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Il faut sauver Saint Nicolas

25 novembre 2009
Il faut sauver Saint Nicolas

Les parents sont quelquefois tentés de mettre fin à la croyance de leur enfant, par refus du mensonge et de la tromperie, par peur des moqueries de la part des camarades, ou parce qu'ils pensent aider ainsi leur enfant à grandir. Le docteur Jean-Marie Gauthier, pédopsychiatre, pense au contraire qu'il faut sauver le mythe ancien, dans l'intérêt de l'enfant...     

 

... parce que la croyance est naturelle

enfant noël

Jusqu'à l'âge de 6 ans, l'enfant est dans un univers naturellement merveilleux, dans un espace auquel il n'imagine pas de limites, une sorte de bulle qui lui apporte la sécurité dont il a besoin. Il est donc naturellement enclin aux croyances. Ce sont les années magiques. Ensuite, lorsqu'il se rend compte qu'il peut mentir, cacher des choses à ses parents, il commence à se poser des questions, à émettre des doutes. C'est le début de l'âge de raison. À ce moment-là, il cesse de croire au Père Noël. C'est naturellement qu'il n'a plus envie d'y croire, il se désillusionne en grandissant. 

Raconter l'histoire de saint Nicolas n'est donc nullement une tromperie, c'est participer à cette magie, dont l'enfant a besoin. Ce n'est jamais un problème pour lui. On ne croit jamais trop ou trop longtemps au Père Noël ou à saint Nicolas.  Ce qui peut être délicat, en revanche, c'est d'être forcé trop tôt à y renoncer. Il est bien préférable de laisser les choses se faire toutes seules, plutôt que de vouloir que l'enfant soit plus avancé intellectuellement qu'il ne peut l'être. Le contraindre à vivre la Saint-Nicolas dans le cadre de référence de l'adulte, c'est un peu lui voler son enfance.

Pourquoi pousser les enfants à grandir plus vite, à être tout de suite dans la performance ? Performance pour quoi ? qui conduit à quoi ?  Quel est vraiment l'objectif de l'adulte quand il pense vouloir aider son enfant ?  Il est important de se poser toutes ces questions.

... parce que la magie est indispensable

Le mythe de saint Nicolas (ou du père Noël) gêne certains parents par son caractère irrationnel. Or, si on prive l'enfant du caractère magique de la fête, elle perd sa signification symbolique et inconsciente, dont l'enfant a besoin pour soutenir sa confiance dans l'avenir. Si on le pousse trop tôt à la rationalité, l'enfant n'est pas armé pour affronter les difficultés de la vie.

Et que font ces parents-là des dessins animés ou des ours en peluche en costume de marins ?

Il faut bien l'avouer, les adultes ne sont pas rationnels non plus ! Le docteur Gauthier le souligne avec force : « Arrêtons de croire que nous sommes des êtres rationnels ! Qui pourrait trouver de la raison dans la crise financière que nous avons vécue ? Nous sommes dans un monde de marchandises, parfaitement irrationnel. La société est organisée autour de l'argent. Or l'argent porte en lui sa propre destruction, puisqu'on ne peut rien en faire, sinon le dépenser, c'est-à-dire le faire disparaître. C'est complètement irrationnel. Nous avons construit des fictions que nous présentons comme rationnelles, parce qu'elles fonctionnent sur le mode rationnel, mais la fiction sous-jacente, c'est bien une fiction. »


saint nicolas

... parce que c'est un mythe qui parle à l'inconscient

On ne raconte plus guère l'histoire des trois enfants découpés en morceaux par un boucher et mis au saloir, pour être mangés plus tard. C'est dommage. C'est pourtant un vieux mythe de l'humanité, une vieille histoire qui a été habillée par la religion, mais qui est bien plus ancienne. Elle parle d'enfants dépecés par des adultes malveillants et d'anthropophagie. Et saint Nicolas les sauve. C'est très rassurant.

De même, dans la tradition, quand le père Fouettard veut punir l'enfant qui n'a pas été tout le temps sage, saint Nicolas s'interpose, il le protège. C'est aussi très rassurant : l'enfant a besoin qu'on reconnaisse qu'il ne peut pas être sage tout le temps.  

Il faudrait raconter de nouveau cette histoire et  reprendre les chansons et comptines, qu'on considère aujourd'hui comme des vieilleries. Ces histoires apportent pourtant à l'enfant des connaissances, sur lui-même et sur la société, adaptées à son âge.  Elles sont d'une grande richesse humaine.

 

... parce que la société de consommation est violente

Aujourd'hui,  la violence est entrée dans la famille, les parents doivent acheter des objets que les enfants doivent avoir pour être normaux socialement. Les adolescents sont particulièrement sensibles à ces valeurs commerciales. Dès lors, les parents se mettent quelquefois dans des situations financières extrêmement difficiles pour répondre à des exigences purement commerciales de leurs enfants.

Autrefois, la maison était complètement fermée le soir. Aujourd'hui, ce n'est plus jamais le cas, à cause du téléphone, de la télévision et d'internet, l'espace parental s'est extrêmement réduit. L'autorité qui était portée par les parents est désormais le fait des médias et des valeurs commerciales, qui ont remplacé les valeurs relationnelles. C'est très difficile d'y résister. Les familles précarisées n'ont pas toujours la distance nécessaire. Les adultes se sentant eux-mêmes rejetés, marginalisés, ne souhaitent rien autant que d'intégrer leurs enfants. Pour cela, ils sont souvent prêts à des dépenses extrêmement déraisonnables. L'enfant n'est pas roi pour autant : sa réalité est niée, au contraire. Il est seulement consommateur de biens. Et les médias font croire aux parents qu'ils sont de bons parents parce qu'ils ont acheté les biens en question. 

 

Il faut donc sauver Saint Nicolas !

De tout cela, il faut sauver saint Nicolas : de la rationnalisation, du besoin de performance, des exigences de la consommation ! Dans l'intérêt des enfants.

 

Claudine Purnelle
Novembre 2009

 

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Jean-Marie Gauthier est pédopsychiatre. Il enseigne la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, ainsi que la psychologie clinique à L'ULg. Il a publié en 2008 De la guerre des boutons à Harry Potter.


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