Poches pour l'été - Romans et poésie

laurainAntoine Laurain, Le chapeau de Mitterrand

Un chapeau peut-il transformer une vie? Le feutre de François Mitterrand va en tous cas bouleverser celles de ses propriétaires successifs. Dînant seul un soir dans une basserie, un homme s’empare du couvre-chef que son illustre voisin, alors président de la République – nous sommes en 1986 –, a omis d’emporter. S’ensuit une promotion qui le conduit à Rouen. Mais l’objet est oublié dans le train et, à la femme qui s’en empare, il donne le courage de quitter son amant et d’écrire une nouvelle qui remporte un premier prix. Posé sur un banc, il est ramassé par un «nez» en désamour mais qui, modifiant son apparence, se remet en selle grâce à un nouveau parfum. Suite à la confusion d’un serveur de restaurant, c’est à un grand-bourgeois parisien qu’il échoit. Faisant de son nouveau propriétaire, à la veille de l’élection présidentielle de 1988, un supporteur du président se désolidarisant de son milieu et abandonnant Le Figaro pour Libération. Ce Chapeau de Mitterrand est subtil, ingénieux, passionnant, drôle aussi parfois, écrit avec une sorte de flegme charmant en adéquation avec le sujet. Et la pirouette finale est de la plus belle eau. (J’ai lu)

 

vallejoFrançois Vallejo, L’incendie du Chiado

Le 25 août 1988, une partie de Lisbonne est détruite par le feu, et notamment le vieux quartier du Chiado – événement dont l’écrivain a lui-même été le témoin. Cinq personnes se retrouvent au milieu des ruines: un habitant qui a refusé de quitter son appartement, un Français qui l’a suivi, un photographe baroudeur, une femme qui avait rendez-vous avec sa fille et un personnage surgit d’on ne sait où et au discours étrange. Dans ce texte écrit à la première personne et rythmé par de nombreux dialogues, l’auteur de Madame Angeloso parvient à créer une tension dramatique qui captive le lecteur. Qui sont ces cinq-là et pourquoi sont-ils là, bravant les autorités qui ont bouclé le quartier? Petit à petit ils se livrent, ou feignent de le faire, et c’est leur fond, pas toujours glorieux, qui est ainsi mis à découvert. (Points)

 

osterChristian Oster, Rouler

Quittant les éditions de Minuit où, depuis 1989, il a publié quatorze romans, Christian Oster reste fidèle à lui-même dans ce roman. Pour atteindre Marseille que, faute de mieux, il s’est fixé comme but son héros emprunte les départementale. Quitte à faire d’étranges rencontres, comme celle de deux autostoppeurs ou d’une femme décidée à quitter son mari. Quitte à se perdre au cours de promenades un peu trop éprouvantes. Quitte à s’ennuyer un peu aussi, à ne pas toujours savoir comment combler son temps libre. Mais le veut-il? Chaque fois que l’occasion d’une rencontre lui est donnée, il se retranche dans sa solitude. Rouler est construit sur des non-événements, des non-rencontres. Tout est dans le regard que porte sur le monde extérieur son narrateur et dans sa façon de rendre compte à la fois de ce qu’il vit et de ce qu’il ressent. Si l’on sourit constamment à la lecture de ses déambulations, c’est dû à son souci maniaque, quasi névrotique, de décrire avec précision la réalité qui l’entoure. De multiplier les détails qui, ainsi juxtaposés, génèrent un monde comique évoquant les univers de Buster Keaton ou Jacques Tati. (Points)

