Depuis 2007-2008 et le succès impressionnant de quelques jeux vidéo « indépendants », ce secteur a considérablement accru sa visibilité. Quelles sont ses particularités économiques et culturelles ? Passage en revue de quelques enjeux portés par ces productions parfois étranges, souvent originales.
Super Meat Boy, un hommage aux jeux de plateforme d'antanDe qui ou de quoi certains jeux sont-ils indépendants ? Généralement, on considère qu'il s'agit d'œuvres qui ont été réalisées en dehors des circuits de production habituels. En particulier, ces studios de développement sont indépendants des éditeurs – l'éditeur de jeux vidéo est comparable au producteur du cinéma : il s'occupe principalement du financement, de la distribution et de la promotion – et donc de leurs politiques éditoriales. Les auteurs d'« indie games » revendiquent leur liberté de création et une certaine originalité tant au niveau graphique que scénaristique ou des mécaniques de jeu. Ils portent ainsi une critique contre le jeu vidéo traditionnel, considéré comme la déclinaison multiple de quelques recettes commerciales. La différence des moyens est conséquente : la taille des équipes de développeurs indépendants est en général de 1 à 4 personnes – la question de la taille des équipes comme étant un élément de la définition du secteur indépendant fait toujours débat. Certains incluent des studios de plus grande envergure comme PlatinumGames Inc. par exemple – alors que les jeux traditionnels ont des budgets comparables aux productions hollywoodiennes1.
Parmi les jeux récents ayant le plus fait parler d'eux, citons quelques exemples :
- Super Meat Boy (Team Meat, 2010) est un jeu de plateforme dont la difficulté punitive et les nombreuses références culturelles en font une ode aux jeux vidéo des années 80 ;
- Flower (thatgamecompany, 2009) demande au joueur de contrôler le vent pour faire voler des pétales de fleurs. Il offre une expérience très contemplative, qui se retrouve dans Journey (2012), le deuxième jeu du même développeur ;
- dans World of Goo (2D Boy, 2008), il s'agit de créer des structures avec de petites boules (des « goos » ) pour les amener jusqu'au point prévu.
Le développement d'une distribution alternative
L'apparition sur la scène grand public de ce secteur indépendant coïncide avec la création d'une série de plateformes de téléchargement de jeux dématérialisés – les enjeux du jeu indépendant croisent ainsi régulièrement ceux de la dématérialisation (les nouvelles formes de distribution), le jeu multijoueur en ligne, la participation du public au financement ou à la création de l'œuvre, la vente de jeux par épisodes ou de contenus additionnels – qui ont grandement facilité leur accessibilité et leur diffusion. Les plus influentes à ce niveau sont, côté PC : Steam de l'enteprise Valve, et côté consoles : le Xbla sur Xbox 360 (Microsoft), le PSN sur Playstation 3 (Sony), puis le Wiiware sur Wii (Nintendo). Nous pourrions aussi citer leurs équivalents sur téléphones portables, Apple Store et Google Play en tête. Enfin, la technique d'animation « flash », qui permet de créer des jeux jouables depuis le navigateur internet de son ordinateur, a largement participé à cette mise en lumière des indépendants. Pour autant, les relations entre développeurs et plateformes de téléchargement ne sont pas toujours faciles. Microsoft est par exemple souvent dépeint comme très dur en affaires, au détriment des développeurs2.
