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Saint Nicolas et Père Noël expliqués aux grands

25 novembre 2009
Saint Nicolas et Père Noël expliqués aux grands

Alors que ses trônes inondent déjà toutes les galeries commerciales, le Grand Saint et son don d'ubiquité est de retour. Et avec lui, revient tout le lot de questionnements des parents. Nous avons tenté de trouver quelques réponses en interrogeant Marcel Casteleyn, psychologue clinicien, chercheur et maître de conférence à la Faculté de Psychologie et des sciences de l'Éducation de l'ULg.

Souvent, les enfants ont envie de rencontrer Saint Nicolas mais dès qu'ils sont devant lui, ils sont pris d'une peur panique et veulent faire demi-tour. Pourquoi le Grand Saint effraie-t-il ?

saint Nicolas

Il n'est pas rare que l'on assiste, dans les magasins, à des scènes où les enfants sont terrifiés à l'idée de rencontrer Saint Nicolas. Alors qu'ils semblaient d'accord avec l'idée d'aller le saluer, ils se mettent soudain à hurler et à pleurer. Et souvent, ce qui me choque, c'est que cela semble amuser certains adultes.

Ce retournement de situation peut s'expliquer si l'on considère que ce n'est pas la chose elle-même qui provoque du plaisir ou de la peur, mais plutôt l'idée que l'enfant s'en fait ou même, l'idée que les parents s'en font. Ce n'est donc pas Saint Nicolas lui-même qui effraie les enfants mais plutôt l'idée qu'ils se font de lui, ce qu'il est dans leur imaginaire, ou, pour parler plus correctement, dans leur fantasmatique. D'un point de vue psychologique, il n'y a pas de difficulté à mettre en évidence le rapport que peuvent entretenir Saint Nicolas ou le Père Noël avec l'image du père.

Saint Nicolas n'a ni femme ni enfants... on pourrait donc peut-être le rapprocher plus facilement de l'image du grand-père, qui, dans l'esprit de l'enfant, est plus souvent considéré comme en dehors de toute rivalité. Dans le mythe, son rôle est de reconstituer ce qui a été morcelé et donc de recomposer les enfants coupés en morceaux par le boucher, qui, ici, incarne le versant mutilant du père. Par une condensation un peu rapide, on pourrait considérer ce père comme le «mauvais» père.

Alors, on pourrait se demander pourquoi un tel mythe a été inventé. Lorsque l'on étudie la représentation du père dans la psychologie de l'enfant, on remarque qu'à certains moments de son développement, l'enfant voit son père comme le plus fort du monde puis à d'autres, comme un ennemi dans sa relation avec la mère, l'un et l'autre pouvant d'ailleurs être contemporains. Au moment où il désire le plus faire disparaître son père, par crainte de représailles, l'enfant fait naître dans son esprit l'image d'un père méchant, mais ceci n'est qu'une phase normale du développement de la fantasmatique de l'enfant.

Si on revient au rapprochement entre l'image du père et les personnages de Saint Nicolas ou du Père Noël, on peut souligner que ces derniers distribuent des cadeaux de manière inconditionnelle, même si les enfants ont été méchants, même si à un moment donné de l'année écoulée, ils ont détesté leurs parents... Saint Nicolas sert à réparer la construction fantasmatique du père méchant. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de certaines frayeurs. Ainsi, si les parents instrumentalisent le Grand Saint, s'ils disent à l'enfant qu'il ne recevra pas de cadeaux... ils donnent corps au fantasme du père méchant, celui qui punit, qui menace. Cela peut n'être pas sans conséquences.

Faut-il utiliser Saint Nicolas pour inciter l'enfant à grandir (par exemple, profiter de cette période pour que l'enfant donne sa sucette à Saint Nicolas) ?

La question que je me pose en retour serait alors la suivante : pourquoi les parents veulent-ils forcer leur enfant à grandir ? L'enfant grandit, et il grandit d'autant mieux que le plaisir apporté par son évolution est plus grand que celui apporté par ce qu'il sait déjà faire. Être fort comme son père par exemple est plus gratifiant que de rester dans les jupes de sa mère.

Les parents qui sont dans le forçage essaient de réaliser leurs propres souhaits et font souvent en sorte d'avoir l'enfant qu'ils auraient voulu être. Malheureusement, dans ces cas-là, ce sont eux qui en paieront le prix à un moment ou à un autre, ou leur enfant, qui se trouvera dans une situation de détresse. Je pense qu'il ne faut pas utiliser Saint Nicolas dans ce but, l'enfant finira par lâcher seul sa sucette et s'il ne le fait pas, il faudra alors chercher ce qui l'empêche de le faire. En réalité, c'est une utilisation perverse du mythe : le «bon» père de la réalité a la charge de réparer un fantasme et il faut lui laisser ce rôle, ne pas l'instrumentaliser.