 

duboisJean-Paul Dubois, Le Cas Schneider

Dire que Paul, le narrateur, est en petite forme, relève du doux euphémisme. Avec sa deuxième femme, Anna, rien ne va plus depuis longtemps. Ce cadre dans une grande entreprise, directive et cassante, qui prétend régenter sa vie à sa place, elle a en effet décidé de ne jamais recevoir la fille de son premier mariage, Marie, et donc de la présenter à ses deux demi-frères, des jumeaux qu’il a finis par détester. Marie, justement, venue le voir à Montréal, meurt dans la chute d’un ascenseur d’où il a miraculeusement réchappé. Depuis, il passe une partie de ses journées à lire des revues sur ces engins auprès de l’urne contenant les cendres de la seule personne qu’il aimait vraiment. Est-il fou, comme l’affirme son épouse qui ne cesse de le pousser à «voir quelqu’un»? Ou simplement déconnecté de la vie courante? Conscient qu’il lui faut trouver un emploi, il prend le seul qui semble lui convenir, promeneur de chiens. Il s’agit, par tous les temps, de faire faire pipi à Watson, Charlie ou Julius et, parfois, de les ramener chez leur maître. Il prend plaisir à ce travail, qui fait honte à sa femme, et sympathise avec son patron, un Chypriote amateur de nombres palindromiques. Comment le monde tourne-t-il et comment les hommes ont-ils encore la force d’y vivre? Cette question, ce sexagénaire ne cesse de la ressasser, profondément marqué par se descente dans des enfers dont il garde pour lui la teneur exacte, refusant de révéler ce qu’il a vu avant de perdre connaissance. Mettant à plat l’inaptitude à vivre de son héros, le romancier toulousain rappelle que la littérature n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle parle de l’homme et de sa tentative désespérée de maintenait la tête hors de l’eau. (Points)

 

halterMarek Haler, L’inconnue du Birobidjan

Le Birobidjan est une république juive de 36000 km² créée par Staline au fin fond de la Sibérie, non loin de la frontière chinoise – et qui existe encore aujourd’hui. C’est là qu’arrive en janvier 1943 Marina Gousseïeva, une comédienne qui, pour avoir passé avec Staline la nuit du 8 au 9 novembre 1932 au cours de laquelle la femme du dictateur soviétique s’est suicidée, a tout fait pour se faire oublier. Dans cet «oblast autonome» dont la langue officielle est le yiddish, elle rencontre un médecin américain qui va devenir son mari, Michaël Apron. Au moment où commence le livre, en juin 1950, elle comparait devant la redoutable commission américaine pour le meurtre supposé de celui qui était en réalité un agent secret. Un journaliste du New York Post, présent aux séances, va tenter de prouver son innocence. Une fois encore, à travers la fiction, Marek Halter lève le voile sur un morceau d’Histoire peu connu. (J’ai lu)

 

khadrakhadra-jourYasmina Khadra, L’Attentat et Ce que le jour doit à la nuit

Un chirurgien arabe israélien, renommé et parfaitement intégré, apprend horrifié que la kamikaze s’est fait exploser dans un restaurant rempli d’enfants est sa propre femme. Sans avoir rien vu venir. Accusé par les Palestiniens de les avoir trahis, de «refuser de voir leur enfer», il recherche les «coupables» de l’engagement de la kamikaze. Découvrant ainsi une réalité, l’occupation des territoires palestiniens par l’armée israélienne, que, lui, qui y passa pourtant son enfance, avait fini par oublier. D’une grande intelligence psychologique, refusant tout manichéisme, cet Attentat remue au plus profond le lecteur et l’amène à réfléchir sur une situation particulièrement complexe.

Il s’appelle Younes. Il est Algérien, né à l’aube des années 1930 dans une famille très pauvre obligée d’abandonner son lopin de terre aride pour un quartier miséreux d’Oran. Il s’appelle aussi Jonas, prénom que lui donne la femme française de son oncle, pharmacien nanti chez qui il vit désormais dans le village de Rio Salado construit par des Juifs et des Espagnols.

Rapidement, il se lie avec trois jeunes Français et croise une première fois Emilie. Il la reverra plus tard sans pouvoir répondre à son amour. Et pourtant, toujours il la recherchera, traversant la Méditerranée au début des années 1960, après une guerre qui a libéré son pays de la présence française mais a mis à mal ses anciennes complicités. Un conflit dont il est prudemment resté éloigné, refusant de prendre position. Comment pourrait-il désormais se situer? Un roman profondément émouvant qui parle avec force d’une réalité particulièrement complexe. (Pocket)

 

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