florissant, plus peuplée et plus connue que Nancy. On y venait de toute la France mais aussi de notre région, prier le saint thaumaturge, exorciste, guérisseur et protecteur des pauvres.

En France comme en Belgique et sans doute dans de nombreux autres pays, les églises dédiées à saint Nicolas sont nombreuses. L'actuel diocèse de Liège compte par exemple huit églises paroissiales (Liège Outremeuse / Saint-Nicolas / Stembert / Waret l'Evêque / Souxhon / Strée-lez-Huy / Vaux et Borset / Fraiture) et deux églises annexes (Theux-Marché et Hallembaye)4. Parler cependant de « lieux de culte » à leur sujet est délicat car les pratiques rituelles qui accompagnaient les fêtes patronales des corporations placées sous le patronage de saint Nicolas et les dévotions particulières qui l'honoraient ont disparu, depuis plusieurs siècles parfois. La fête du saint a pris, dès le XVIIe ou le XVIIIe siècles5, un caractère de réjouissances familiales, amplifié durant la seconde moitié du XXe siècle par une véritable exploitation commerciale. Qui, de nos jours, chez nous, prie encore saint Nicolas ?

 

Françoise Lempereur
Novembre 2009


crayon
Françoise Lempereur a soutenu une thèse de doctorat sur la transmission du patrimoine immatériel, matière qu'elle enseigne aux étudiants de master en Histoire de l'art et en Communication de l'ULg.


 
 


4 Source : service de presse et de communication de l'Evêché de Liège
5 Source : Alain COLLIGNON, Dictionnaire des saints et cultes populaires de Wallonie. Histoire et folklore, Liège, éditions du Musée de la Vie wallonne, 2003, p. 456

 
 
Photo de la statue de Saint-Nicolas © Yvan Cerfontaine, Les églises de Liège
 


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