Le retour du Giallo, entre classicisme et expérimental

Dario Argento, le maître absolu

Bien que le giallo soit lié à toute une série de réalisateurs qui ont touché de près ou de loin au genre, un nom lui est resté à jamais associé, celui de Dario Argento. Le cinéaste a passé l’entièreté de sa carrière dévoué au cinéma de genre, usant du giallo pour mettre en image ses plus profondes visions macabres et délires sanglants. Ses films témoignent  de son amour pour le genre et surtout de la façon dont celui-ci s'est construit, Argento ayant réussi à institutionnaliser les codes dont il a usé pour structurer et confectionner ses films. Il a toujours cherché à explorer le genre en profondeur par des expérimentations sensitives, mais également par la voie des capacités techniques qui lui étaient mises à profit sur chaque projet (c'est d'ailleurs pour cela qu'il a tourné le film Dracula en 3D l'année dernière).

Ses deux films les plus emblématiques du Giallo sont sans doute L'Oiseau au plumage de Cristal (L'Uccello dalle piume di cristallo, 1970), première étape majeure de sa carrière dont une illustration est proposée ci-dessus, et Les Frissons de l'angoisse (Profondo Rosso, 1975) dans lequel il inclut à son intrigue policière des éléments « issus du rêve et de la fantaisie »2.

C'est ainsi qu'Argento se détache (temporairement) du cadre réaliste du Giallo, rejetant le côté rationnel de ses premiers longs-métrages. Détournant cette logique, Argento va véritablement mettre en image sa propre conception du genre auquel il insuffle ses pensées les plus folles. Son film Suspiria (1977) constitue sans nul doute le modèle en la matière, le film jouant sur les codes du Giallo (le tueur, les ambiances baroques...) en évoluant en dehors de toute rationalité. Le surnaturel emboîtant le pas au récit, Argento situe son film aux frontières du thriller fantastique et de l'horreur pure.

suspiriaSuspiria (1977) de Dario Argento

Argento n'a jamais cessé de baigner dans la culture des genres, approfondissant perpétuellement sa conception des représentations horrifiques et gores. Il fait partie de ceux qui, à l'instar de Tobe Hooper et William Lustig pour le Slasher, ont contribué à créer un courant de films en bâtissant et en expérimentant ses formes. Argento finira néanmoins par se perdre dans sa propre démarche. Un peu oublié après les échecs retentissants de nombreux de ses derniers films dont Trauma en 1993 et Mothers of tears en 2007, il se voit confier en 2009 les clés d'un script rendant un hommage plus qu'explicite au genre. L'occasion est trop belle pour lui de démontrer une dernière fois son savoir-faire aux nouvelles générations de spectateur, et il s'attache alors à la réalisation de ce film sobrement baptisé Giallo.

Si ses films étaient considérés à leur époque comme ultra-violents et innovants en terme d'imagerie horrifique, Argento se voit aujourd'hui dépassé par toute la vague des remakes des grands classiques américains de l'horreur (The Texas Chainsaw Massacre (2003) de Marcus Nispel, Halloween (2007) de Rob Zombie,...) et celle du Torture-porn (Saw (2004) de James Wan, Hostel (2005) d’Eli Roth,...). Ces films proposent un spectacle radicalement gore, manipulant les spectateurs en les matraquant d'images toujours plus folles et plus malsaines. Interrogé au sujet de ces films, Argento répond qu’ils sont « faits pour l'argent, appauvrissant le cinéma d'horreur en le rendant risible aux yeux des spectateurs »3. Bien que posant un jugement hâtif sur la question, on ne peut le blâmer d’en reconnaître les immenses retombées commerciales. En réalisant Giallo, il n'a bien sûr pas cherché à rivaliser avec ces films. Néanmoins, alors qu'il aurait pu signer une œuvre plus allusive à l’égard de son propre répertoire artistique, le cinéaste y va à la grosse louche et propose un épouvantail représentatif de l'ensemble des codes qu'il a lui même majoritairement imposés. Argento rate le coche en surjouant de ses propres codes, ne prenant aucune distance vis-à-vis de ceux-ci. Il propose un film dans l’air du temps, loin de la démarche qu’il défendait auparavant, cherchant à s'adapter aux nouvelles exigences du public. Giallo lui a néanmoins permis de montrer qu'il existait encore, et surtout, c’est bien là l’essentiel, que ses films aussi. Cet hommage auto-construit apparaît comme une lettre testamentaire d'Argento, cédant les clés du genre à une nouvelle génération de cinéaste.

