Le retour du Giallo, entre classicisme et expérimental

Dans la foulée de la conférence dispensée par Dick Tomasovic lors du Festival International du Film Policier de Liège en avril dernier, cet article consacré au Giallo est conçu dans l'optique de raviver les mémoires à un moment où le genre connaît un second souffle là où plus personne ne l'attendait. Renvoyant aux thrillers horrifiques réalisés en Italie dès la première moitié des années 60, le genre s'est principalement développé autour de quelques figures centrales dont les principales sont Mario Bava, Dario Argento ou encore Lucio Fulci. Après l’épouvantable film Giallo de Dario Argento sorti en 2009, le genre semblait plus que jamais essoufflé, en bout de course... Et pourtant, les films Amer, sorti en 2010, et bientôt L'Étrange couleur des larmes de ton corps prévu dans le courant 2013 de Bruno Forzani et Hélène Cattet, ainsi que Berberian Sound Studio (2012) de Peter Strickland, contredisent ce constat et remettent le Giallo au goût du jour.

Petite remise en perspective.

Les entrailles du Giallo, de la série B à Hitchcock

Six femmes pour l’assassin (1964) de Mario Bava

assassinoSi le Giallo fait figure de genre singulier dans l'histoire du cinéma horrifique, il tire avant tout ses origines dans une tradition littéraire déterminée. Étymologiquement, le terme Giallo signifie « jaune » et fait référence aux couvertures jaunes des romans de gare publiés par l'éditeur Mondadori de la fin des années 20 au début des années 60. Ces romans policiers sont construits autour du principe du « Whodunit »1 (Qui l'a fait ?), sur fond d'une intrigue policière confrontant un enquêteur, tantôt héroïque, tantôt maladroit, et un tueur recherché parmi différents suspects.

Les racines du Giallo s'inscrivent d'emblée dans une forme proche du thriller auquel Mario Bava va instaurer dans son film Six femmes pour l'assassin (Sei donne per l'assassino, 1964) une véritable iconographie qui deviendra une des clés fondamentales des futurs Gialli.

Jamais identifiable, le meurtrier est toujours masqué, cagoulé, emmitouflé,…. Armé d'un objet tranchant, souvent un couteau, et généralement équipé d'un gant en cuir, une des icônes les plus emblématiques du Giallo, le tueur se venge des sévices et des maux dont il a souffert dans le passé, ou agit en étant manipulé par une personne de son entourage, sur des jeunes filles qu'il va alors traquer à tour de rôle jusqu'à la mort.

Si le Giallo se voit être associé au cinéma d'horreur, il tire avant tout son essence de différents genres dont il emprunte et se réapproprie les codes. Ainsi, les Gialli relèvent autant du thriller policier que du film érotique, horrifique ou gore. Mêlant une culture ultra populaire et une démarche classique retranscrite par une mise en scène minutieuse influencée, entre autre, par les films d’Hitchcock, le Giallo va être reconnu comme un des courants les plus prolifiques du cinéma d'horreur. En alternant un montage serré, voire acéré, composé de gros-plans lors des séquences de meurtres, et un montage plus aéré proposant des plans d'ensemble lorsqu'il s'agit de poser un cadre ou de dévoiler un fait, le Giallo s'est imposé comme un genre horrifique au travers de sa conception esthétisée de la violence, jouant sur des expériences graphiques et plastiques, et des recherches sensitives. Cette catégorisation est à mettre en relation avec l’émergence d’autres courants fondateurs du cinéma d’horreur, à une époque où les États-Unis voient naître le Slasher-movie (Halloween (1978) de John Carpenter, The Texas Chainsaw Massacre (1974) de Tobe Hooper, Maniac (1980) de William Lustig,...) et le film gore (Blood Feast (1963) et 2000 Maniacs (1964) de Herschell Gordon Lewis...).

Contrairement à ces deux courants qui proposent de mettre en scène une horreur peu stylisée, jouant sur le côté frontal de la mort, les Gialli relèvent d’une démarche artistique où les meurtres et le sang sont conçus selon une approche poétique, multipliant les gros plans sur différentes parties des corps représentés, et affichant un attrait plastique pour le geste mortel (un couteau qui s'enfonce dans la poitrine d'une séduisante victime) et les motifs gores (les contusions sur les corps des victimes, un corps mutilé et pendu,...). Les crimes sont filmés et représentés de manière obsessionnelle par les cinéastes, à l'instar des obsessions mortelles de leurs tueurs, révélant une véritable fascination pour une iconographie dont les formes instaurées par Bava se voient être perpétuellement expérimentées et radicalisées au fil des œuvres. En multipliant les points de vue sur les victimes et les tueurs, les Gialli donnent à voir une horreur bercée par un onirisme décalé résultant de leur traitement formel et atmosphérique.

plumageL’Oiseau au plumage de cristal (1970) de Dario Argento - Six femmes pour l’assassin (1964) de Mario Bava

À titre d'exemple, on peut également citer les films La baie sanglante (Ecologia del delitto, 1971) de Mario Bava, L’Étrange vice de Mme Wardh (Lo Strano vizio della signora Wardh, 1971) de Sergio Martino, La longue nuit de l'exorcisme (Non si sevizia un paperino, 1972) de Lucio Fulci, La tarentule au ventre noir (La Tarantola dal ventre nero, 1971), Inferno (1980) de Dario Argento,...


 

1 Gilles Esposito, « Giallo : l’historique, Toutes les couleurs du vice », Mad Movies,  Hors-Série n°16, Novembre 2010, p.18.

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