Cette question rejoint un peu la question de l'autorité qui ne doit pas être mutilante et dévoratrice, mais doit plutôt être vécue comme un principe protecteur. Elle est d'ailleurs en cela le précurseur du rapport que l'adulte entretient avec la loi. Celui qui, adulte, comprend que le feu rouge le pousse à s'arrêter pour sa propre sécurité a compris le principe protecteur de la loi et donc précédemment de l'autorité. Le but de l'autorité, c'est avant tout de structurer la psychologie de l'enfant. Si l'on utilise le chantage (si tu ne fais pas ça, Saint Nicolas ne viendra pas) comme outil éducatif, on aura droit plus tard à du chantage en retour (si tu ne me donnes pas d'argent, je ne rangerai pas ma chambre).

 

Que répondre aux plus grands qui commencent à poser des questions concernant l'existence ou non de Saint Nicolas ?

Tout enfant croit en un monde où tout est possible. L'enfant a un vécu magique : par exemple; comment s'étonnerait-il que l'argent sorte des murs puisqu'il voit régulièrement ses parents en extraire ? Pour l'enfant donc, distribuer des cadeaux à la Belgique entière en une nuit n'est pas pensé comme impossible, descendre par la cheminée qui est murée non plus. Cependant, l'enfant commence à poser des questions à partir du moment où il entend courir le bruit parmi ses petits copains que Saint Nicolas n'existe pas. Et, généralement, lorsqu'on lui confirme la chose (ici, c'est aux parents eux-mêmes de « sentir » le bon moment), ce qui chagrine l'enfant, ce n'est pas que Saint Nicolas n'existe pas, c'est le fait qu'on ne lui avait rien dit avant et qu'il a eu l'air «bébé» devant ses amis qui, eux, savaient déjà. Même si, au fond de lui-même, il continuera toujours un peu à y croire...

Nous voyons d'ailleurs dans les multiples croyances déraisonnables des adultes une forme disons plus évoluée, plus mûre, de ces mécanismes et de leur coexistence avec une pensée raisonnable. Rien n'empêche, par exemple, un scientifique d'étudier Darwin et de croire en Dieu. L'esprit humain est équipé pour traiter cette ambivalence.

 

dessin noël

 

Faut-il fêter Saint Nicolas, le Père Noël ou les deux ?

Le choix de l'un ou l'autre relève pour moi de traditions familiales. Si, dans la famille de l'enfant, les parents ont toujours fêté davantage Père Noël et un peu moins la Saint Nicolas, il suffira de l'expliquer à l'enfant qui peut très bien comprendre la situation. Le tout est d'inscrire ce choix dans une histoire et une tradition familiales.

Cependant, si les grands-parents eux-mêmes préfèrent offrir des cadeaux lors de l'autre fête, cela ne pose pas de problème parce que le statut des grands-parents est un statut particulier et il n'est pas à mettre sur un pied d'égalité avec celui des parents. Le rôle des grands-parents, c'est d'offrir à l'enfant un lieu sans conflit, un endroit où d'un point de vue psychologique, l'enfant n'entre en concurrence avec personne. Il n'est pas rare, dans l'enfance, comme à l'adolescence d'ailleurs, que le fils en révolte contre son père, voie en un de ses grands-pères un homme neutre, auprès de qui il peut trouver un peu de repos, mettre au calme ses luttes intérieures. Et cela ne sera pas nécessairement et automatiquement un problème non plus si les grands-parents couvrent les enfants de cadeaux, le tout est de ne pas étaler outre mesure les cadeaux dans le temps et de ne pas répéter indéfiniment les fêtes de fin d'année comme on le voit faire dans certaines familles. L'enfant doit et veut bien souvent conserver l'idée d'un moment magique et surtout limité dans le temps.

Comment gérer les nombreux cadeaux que l'enfant reçoit des autres membres de la famille ?

noel

Malheureusement, nous sommes aujourd'hui face à une désacralisation de Père Noël et de Saint Nicolas à cause de la scandaleuse récupération commerciale dont ils sont victimes. L'image du « bon père » n'est pas celle d'un père qui offrirait tout et tout le temps. Les cadeaux de la Saint-Nicolas ou de Noël doivent pouvoir garder leur côté exceptionnel et unique, c'est ce qui leur donne leur valeur structurante.

