Poches pour l'été - Histoire, documents, essais

Essais, documents, biographie

carrereEmmanuel Carrère, Limonov

C’est sur un homme controversé que se penche l’auteur de L’Adversaire. Né en Ukraine en1943, Edward Limonov a été successivement idole de l’underground soviétique sous Brejnev, clochard puis majordome d’un milliardaire à New York (épisode raconté dans Le poète russe préféré des grands nègres), écrivain sulfureux et hâbleur à Paris dans les années 1980 où il écrit dans L’Idiot International de Jean-Edern Hallier (et où Carrère le rencontre). Avant de se retrouver, les armes à la main, dans le camp des Serbes lors de la guerre en ex-Yougoslavie et finalement de fonder en Russie le parti national-bolchevik défilant aux cris de «Staline! Goulag!» sous les emblèmes du nazisme. Un homme bien peu fréquentable, donc, rêvant d’une «insurrection violente». Mais après un passage par la case prison, cet opposant résolu à Poutine prône aujourd’hui une révolution pacifique et démocratique. Si Emmanuel Carrère retrace bien la vie de ce personnage difficile à cerner, et ce faisant raconte notre histoire récente, c’est également de lui-même qu’il parle. De ce jeune homme trop bien élevé, en décalage avec sa génération et «nettement à droite», devenu l’auteur de douze livres loués par la critique. Et il le fait avec un regard critique, sans la moindre indulgence. (Folio)

 

chauveauSophie Chauveau, Fragonard. L'invention du bonheur

Lorsque disparaît Jean-Honoré Fragonard, le 22 août 1806, La Presse, le journal fondé par Renaudot, signale qu’Alexandre Evariste Fragonard a perdu son père âgé de 74 ans. Cela fait en effet vingt ans que l’auteur des Hasards heureux de l’escarpolette ne peint plus. Il ne sera redécouvert qu’à la fin du XIXe siècle, mais sous un angle précis, celui de ses «polissonneries». Les frères Goncourt le surnomment d’ailleurs le «chérubin de la peinture érotique». C’est donc sa vie, entamée sous Louis XV, poursuivie sous Louis XVI, la Révolution, le Directoire et le Consulat avant de se refermer sous l’Empire, que raconte avec fougue et appétit Sophie Chauveau dans cette biographie qui suit celle de Diderot (Folio).

Né à Grasse, arrivé enfant à Paris où il devient l’élève de Boucher, Fragonard va parfaire sa formation en Italie où il reste cinq ans. A Paris, dans les années 1860, il rencontre le succès mais aussi les critiques. La Révolution, il la passe en partie à Grasse et grâce à David, son ancien élève devenu professeur de son fils, il est nommé en 1793 conservateur au Museum, le futur Musée du Louvre habité depuis 1608 par des artistes, des savants et autres artisans d’art. Il reste à son poste jusqu’en 1800 avant d’en occuper avec sa femme l’un des vingt-six logements. (Folio)

 

tessonSylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie

A 37 ans, grand arpenteur de la planète, seul ou à deux, à vélo (On a roulé sur la terre), à cheval (La Chevauchée des Steppes) ou à pied dans l’Himalaya (La marche dans le ciel), Sylvain Tesson a relevé un défi tout à fait différent: vivre six mois seul dans une cabane sur les bords du lac Baïkal. Pendant ce séjour, où les températures pouvaient atteindre -34°, il a tenu ce journal qui a reçu le Prix Médicis de l’essai. Ce retrait volontaire du monde habité est l’occasion pour lui de réfléchir sur lui-même et sur la vie, de faire le tri entre les vraies et fausses valeurs du quotidien. Alternant le récit de ses journées (pêche, visites diverses) et de ses randonnées (parfois de plusieurs jours) avec les réflexions qui lui viennent, sans jamais souffrir de l’ennui, il propose un texte riche et profond, et parfois très drôle. Son seul lien avec la France est un téléphone cellulaire qui ne fonctionne quasiment jamais – et lorsque c’est le cas, c’est pour apprendre que la femme qu’il aime lui «signifie son congé». Nouvelle qui le plonge dans un état épouvantable, rappelant que, derrière l’ermite, il n’en reste pas moins homme. (Folio)

 

zieglerJean Ziegler, Destruction massive

Jean Ziegler, qui fut rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation entre 2000 et 2008, la famine qui sévit en Afrique est «le scandale de notre siècle». Dans «l’indifférence générale», dénonce-t-il dans cet essai paru en 2011, «toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim alors que l’agriculture mondiale pourrait nourrir sans problème douze milliards d’êtres humains». Chiffres, statistiques et exemples à l’appui, le sociologue suisse pointe du doigt «les ennemis du droit à l’alimentation», c’est-à-dire l’OMC, le FMI et la Banque mondiale. Ces «trois Cavaliers de l’Apocalypse de la faim» défendent la libération totale des flux de marchandises, de brevets, de capitaux et de services tandis que sont «menacés de ruine» la FAO et le Programme alimentaire mondial. Il dénonce également le «mensonge» des trusts agroalimentaires qui prétendent que l’énergie végétale, qu’ils fabriquent et commercialisent, constitue «l’arme miracle contre la dégradation du climat», ainsi que les spéculateurs en biens alimentaires qui font de plantureux profits sur la misère des petits producteurs. (Points)

 

elaswanyAlaa el-Aswany, Chroniques de la Révolution égyptienne

Bien avant la chute de Moubarak, dans les articles qu’il publiait dans la presse, qui tous se terminaient par la phrase «La démocratie est la solution», l’auteur de L’Immeuble Yacoubian se demandait pourquoi les Egyptiens ne se soulevaient pas tant son pays était miné par la corruption, l’islamisme, la régression économique, les exactions policières, le népotisme, etc. Cinquante de ses textes, dont plusieurs écrits pendant le soulèvement, sont rassemblés dans ce livre qui dit beaucoup sur une société qui, deux ans après la révolution, peine encore à trouver sa voie. (Babel)

 

gueganGérard Guégan, Fontenoy ne reviendra plus.

Voici contée la vie paradoxale d’un dandy intellectuel et cultivé élevé par ses grands-parents qui, par haine de Staline et du stalinisme, passe de la gauche à la Collaboration. Du soutien à la Révolution russe à Sigmaringen. Du dadaïsme à la LVF (Légion des Volontaires français contre le bolchevisme, dont il est l’un des initiateurs). De l’agence Havas et de La Nouvelle Revue Française où, en 1933, il pourfend le nazisme, à la création du Mouvement Social Révolutionnaire qui se fond dans le Rassemblement National Populaire de Marcel Déat. Tout cela sans jamais renier son admiration pour Trotski. Avant de se suicider au cyanure en avril 1945 à Berlin, à 46 ans – son corps n’a jamais été retrouvé. S’attachant à ce parcours sinueux, Guégan tente de comprendre les raisons de cette évolution. Il le fait à la fois en biographe, en historien et en romancier. Il s’insinue dans une existence imprégnée d’alcool et d’opium, principalement marqué par deux femmes, dont une Juive, mère de son fils François (que l’auteur a rencontré). Et jalonnée d’une poignée de livres, notamment L’école du Renégat, paru fin 1936 chez Gallimard, où il manifeste son ralliement à Hitler (la Révolution russe l’ayant fait «cocu»), ou Cloud ou le communiste à la page publié par Grasset l’année suivante. (Folio)


Michel Paquot
Juin 2013

crayongris2Michel Paquot est journaliste indépendant et chroniqueur littéraire

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