Poches pour l'été - Romans et poésie

 

divrySophie Divry, La cote 400

Ce premier et bref roman de moins de cent pages est un divertissement jubilatoire. Il donne à entendre la logorrhée verbale d’une bibliothécaire quinquagénaire, responsable du rayon géographie, qui se définit elle-même comme «la femme invisible». Réfugiée dans le sous-sol, où est entreposé tout ce qui n’a pas pu être classé, elle raconte un métier qu’elle fait depuis vingt-cinq ans – «classer, ranger, ne pas déranger, c’est tout ma vie» - et qu’elle aime. Dans la classification décimale Dewey élaborée il y a plus d’un siècle, la cote du titre correspond aux langues. Théoriquement car elles ont été déplacées à la 800, avec la littérature. Ce qui fait que la 400 est inoccupée, ce qui lui «donne le vertige», la «contrarie beaucoup, beaucoup». Le récit prend mille et une directions au fil d’un récit très maîtrisé qui pourrait donner lieu à un excellent monologue théâtral. (10/18)

 

emmanuelFrançois Emmanuel, Jours de tremblement

Au cours d’une croisière en Afrique, une révolution éclate dans la région traversée et des rebelles s’emparent du navire, en assurant à ses passagers qu’ils ne sont pas leurs otages et qu’ils peuvent descendre quand ils veulent. Mais pour aller où, dans ce pays dont les villes côtières semblent dévastées? Le narrateur, un journaliste télé venu filmer une réserve animale, finit par tourner sa caméra vers ses compagnons d’infortune, acteurs malgré eux de ce théâtre d’ombres. Parmi eux, se trouvent deux Italiennes avec un enfant, une quinquagénaire accompagnant un vieil homme mourant et un écrivain américain aviné et fort en gueule qui ne se sépare jamais du Cœur des ténèbres de Conrad. Ou encore Louis, le seul à avoir la couleur de la peau de leurs geôliers et à parler leur langue. François Emmanuel crée une tension qui va crescendo, un huis-clos étouffant à l’issue incertaine. Il fait magistralement ressentir la chaleur accablante, la promiscuité parfois difficile, la soif, la faim, la peur aussi. (Points)

 

fottorinoÉric Fottorino, Le dos crawlé

fottorino-hommefottorino-pèreAprès deux livres magnifiques consacrés à ses deux pères, l’adoptif, celui qui l’a élevé et s’est suicidé (L’homme qui m’aimait tout bas), et le biologique, un gynécologue juif marocain (Questions à mon père), Éric Fottorino, ancien directeur du Monde, prend pour héros Marin, un enfant de 13 ans. Unité de temps – l’été 1976 -, de lieu – une station balnéaire des bords de l’Atlantique – et de personnages – son amie Lisa et sa mère, son oncle Abel brocanteur, le père Juillet, Gladys, monsieur Maxence – pour cette évocation réussie d’un âge charnière, intermède entre l’enfance dont on garde les traits et l’adolescence riche en attraits. (Folio)

 

stefaniniAnne-Sophie Stéfanini, Vers la mer

Ce premier roman est traversé par la question de la séparation. Laure, 19 ans, rêve d’aller voir l’Afrique et propose à sa mère, qui l’a élevée seule, de l’accompagner jusqu’à la Méditerranée. Elles embarquent à bord d’une vieille voiture, vestige d’un temps révolu. La jeune fille emporte avec elle Le Livre des voyageurs, mi-guide, mi-bréviaire, Catherine, ses souvenirs de Nice où elle a grandi seule avec sa propre mère et de Rome où elle a donné des cours de français aux enfants d’un veuf fortuné. Elle s’est progressivement construit une existence quelque peu bohème, habitée de livres et de sa passion pour l’Histoire, en décalage avec le monde d’aujourd’hui. Le voyage est silencieux – le roman est très peu dialogué – et émaillé de menus incidents et de diverses rencontres : un dépanneur, une vieille dame croisée dans un café, un jeune homme qui aide Catherine à Vienne. De son écriture en demi-teinte, Anne-Sophie Stefanini glisse subtilement d’un point de vue à l’autre, suivant tantôt la fille tantôt la mère dans leur rêveries, leurs envies ou leurs peurs.  (Le Livre de Poche)

