Un tableau de Léonard Defrance perdu et retrouvé

Monsieur Jean-Claude Bonnet, du Centre d'Étude de la Langue et de la Littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles (Sorbonne), a bien voulu m'informer que le Philosophe du port au bled fut repris au tome cinq du Tableau de Paris de Mercier sous le titre Naissance d'un prince (chap. CDXIV, t. I, p. 1135 dans l'édition du Mercure de France). Le texte, attribué à Diderot dans les Mémoires secrets de Bachaumont (XX, 164), fut l'objet d'un compte rendu flatteur de la part du  Journal helvétique de novembre 1781. Il connut, ajoute J.-Cl. Bonnet, « un réel succès en raison de sa vigueur et de l'événement auquel il faisait référence ».

Si l'on comprend qu'une « typographie plus indulgente » ait jugé opportun de publier un article refusé mais étroitement lié à l'actualité, on imagine mal le sens de sa réimpression en opuscule isolé en 1782. Celle-ci omet du reste l'Avertissement qui justifiait l'édition. L'explication serait-elle à chercher dans des circonstances locales incitant Plomteux à ressortir de l'ombre le Philosophe du port au bled ? Ou la reprise de celui-ci dans le Tableau de Paris, dont la première édition date de 1781, ne fut-elle pas plus déterminante dans la décision de republier un texte qui avait défrayé la chronique ? Tant qu'à faire, on peut imaginer que Plomteux donna lui-même une contrefaçon du Tableau : celui-ci connut très vite diverses réimpressions (sous l'adresse souvent suspecte de  « Londres » dès 1781, à « Amsterdam » en 1782-83 et de 1782 à 1788, etc.).  On voit comment ces éléments, de même que la chronologie des contrefaçons Plomteux de la troisième version de l'Histoire des deux Indes, établies par P. Gossiaux, tournent autour de 1782. Aussi serait-on enclin à retenir cette date pour la réalisation du tableau, plutôt que celle de 1784 ainsi que  le suggèrent le catalogue Terradès et, à sa suite, la notice du Musée des Beaux-Arts de Grenoble, désormais propriétaire de l'œuvre.

Celui-ci a en effet acquis la Visite à l'imprimerie en 2009 avec l'aide du FRAM Rhône-Alpes (numéro d'inventaire MG 2009-8-1). Madame A. Gérard, documentaliste, m'a aimablement communiqué  le programme de saison de son institution, qui reproduit  le commentaire de Monsieur Antoine Cahen dans le  catalogue Terradès.

« On retrouve ici la finesse des jeux d'ombre et de lumière, ce sentiment de vie et d'instantané qui rendent le style de Defrance si plaisant. Doué d'un sens de l'observation hérité de la peinture de genre hollandaise, l'artiste décrit  avec minutie l'intérieur de l'imprimerie, visitée par trois personnages élégamment vêtus. (...)  Si l'habit est encore ce qui distingue dans le tableau les différentes classes sociales les unes des autres, la composition en frise les met sur le même plan. C'est la rencontre entre les ouvriers et l'élite éclairée de l'époque que Defrance décrit et l'ancienne scène de genre devient alors hommage aux innovations techniques et au Progrès en marche ». 

On ne peut mieux dire.

(Lire l'addition à cet article dans les pages qui suivent)

Daniel Droixhe
Octobre 2009

 

crayon

Daniel Droixhe enseigne l'histoire du livre, la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles et la littérature wallonne à l'Université de Liège  

 



 
Defrance Defrance
 

Defrance  Defrance

 

 

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