Je me rappelle le cas d'un petit garçon que la mère noyait sous les cadeaux, un jour qu'elle lui avait offert un nouveau cadeau pour le récompenser d'être venu à sa séance, il lui a répondu « Mais maman, arrête avec tes cadeaux, ce n'est plus la Saint-Nicolas ! » D'autre part, on remarque souvent que les enfants victimes des excès de générosité de la part des membres de leur famille finissent par « oublier » de reprendre leurs cadeaux, un moyen efficace pour se protéger contre l'écœurement procuré par la démesure de la fête. 

Les parents se demandent souvent s'il faut privilégier des jouets éducatifs ou des jeux qui amusent. Quel est votre avis à ce sujet ?

Je suis étonné de ce type d'opposition. J'ai l'impression que les gens qui font ce type de différence ne savent pas ce qu'est le jeu et la notion de plaisir qu'il provoque. On doit avant tout penser à des jeux avec lesquels l'enfant va pouvoir jouer. Et il y jouera parce que le jeu va satisfaire son plaisir de découverte, de curiosité mais aussi parce que ce jeu lui permettra de reproduire des réalités tout en réparant ce qui a été blessant pour lui. Prenons l'exemple d'une petite fille qui a eu une mauvaise journée d'école, qui s'est fait gronder par son institutrice. Que fait-elle ? Elle rentre chez elle, aligne ses poupées et leur passe le savon du siècle. Elle reproduit sa réalité tout en réparant ce qui a été blessant. C'est un peu schématique, mais le mécanisme est celui-là.

L'enfant a une perception d'un monde où règne la toute-puissance et reste persuadé qu'il peut agir sur le monde. Un résidu de ce mécanisme se trouve dans l'expression fausse utilisée par tant d'adultes : "Quand on veut, on peut." C'est une des raisons pour lesquelles les jeux vidéo ont tant de succès : les enfants se vivent comme s'ils pouvaient voler, faire des bonds de 3 mètres et assommer des géants. Ainsi, dans les jeux vidéos, ils entrent dans la peau de leurs personnages favoris et mettent en actes leur fantasmatique. Ce à quoi, nous, parents, nous devons veiller, c'est de bien leur préciser que ce n'est qu'un jeu. Nous devons nous garder de toute séduction du même type vis-à-vis de l'enfant. Ce qui fera la limite de l'enfant, c'est le modèle parental. Si l'enfant vit dans un monde perçu comme régi par des lois de type magiques, de toute puissance, nous devons, nous adultes, nous garder de l'y enfermer et devons, au contraire lui signifier que le chemin est la réalité et pas une fuite illusoire dans le fantasme.

En clair, ce n'est pas juste la volonté d'un adulte qui lui apporte ce qu'il désire, il y a à passer par la réalité pour toute chose (des études pour un diplôme, une grossesse pour un enfant, du temps pour mûrir, etc.). C'est cela qui est structurant pour l'enfant : lui faire sentir que l'illusion de toute puissance mène à l'impuissance... En revanche, c'est le détour par la réalité qui permettra à l'adulte d'atteindre «la puissance», les plaisirs réels plutôt que des pseudo-satisfactions illusoires (la possibilité d'exercer un métier, de faire des enfants, de fonder une famille). Mais il faut lui laisser découvrir cela à son rythme et ne jamais le couper de ces racines magiques : c'est le terreau de la fiction, de l'imagination, de la créativité et quelquefois du génie, qui, comme chacun sait est d'abord et avant tout un étonnement.

Les parents qui posent la question en termes « éducatif ou ludique », montrent que, pour eux, les deux sont antagonistes et que l'apprentissage de choses sérieuses ne peut se faire dans le plaisir et la rêverie. C'est évidemment faux, c'est même tout le contraire. Le succès d'émissions du type «C'est pas sorcier» est bien dû à la rencontre entre le plaisir de découvrir en s'amusant, au maintien intact de la curiosité infantile et humaine qui sont les deux vrais moteurs des apprentissages.

 

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Donc, en résumé : Saint-Nicolas, comme le Père Noël, sont là pour apaiser une angoisse très profonde pour l'enfant et il faut leur laisser ce visage apaisant de celui qui aime inconditionnellement, ne pas l'instrumentaliser de manière perverse en maniant la punition.  Ce rôle est dévolu au mauvais, le Père Fouettard par exemple, qui, on le sait, ne sévit jamais et est complètement neutralisé par le bon Saint Nicolas ou le bon Père Noël.

Après tout, ils ne passent pas si souvent qu'on doive leur gâcher leur fête !

 

Vincianne d'Anna
Novembre 2009

 

 

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Vincianne d'Anna est journaliste indépendante

 


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