Les premières expérimentations en termes de dématérialisation des jeux vidéo datent en fait des années 19803. À cette époque, le cycle de remplacement des machines est toutefois plus rapide (une console dure alors 4 à 5 ans contre environ le double actuellement) et l'obsolescence de ces systèmes est vite atteinte. De plus, les acteurs de la distribution des consoles et jeux physiques, qu'ils soient spécialisés ou non, ont freiné au maximum le développement de ces circuits de distribution concurrents : encore récemment, la distribution a très mal accueilli la sortie de la console PSP Go, console portable dont les jeux ne sortent qu'en version dématérialisée. Enfin, bien entendu, l'accès aux réseaux n'était pas ce qu'il est devenu – pour pallier ce manque d’interconnexion, Nintendo a tenté par exemple de mettre des bornes de téléchargement dans une série de magasins au Japon entre 1986 et 1992. Le coût très élevé que cela représentait pour le consommateur est une raison supplémentaire de l'échec temporaire de ces systèmes. Cette époque semble loin : à titre d'exemple, en janvier 2012, le développeur de Super Meat Boy a annoncé avoir vendu plus d'un million d'exemplaires de son jeu.
Par ailleurs, le secteur du jeu indépendant commence à utiliser Internet pour mettre en place de nouveaux systèmes de financement. Des sites tels que Kickstarter.com ou Indiegogo.com invitent la communauté de joueurs à financer eux-mêmes les jeux qu'ils souhaitent voir aboutir. Enfin, les artistes du secteur indépendant profitent généralement du succès de leurs jeux grâce au système des royautés, contrairement au secteur traditionnel qui recourt au salariat à temps fixe.
La figure de l'artiste dans le jeu vidéo : une nouveauté ?
Le jeu vidéo « indé » est loin d'être né en 2008. Dans les années 1980, alors que le champ économique était encore en structuration, beaucoup des développeurs étaient indépendants. Surtout, les conditions de développement des jeux ressemblaient à celles des indépendants actuels : de petites équipes passionnées opérant avec très peu de moyens. Puis la communication des grands acteurs du secteur, notamment les constructeurs de consoles, s'est concentrée sur les innovations technologiques. La concurrence aidant, le jeu vidéo s'est engagé dans une course perpétuelle à l'augmentation de ses capacités techniques (qualité de l'image, du son, taille de la mémoire, etc.). Il est rapidement devenu impossible de proposer des jeux sur ces consoles sans augmenter considérablement les coûts et la taille des équipes.
Parallèlement à cette structuration du jeu vidéo autour de gros éditeurs dans les années 1990, le jeu vidéo indépendant a continué d'exister de manière marginale, principalement sur PC. Avant la démocratisation d'Internet (et surtout du haut débit), la diffusion de ces jeux était souvent artisanale : échanges de disquettes lors des rencontres entre indépendants ou encore envois postaux. Certains magazines étaient aussi accompagnés d'une disquette puis d'un CD-ROM reprenant certains de ces jeux. Ces irréductibles indépendants remettaient – et remettent – en cause cette course à la technologie pour y préférer la créativité. Un argument qu'a récupéré un grand acteur du jeu vidéo, Nintendo, pour la promotion de la Wii.
Les créateurs indépendants revendiquent leur statut d'artiste, notamment en reprenant à leur compte la faible taille de leurs équipes. Cet argument est entendu notamment dans le documentaire « Indie Game : The Movie ». Être peu nombreux permettrait de créer un objet plus personnel. Ils représentent alors une alternative aux rares figures de créateurs du jeu vidéo, qui commencent à être relativement connues du grand public. Citons, par exemple, les Japonais Shigeru Miyamoto (les séries Mario et Zelda) ou Hideo Kojima (la série Metal Gear) ; ou encore les Français David Cage (Heavy Rain, Quantic Dream, Sony, 2010) ou Éric Viennot (In Memoriam, Lexis Numérique, Ubisoft, 2003). Ces game designers sont généralement décrits comme l'équivalent du réalisateur au cinéma dans les grands médias. Il s'agit donc d'une figure très différente des indépendants, ermites aux moyens limités contrôlant tous les détails de leurs œuvres.
3 Lire à ce sujet l'article très intéressant d'Alexis Blanchet, dont nous reprenons des informations dans les deux paragraphes Alexis Blanchet, « Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo », Mise au point [En ligne], 4 | 2012, mis en ligne le 30 août 2012, consulté le 08 mai 2013.