 

delacourtdelacourt-listeGrégoire Delacourt, L’écrivain de la famille et La liste de mes envies

Les deux premiers romans du publicitaire Grégoire Delacourt ont été réédités en poche à quelques mois d’intervalle. Le héros de L’écrivain de la famille voit ses parents se séparer et son frère placé dans un centre spécialisé, tout en connaissant une vie sentimentale chaotique. Sa femme, bientôt mère de deux enfants, ne cesse en effet de le quitter puis de revenir tandis qu’il gravit les échelons d’un métier de publicitaire où il ne s’épanouit pas. Un roman vivant, drôle et touchant, bourré de ces petites choses, dans l’écriture ou dans le regard, qui en font un objet singulier.

Au succès d’estime, comme on dit, de ce premier essai (quand même couronné par cinq prix) a succédé le triomphe public de La Liste de mes envies. Jocelyne, mercière à Arras alors qu’elle aurait aimé être styliste à Paris, a gagné plus de dix-huit millions d’euros au Lotto. Mais que faire de ce chèque qu’elle a caché sous la semelle d’une vieille chaussure ? Ni effacée, ni soumise, elle qui a acquis une petite célébrité locale grâce à son blog de couture dixdoigtsdor fait preuve d’une intelligence intuitive et d’un bon sens qui la grandit humainement. Elle échelonne par exemple ses achats afin d’avoir toujours une envie devant elle. Car des envies, elle n’en manque pas, elle en dresse même la liste. Orpheline de mère depuis l’enfance, elle aimerait avoir auprès d’elle son père semi-amnésique. Elle pourrait aussi gâter son mari, Jocelyn, qui rêve d’un écran plat, d’une Porche Cayenne et de l’intégrale James Bond en DVD. Ou ses enfants, un garçon barman dans le sud de la France, une fille vidéaste à Londres. Et pour elle ? Il y a bien le manteau vu dans un magasin du centre, de la lingerie rouge sexy ou des vacances en amoureux avec son Jo. Plus quelques «besoins» : une lampe, un porte-manteau, un rideau de douche ou du matériel de cuisine. Mais serait-elle plus heureuse en possédant tout ça? C’est par la simplicité d’un style sans heurts, sans esbroufe, que Grégoire Delacourt nous fait entrer dans le monde intérieur de cette quadragénaire modeste, réservée, et pourtant volontaire. (Le Livre de Poche)

adamOlivier Adam, Les Lisières

Le moral du narrateur-écrivain fait du rase-motte depuis que sa femme l’a chassé de chez lui, le séparant de ses deux enfants et créant une béance dans sa vie que l’écriture ne parvient pas à combler. Il déverse à gros bouillons, avec une rage non contenue, ce qu’il pense de la vie, de sa vie et de celle qui s’offre aujourd’hui à chacun. Il quitte alors son bord de mer breton pour revenir vers ses parents amarrés à une ville pavillonnaire à laquelle il a tourné le dos des années auparavant. Sans plus jamais donner de nouvelles à ceux et celles qui ont accompagné son adolescence. Et qui, aujourd’hui, lui reprochent son passage «de l’autre côté» - un autre côté que pourtant il ne parvient pas à assumer -, d’autant plus pour écrire, «les pieds dans le sable», des romans «déprimants» parlant de problèmes existentiels. L’écriture n’est en rien divertissante. On émerge de ce roman-pamphlet secoué, mal en point, mais aussi revigoré par un projet littéraire ancré, comme rarement dans la littérature française, au plus profond d’un terreau social qui laisse ses pousses pourrir à petit feu. (J’ai lu)


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