Lectures pour l'été 2013 : Polars et thrillers

Inspecteurs, commissaires, privés et autres enquêteurs

camilleri
Andrea Camilleri, L’Âge du doute

Auteur d’une œuvre monumentale, le Sicilien Andrea Camilleri n’en finit pas de trimbaler son héros, Salvo Montalbano, qui s’exprime en un mélange d’italien et de sicilien, sous le soleil de son île. S’il aime Vigata, ville fictive derrière laquelle se cache Porto Empedocle où l’auteur a vu le jour en 1925, ce n’est pas vraiment le cas de Livia Giovannini. Cette riche veuve dont le commissaire a justement secouru la possible nièce est en effet contrainte d’y prolonger l’escale avec son yacht de luxe, bientôt rejointe par un autre bateau du même acabit. Si Montalbano s’en va traîner ses 56 ans du côté du port c’est parce qu’on a retrouvé dans un canot un Français mort et défiguré. Et s’il s’implique d’autant plus dans cette enquête c’est qu’il en pince sérieux pour la lieutenant de la Capitainerie du port, la bien nommée Laure Belladonna. Savoureux, comme toujours.
(trad. Serge Quadruppani, Fleuve Noir, 256 p.)

 

astierIngrid Astier, Angle mort

astier-quaiAprès Quai des enfers, Ingrid Astier reste à Paris, et plus précisément sur les bords de la Seine, avec son deuxième roman noir, Angle mort. On retrouve les commandants Deprez et Duchesne ainsi que la brigade fluviale dans cette traque qui emmène le lecteur du canal Saint-Denis au port de l’Arsenal et à Aubervilliers, banlieue multicolore où Diego, braqueur né à Barcelone, partage avec son frère Archibaldo une hacienda délabrée. C’est lui, dont la sœur est trapéziste au cirque Médrano, qui, après une tuerie, est la proie de cette course-poursuite effrénée. S’étirant sur moins d’un mois – du 21 juin au 14 juillet 2011 -, cet Angle mort, contrairement à nombre de ses pairs, n’abuse pas des dialogues, préférant s’aventurer dans les méandres intérieurs de ses personnages. Tout en alternant les points de vue – les bons et les méchants – et même les personnes, l’auteure donnant de loin en loin la parole à Diego. Avec, toujours, un souci de style trop souvent mis de côté dans ce genre littéraire.
(Gallimard/Série Noire, 519 p.)

 

pennyLouise Penny, Défense de tuer

penny-natureAvouons-le: il est bien agréable de lire de vrais romans à énigmes. À l’ancienne, aurait-on presqu’envie d’écrire, sans déluge d’hémoglobine, de meurtres abominables et dans un style posé, quasi serein, de type Agatha Christie. Car c’est un peu dans les pas de la romancière anglaise que s’inscrit la Canadienne anglophone Louise Penny. Pour sa quatrième enquête traduite en français, l’auteure de Nature morte quitte le village de Three Pines pour le manoir de Bellechasse, un hôtel luxueux des Cantons de l’Est où l’inspecteur-chef Armand Gamache fête avec sa femme leurs trente-cinq ans de mariage. Seulement voilà: après une violente tempête, une femme est retrouvée sous la statue du patriarche auquel sa très bourgeoise famille était justement venue rendre hommage. Notre homme, doté d’une belle humanité, d’une solide intelligence et d’un subtil esprit de déduction – à l’instar d’Hercule Poirot ou de Maigret –, et qui plus est amoureux de sa femme (cela n’a rien à voir avec l’enquête mais donne de l’épaisseur au personnage), met dès lors ses vacances entre parenthèse pour résoudre cette nébuleuse affaire qui vient gratter un vernis familial finalement assez fin.
(trad. Claire et Louise Chabalier, Actes Sud/Actes Noirs, 406 p.)

Voir aussi l'avis de Chantal Mélard

 

russellGraig Russel, Un long et noir sommeil

En 1955, sont repêchés dans la Clyde, le fleuve qui traverse Glasgow, les restes d’un truand notoire porté disparu depuis presque dix-huit ans, Gentleman Joe. Affaire classé, donc. Sauf que Lennox, un privé peu en odeur de sainteté auprès de la police locale car il a aussi travaillé comme homme de main pour des personnages peu recommandables, reçoit la visite des deux filles du supposé défunt révélant que, depuis 1938, tous les 23 juillet, elles reçoivent mille livres chacune d’un donneur anonyme. Or le 23 juillet est la date anniversaire du braquage à l’Exposition impériale dans lequel s’est illustré leur paternel qui, depuis, n’a plus jamais donné signe de vie. De là à supposer que les ossements retrouvés dans le fleuve, malgré quelques indices irréfutables, ne sont pas les siens, il n’y a qu’un pas que Lennox hésite toutefois à franchir trop vélocement. Il lui reste donc à mener sa propre enquête. À cette intrigue fidèle aux canons du genre, la personnalité de son narrateur hanté par le récent conflit mondial, mêlant doutes et lucidité sur lui-même, mais ni dépressif ni désabusé comme nombre de ses pairs, apporte une dimension humaine tranchant avec la noirceur du monde dans lequel il baigne.
(trad. Aurélie Tronchet, Calmann-Lévy, 321 p.)

