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Laurent Albarracin - Le Secret secret

20 juin 2013
Laurent Albarracin - Le Secret secret
albarracinLa poésie de Laurent Albarracin est à la fois simple et sophistiquée, fraîche et profonde, amusante et savante, complexe et claire, originale et intertextuelle. Dès son titre, Le Secret secret (que j’ai découvert grâce à un article d’Éric Chevillard dans Le Monde des Livres) m’a intrigué tout en attisant ma soif de lecture : non seulement à cause du sens du mot « secret », qui donne envie de connaître la vérité qu’il cache (et qu’il semble ici cacher doublement), mais aussi en raison de cette étrange répétition. N’est-ce pas la première loi du « bien écrire », celle que l’on apprend dès l’école primaire, qui est transgressée par Laurent Albarracin avant même que le livre ne s’ouvre ? Bien entendu, aucune révélation ne nous sera livrée au terme de la lecture de ce recueil : le secret demeurera secret. Mais ce titre renvoie peut-être d’avantage à la forme qu’au contenu. Laurent Albarracin invente en effet des poèmes qui s’enroulent ingénieusement sur eux-mêmes, comme des bandes de Moebius, et qui pourraient être présentés comme les équivalents textuels des étranges dessins de M. C. Esher (vous voyez : ces personnages montant un escalier au bout duquel ils se trouvent en bas). Il ne s’agit pas d’un jeu formel gratuit : Albarracin rend compte par ce biais de la grande diversité du monde. À la façon de Francis Ponge, il nous fait ouvrir les yeux sur des choses que l’on réduit d’ordinaire à leur utilité pratique et trouve, dans le monde des mots, un équivalent formel à leur complexité. Ainsi écrit-il, au sujet de la roue, une phrase en forme de roue : « La roue s’engendre sans cesse / de ne pas pouvoir se dérouler / ni sortir du ventre de la roue » (p. 13). Par ailleurs, s’ils m’ont fait songer à Ponge, les vers singuliers de Laurent Albarracin m’ont également rappelé, par leur densité, les formules ciselées de François Jacqmin. Et, je ne sais pourquoi, en le lisant, j’ai songé en outre à Jacques Izoard. Quelle n’a pas été ma stupéfaction en rencontrant, p. 92, le vers « le bleu et la poussière le ciel et le ciment » ! Comme Le Bleu et la Poussière est le titre d’un recueil de Jaques Izoard, le doute n’est plus permis : non seulement Albarracin semble revendiquer l’influence du poète liégeois, mais il lui rend discrètement hommage.

Depuis lors, j’ai découvert d’autres facettes du talent de Laurent Albarracin en lisant Explication de la lumière (Limoges, Dernier Télégramme, 2010), magnifique suite de versets voués à la lumière – qui est chantée plus qu’expliquée –, et Résolutions (Montréal, L’Oie de Cravan, 2012), un recueil d’aphorismes subtils. J’en citerai un pour finir ce compte rendu : « Ne pas traiter un béotien de béotien : ce serait peine perdue. »

 

Laurent Demoulin
Juin 2013

 

 Laurent Albarracin, Le Secret secret, Paris, Flammarion, 2012.

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