Lectures pour l'été 2013 : Polars et thrillers

Quelque part en France

 

albertini Antoine Albertini, La femme sans tête
Alix Deniger, I Cursini
Didier Daeninckx, Têtes de Maures

Voici trois romans policiers qui ont la Corse pour décor. Pour son premier roman, Antoine Albertini, journaliste à France 3 Corse et auteur du livre-enquête Les dessous de l’affaire Colonna, est parti d’un fait divers non résolu. À la fin des années 1980, un corps sans tête est découvert dans un caveau familial à Sante Lucia, «une «ébauche de village (…) qui perd son temps à se prendre pour une station balnéaire» située au nord-ouest du Cap Corse. Venu de Bastia, le major Serrier chargé de l’affaire ne faillit pas à son surnom d’«enquêteur numéro 1» en découvrant rapidement que la victime est Gabrielle Nicolet, une touriste disparue dix ans auparavant alors qu’elle était  en camping avec son fils. Un fils dont on a perdu la trace. Il se plonge dans cette enquête avec un acharnement qui surprend puis finit par indisposer ses collègues. Une obsession qui est également celle de l’auteur qui, avoue-t-il dans l’un des textes en italique qui clôt chaque chapitre, s’est vu interdire à dix-sept reprises par la justice la consultation du dossier.

 

denigerLe terrorisme corse et sa dérive mafieuse sont au centre d’I Cursini, le premier thriller d’Alix Deniger, un ancien agent des Renseignements généraux qui, pendant douze ans, a traqué les autonomistes, intégristes et extrémistes de tous poils. À travers ce jeu de cache-cache entre des nationalistes et ceux qui les pistent, notamment Hervé qui lui ressemble probablement beaucoup, l’auteur met le doigt sur une triste réalité: la frontière parfois très poreuse entre la lutte indépendantiste et le banditisme. Mais ce roman très bien informé met autre chose en lumière: la fracture générationnelle. François, élu nationalise au passé d’activiste, est débordé par la radicalité des jeunes qu’il a recrutés. Et qui, par exemple, n’hésitent pas à prendre les gendarmes pour cibles – ce qu’évitaient de faire leurs aînés –, au risque de voir débarquer sur l’île une armada de pandores.

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Depuis le remarquable Meurtres pour mémoire paru en 1984, Didier Daeninckx alterne polars et romans généralistes en témoignant d’un attrait certain pour l’Histoire (l’Occupation, les colonies françaises, la Commune de Paris, etc.). Têtes de Maures, paru dans une collection dirigée par un spécialiste du genre noir, Noël Simsolo, mêle habilement ses deux passions policières et historiques. Alors qu’il se recueille sur la tombe de deux fillettes dans un village corse, un petit escroc parisien du web est enfermé par des gros bras dans le coffre d’une voiture. Le roman est construit sous la forme d’un compte-à-rebours amenant à découvrir le lien reliant le suicide de la fille d’un parrain local, qui fut quelques années auparavant, sous une autre identité, l’amour d’été du narrateur, et les faits d’armes de deux célèbres figures du banditisme insulaire, François Caviglioli, tué par un policier peu de temps après avoir attaqué un hôtel de luxe en 1931, et Spada, guillotiné à Bastia quatre ans plus tard. Où l’on voit l’enquêteur occasionnel, recopiant le journal secret de la prétendue suicidée dont le frère est mort dans l’explosion d’une bombe destiné à une villa défigurant le littoral corse, s’approcher trop près d’une vérité pas bonne à dire. Impeccable, du grand Daeninckx.
(Antoine Albertini, La femme sans tête, Grasset, 352 p. - Alix Deniger, I Cursini, Gallimard/Série Noire, 288 p. - Didier Daeninckx, Têtes de Maures, L’Archipel, 208 p.)