 

meganckMarc Meganck, Les Dessous de la Cambre

C’est de la terrasse d’un bel appartement surplombant l’abbaye de la Cambre que Van Kroetch, 36 ans, chômeur de longue durée autoproclamé détective privé, peut observer ce qu’il s’y trame et, qui sait, un coup de bol est toujours possible, avancer dans son enquête sur la disparition d’Anne-Marie, 16 ans. Dont la mère, une main de fer dans un gant de fer, lui a donné une semaine pour la retrouver, avant le retour du père professant aux antipodes. Et ainsi justifier ses confortables émoluments. L’appartement ne lui appartient pas, on s’en doute, lui occupe un deux-pièces d’une barre à l’autre bout de Bruxelles, mais il est loué par une belle jeune femme rencontrée en boîte de nuit. Car notre limier a la descente facile, ce qui ne l’aide pas à avoir toujours les idées claires. Qu’à cela ne tienne, entre une bière et du thon en boîte, il interroge des copines de la disparue, le cartographe de l’abbaye, également ancien soupirant de la belle, ainsi que les concierges du lieu. Et, ce faisant, il apprend plein de choses – et nous aussi – sur ce bâtiment édifié au début du 13e siècle et confié à des cisterciennes. Qu’à sa suite on visite de haut en bas, en découvrant les multiples recoins et richesses. Et notamment les caves oubliées de son ancien quartier agricole. L’auteur, Marc Meganck, qui est aussi historien, allie admirablement suspens, humour et érudition. Que demander de plus?
(180° éditions, 184 p.)

 

johnsonGraig Johnson, Dark Horse

Il y a d’abord l’auteur, Graig Johnson, a priori l’archétype de l’Américain des plaines invariablement coiffé de son chapeau de cowboy, vivant au cœur du Wyoming sur les contreforts des Bighorn Mountains dans un ranch que, selon sa biographie, il a construit de ses mains. Et effectivement, il a été cowboy, charpentier et pêcheur professionnel. Mais aussi policier – à New York! – et professeur d’université, ce qui complexifie nettement cet écrivain né en 1961 dont le petit éditeur Gallmeister publie les romans policiers depuis 2009. Dans Dark Horse, son septième traduit en français, on retrouve le shérif Walt Longmire qui enquête sur une affaire a priori limpide: une femme a tiré six balles dans la tête de son mari pour le punir d’avoir enfermé dans une grange ses chevaux auxquels elle tenait tant, avant d’y mettre le feu. Et d’ailleurs, elle a avoué. Mais Walt n’est guère convaincu et voilà cet homme intègre, droit, drôle aussi, très subtil, interrogeant incognito les habitants d’Absalom qui, c’est le moins qu’on puisse dire, se montrent peu coopératifs. Au-delà de l’intrigue et de la qualité de son écriture, ce Dark Horse vaut par son immersion dans un monde rural et passablement refermé sur lui-même, rétif à tout ce qui vient de l’extérieur (humains autant que progrès techniques), un monde où le temps semble s’être arrêté et qui, lui, correspond tout à fait à l’image qu’on en a. De l’excellente littérature.
(trad. Sophie Aslanides, Gallmeister, 328 p.)

 

flipoGeorges Flipo, La commissaire n’a point l’esprit club

flipo-versDeuxième enquête, après La Commissaire n’aime point les vers, d’une héroïne singulière, une femme assez teigneuse qui rêve d’enfin se trouver un «mec». En attendant, elle est envoyée à l’Esprit Club, sur l’île de Rhodes, avec un «bleu» charmant et gaffeur qui, contrairement à elle, apprécie ce lieu. Se faisant passer pour une scénariste auprès des Cocos et des Kikis (les GO), des Étoilas (les stagiaires et autochtones) et des Chéris et Chéries (les GM), elle tente de comprendre par qui et pourquoi le chef du village, le bien nommé King, s’est fait bastonner par quelques vacanciers égrillards et avinés qui s’imaginaient se déchaîner sur un pantin. L’auteur possède un humour pince sans rire qui fait merveille. Il n’a pas son pareil pour camper les situations parfois incongrues et croquer ses personnages, et surtout son héroïne qu’il regarde se dépêtrer dans son quotidien avec une infinie tendresse. Et derrière tout cela, il y a une vraie intrigue et son lot de suspects et de fausses pistes, et, à l’arrivée, un coupable et un mobile.
(Folio Policier, 304 p.)

 


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