Vers un renouveau expérimental du genre, l'émergence du néo-Giallo

Amer (2010) de Hélène Cattet et Bruno Forzani

amerC'est l'année suivante, en 2010, que sort le film Amer de Bruno Forzani et Hélène Cattet, rendant un vibrant hommage au genre, et à Argento en particulier. Ne se limitant pas à cet hommage, Cattet et Forzani réussissent dans leur film à se réapproprier les codes développés par leurs maîtres, et à les mettre en scène selon leur perception singulière du genre, en suivant une logique qui leur est propre. Conscient de leur geste artistique, Forzani et Cattet parviennent à renouveler le Giallo dans un film sans dialogue dont le son est travaillé presque entièrement en postproduction. Narrant trois étapes de la vie d'une femme, Amer étonne dans ses expériences plastiques et sensitives, en flirtant avec le cinéma expérimental. Et s'ils parviennent à leur fin dans leur tentative de tirer le genre vers eux, c'est surtout parce qu'ils ne cherchent pas à le copier mais bien à le représenter de la manière dont ils l’ont intériorisé et réfléchi.

« Pour nous, les plus grands moments de cinéma, notamment dans le cinéma bis italien, sont des séquences sans dialogues. Tout passe par la mise en scène. C’était le cas chez Sergio Leone. Et  chez Hitchcock aussi bien sûr. Avec Amer, on voulait retrouver l’essence visuelle du giallo et non pas reproduire les intrigues policières inhérentes au genre. Pas besoin de dialogue pour donner l’impression qu’il se passe beaucoup de choses ».4

En appuyant leur film sur une logique d'expérimentations et de recherches formelles, la démarche de Cattet et Forzani s'inscrit dans la voie tracée par celle de leurs aînés Dario Argento et Mario Bava. Le segment du film The ABC's of Death5 qu'ils ont réalisé en 2012 témoigne de leur volonté de s'inscrire pleinement dans le genre. Ils mettent en scène une séquence de quatre minutes racontant le meurtre d'une femme par un tueur ganté et non identifiable, en exposant les spectateurs à des expériences plastiques et sonores.

larmesDeux plans issus du film L’Étrange couleur des larmes de ton corps, prochain opus des réalisateurs Bruno Forzani et Hélène Cattet

Leur prochain film, L'Étrange couleur des larmes de ton corps, est prévu dans le courant de l'année 2013. L'histoire sera centrée autour de l’enquête d'un mari sur les conditions de l'étrange disparition de sa femme, toujours sur fond de Giallo. Il sera dès lors intéressant de voir comment les réalisateurs vont parvenir à réinventer encore un peu plus le genre, en aiguisant la démarche qu'ils ont adoptée avec leur film Amer, ou si, au contraire, le genre aura pris le dessus sur leur savoir-faire et leur positionnement singulier.

Une chose est sûre, le Giallo est bel et bien de retour, et la sortie du film Berberian Sound Studio de Peter Strickland en 2012, narrant les aventures d'un ingénieur du son qui débarque en Italie dans les années 70 afin de travailler sur le mixage sonore d'un Giallo, ne fait que confirmer cette tendance.

Nicolas Hainaut
Août 2013

crayongris2
Nicolas Hainaut est en
2e année de Master en Arts du spectacle, à finalité spécialisée en cinéma documentaire. Son sujet de mémoire : L’émergence du cinéma de genre horrifique en France dans les années 2000.




2 Laurent Duroche, « Les Frissons de l’angoisse, Blow your mind », Mad Movies, Hors-Série n°16, Novembre 2010, p.57.

3 Propos recueillis lors de la Masterclass dispensée par Dario Argento lors du 31ème Festival International du Film Fantastique de Bruxelles en avril 2013.

4 http://www.cinemalefrance.com/fiches/AmerCattet.pdf.

5 The ABC's of Death est un film à sketchs réalisés par 26 réalisateurs, sorti en 2012. Chaque réalisateur s'est vu confier symboliquement une lettre de l'alphabet sur laquelle il devait s’appuyer afin de concevoir une histoire mettant en scène la mort.

Page : précédente 1 2