 

martyÉric Marty, La cœur de la jeune chinoise

En se réveillant le matin, Politzer découvre la fille qui partage sa couche assassinée. Il s’enfuit par les toits et trouve refuge chez une prostituée chinoise qui le protège. La défunte, une étudiante d’origine tunisienne, appartenait à Ligne rouge, un groupe d’extrême-gauche particulièrement opaque – comme ils le furent tous dans les années 1970 – et dirigé par un ancien prof de philo auto-rebaptisé Mao – tout un programme! Ce mouvement adepte de l’action violente est traqué par la police aidée à la fois par un traitre infiltré dans le premier cercle du mouvement et par un psy médiatique. Subtilement construit, soigneusement écrit, cet étourdissant polar politique signé par un spécialiste de Gide, Char et Barthes et placé sous le parrainage du néo-polar français, et singulièrement de Jean-Patrick Manchette, renvoie à une époque pas si lointaine en tenant le lecteur en haleine de bout en bout.
(Seuil/Fiction et Cie, 376 p.)

 

manottimanotti-doaDominique Manotti, L’évasion
Manotti - DOA, L’honorable société

manotti-bienconnuLe héros du nouveau roman de l’auteure de L’Honorable société (écrit avec DOA) ou de Bien connu des services de police, ancienne militante syndicaliste adepte des sujets sociaux, est un petit délinquant italien qui, début 1987, s’évade de prison dans une benne à ordures avec son compagnon de cellule, Carlo, un activiste des Brigades Rouges. Il se réfugie à Paris où il devient gardien de nuit à la Défense. Pour rompre son ennui et combler sa profonde solitude, il se met à écrire son histoire. Mais est-ce vraiment la sienne? À l’éditeur disposé à la publier, il affirme qu’il s’agit d’un roman, même s’il n’a pas modifié le prénom des personnages. À la sortie du livre, la presse s’intéresse, comme de bien entendu, à sa part autobiographique. Mais son auteur reste, sur ce point, mutique. Cette publication déplaît aux réfugiés transalpins qui, à cette époque, sont nombreux dans la capitale française. Au-delà de l’intrigue elle-même, L’évasion est le beau portrait d’un homme – qui pourrait évoquer Cerare Battisti sauf que Zuliani n’est pas engagé dans la lutte politique – projeté sans s’y être préparé sous le feu des médias. Et dont la route croise deux femmes, Lisa, une journaliste proche de son complice d’évasion, et Cristina, qui lui a servi d’intermédiaire avec l’éditeur.

Manotti et DOA, ces deux excellents auteurs de polars français en pointe sur la critique sociale et politique se sont associés pour un roman sombre à souhait, baignant dans les eaux troubles de la politique, de la finance et de l’écoterrorisme. L’honorable société s’ouvre sur le meurtre d’un flic qui se faisait passer pour un ingénieur travaillant dans le nucléaire auprès de sa maîtresse appartenant à un important groupe du BTP. Les coupables désignés seraient des écolos aux méthodes radicales et musclées. Trop facile, pour Pâris, un ancien de la brigade financière muté à la crim’. Il va mettre les pieds, en cette période d’élection présidentielle, dans un marigot aussi gluant que puant où il est notamment questions de collusions incestueuses entre politiciens et industriels. Toutes ressemblances avec la réalité ne sont bien sûr pas fortuites puisque ce livre haletant est le fruit d’une enquête minutieuse.
(Dominique Manotti, L'évasion, Gallimard/Série noire, 211 p. - Manotti-DOA, l'honorable société, Folio Policier, 383 p.)




deccaHervé Decca, 404 not found

Chacun a déjà été confronté à l’indication «404 not found» signifiant l’échec de la page web demandée. C’est aussi le titre de ce polar qu’une qualité rare par sa dimension sociale et sa qualité littéraire. Une tour et un lycée relient Déborah, adolescente survoltée, révoltée et intenable qui a disparu et Lila qui, elle, veut sortir, vivre sa vie, échapper à la tutelle de ses frères. Au-delà de l’enquête, c’est le triste portrait d’une cité telle qu’il en existe des dizaines aux abords des grandes villes françaises que dresse Hervé Decca dans ce premier roman qui déborde largement le stricte cadre du policier.
(Actes Sud/Actes Noir, 297 p.)

 


 

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