Nicolas Ancion fait kidnapper le patron d'ArcelorMittal

Dans son sixième roman , « L'homme qui valait 35 milliards », le Liégeois Nicolas Ancion fait enlever Lakshmi Mittal, le patron du groupe sidérurgique ArcelorMittal. Un roman né d'une colère, qui est aussi un cri d'amour inquiet à la ville de Liège. 

 

Nicolas Ancion

Un Indien dans la ville

Steve Austin peut aller se rhabiller : il ne valait que trois milliards. Lakshmi Mittal pèse douze fois plus. Car c'est bien l'Indien, patron et principal actionnaire du premier groupe sidérurgique mondial ArcelorMittal, qui donne son nom, « L'homme qui valait 35 milliards », au dernier roman de Nicolas Ancion. Auteur d'une quinzaine d'ouvrages (poésie, littérature pour enfants et pour adolescents, recueils de nouvelles, romans), le Liégeois, diplômé en philologie romane de l'Université de Liège (1993), signe son premier « vrai » roman depuis Quatrième étage, il y a près de dix ans. Et il frappe très fort, en faisant enlever Lakshmi Mittal par un commando de pied-nickelés emmené par un artiste à la recherche d'un « coup », et bien décidé à faire payer aussi au patron indien le sort réservé à la sidérurgie liégeoise et à ses travailleurs.

« C'est une thématique qui me tracasse depuis longtemps déjà », explique Nicolas Ancion. « Depuis l'annonce de la fermeture de la phase à chaud liégeoise en 2003. On sait depuis lors qu'à terme, on va perdre des milliers d'emplois en région liégeoise. Et ce n'est même pas un enjeu politique lors des élections ! Je n'ai pas, moi, de solution miracle à proposer. Mais on se retrouve complètement dépendants d'un seul homme et lui dérouler le tapis rouge, notamment en lui donnant des quotas de CO2, ce n'est sans doute pas la bonne. L'immobilisme du monde politique dans ce dossier est très frustrant. Et face à cela, ma seule arme, c'est d'écrire un roman. »

Une arme dont Nicolas Ancion, porté par sa colère, fait chauffer le canon avec un plaisir enfantin, l'œil bien rivé sur la cible : celle d'un monde où ce qu'un seul homme possède sur ses comptes en banque « dépasse de loin le coût, le prix et les frais généraux liés à une paire de poumons, quelques kilos de viscères, un squelette pour soutenir l'ensemble et un peu de peau pour cacher tout ça. » Un monde où l'homme ne vaut plus rien.

Qu'on ne s'y trompe pas : Lakshmi Mittal, en fait, n'est pas le personnage principal du roman, pas plus que ses ravisseurs. « L'homme qui valait 35 milliards » parle avant tout de Liège. Ses maisons ouvrières de brique rouge, la fumée de ses usines, le cours paresseux de la Meuse, ses syndicalistes puissants, ses politiciens obnubilés par leur image, ses toxicomanes, ses trublions artistiques, ses habitants si bon enfant qu'ils en oublient de se fâcher.

 

Les défauts d'une ville attachante

Nicolas Ancion (c) Dominique Houcmant - Goldo

Une serveuse de fast-food qui rêve d'une autre vie, un homme terrorisé par son fils, esclave de l'héroïne, un « métallo » écrasé par le spectre d'une vie sans avenir : c'est dans cette galerie de personnages si finement observés, narrés à la deuxième personne, que l'écriture de Nicolas Ancion prend toute son ampleur. Car à l'ironie mordante que lui inspire sa colère, l'auteur ajoute alors sa tendresse et une vraie poésie, filles de son amour.

« Les défauts d'une ville, comme d'un personnage, c'est finalement ce qui les rend attachants », estime encore l'auteur de Perdre ses facultés (Éditions de l'ULg). « J'aime énormément Liège, avec ses paradoxes. Mais j'avais ressenti un grand désarroi au sortir d'une campagne d'élections communales menées pour Écolo en 2006. J'en étais ressorti avec le sentiment que tout était bouché, bloqué. Ce fut le déclencheur de ce roman. Je me suis dit : « Vite, retournons à la littérature : c'est là que je me sens bien ! ». C'est vrai, ce roman parle de Liège. Mais je constate qu'il touche beaucoup de gens qui ne connaissent pas du tout la ville. »

Nicolas Ancion par Dominique Houcmant - Goldo

De loin le roman de Nicolas Ancion le plus ancré dans le réelL'homme qui valait 35 milliards  se dévore comme un polar et réjouit par son culot et la justesse des questions qu'il pose. La FGTB ne s'y est d'ailleurs pas trompée, elle qui a... acheté une quarantaine d'exemplaires pour le faire lire à ses délégués, alors même que le syndicalisme ne sort pas indemne de l'aventure.

Et Lakshmi Mittal ? Figurez-vous qu'il s'est fait traduire le roman en quelques heures lors de sa sortie et qu'il l'a lu. Et que lors d'un récent « comité de suivi » chez ArcelorMittal, les représentants syndicaux se sont entendu dire par la direction liégeoise que le roman nuisait gravement à l'image de la société. Dans un sourire malicieux, Nicolas Ancion avait pourtant averti son lecteur dès la première page : « Parfois, on aimerait que les histoires qu'on invente ne soient pas de pures fictions. Mais ce livre est un roman : les personnages et leurs actions sont entièrement imaginaires. »

Imaginons, alors.

 

Pierre Morel
Octobre 2009

 

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Pierre Morel est journaliste indépendant et collabore notamment au quotiden « Le Soir ».

 

Voir aussi : Nicolas Ancion, À quoi sert la culture ?



 
Photos © Dominique Houcmant - Goldo 

« L'homme qui valait 35 milliards », de Nicolas Ancion. Éd.Luc Pire.

www.nicolasancion.com

 

« L'homme qui valait 35 milliards », de Nicolas Ancion a remporté le Prix Rossel des Jeunes 2009  !