La 2e Guerre mondiale en Belgique

Comment les Belges, et plus spécifiquement les Wallons, ont-ils vécu la Deuxième Guerre mondiale ? Plusieurs ouvrages d’analyses ou de témoignages, parfois illustrés, viennent répondre à cette question. Et Philippe Raxhon, professeur d’histoire contemporaine et de critique historique à l’ULg, dont une partie des recherches portent sur la transmission mémorielle, replace ces parutions dans le contexte actuel.

La Wallonie occupée

La Wallonie sous l’Occupation, par Fabrice Maerten et Alain Colignon, La Renaissance du Livre et Soma/CEGES, 180 pages, 20 €

wallConstruit chronologiquement, La Wallonie sous l’Occupation, troisième titre de la collection « Villes en guerre » après Bruxelles et Anvers, est le premier ouvrage à rendre compte de la vie quotidienne des Wallons, de l’arrivée des Allemands à la Bataille des Ardennes. Il est illustré par plus de deux cent photos prises soit par les Allemands eux-mêmes ou leurs collaborateurs, soit par des Belges amateurs ou des photographes professionnels. Elles offrent ainsi un commentaire visuel d’un intérêt exceptionnel au texte lui-même. « Les histoires de l’Occupation ont surtout été belges ou flamandes, et très peu wallonnes, constate Fabrice Maerten, coauteur de l’ouvrage avec Alain Colignon. Il n’existait donc pas de synthèse sur ce sujet. Nous avons étudié les grandes villes, les banlieues industrielles et des petites villes. Les images permettent de voir cette période à la fois sous l’angle de l’occupant – la Wallonie apparaît comme formidable outil industriel où tout se passe dans l’ordre avec l’assentiment de la population  – et sous le regard de l’occupé. Énormément de photos ont été en effet prises pendant ces années-là, principalement de scènes quotidiennes ou de bombardements. Elles montrent comment l’Occupation est ressentie par la population : la pesanteur sur le plan politique, les contraintes économiques et sociales, etc. Cette tension va se traduire par une montée des extrêmes, une collaboration de plus en plus marginalisée et violente, une Résistance de plus en plus active, et dont Liège est un bastion majeur, une pression accrue des Allemands… Une chose qui me frappe, dans ces photos, c’est la misère des personnes âgées. Je ne savais pas qu’elles souffraient à ce point-là. »

Qu’avez-vous découvert d’autre ?

La faculté d’adaptation. La population subit le joug de l’occupant en acceptant bon an mal an le poids de la pénurie, du froid, des contraintes. D’une part, elle apprend à vivre avec moins. D’autre part, se développe un réseau de sociabilité et de solidarité qui protège les plus faibles, notamment les enfants. Même si la situation est moins difficile dans les petites villes du Luxembourg que dans le bassin industriel. Mais la fin de la guerre est nettement plus difficile.

Quelle est l’importance de la Résistance ?

Elle s’organise progressivement et va jouir d’un soutien populaire important. Elle naît dans une bourgeoisie sensible au rôle qu’elle occupait dans l’appareil d’État, et qui se sent menacée par l’arrivée de l’Ordre nouveau, ainsi que dans les milieux intellectuels de gauche, socialistes, démocrates-chrétiens et bientôt communistes. Ce sont des groupes dispersés qui ont tous leurs journaux et petit à petit des liens naissent entre eux. Au fur et à mesure vont apparaître deux grandes tendances divergentes qui empêcheront toute unification : le Front d’Indépendance chapeauté par les communistes et qui agrège toutes les forces de gauche et l’Armée secrète dirigée par des militaires où l’on retrouve surtout des catholiques et libéraux conservateurs.

Existe-t-il une Résistance économique ?

Il y a des grèves, notamment celle de 1941 à Liège et dans le Limbourg. Mais globalement la population ouvrière réagit plus tardivement, à partir de 1943, lorsque les contraintes deviennent de plus en plus fortes, que les travailleurs sont envoyés en Allemagne et que se dessine l’espoir d’une victoire. Les petits sabotages se multiplient alors, principalement dans les chemins de fer.

Et quid des collaborateurs ?

La courbe est inverse de celle des résistants : ils sont de moins en moins nombreux au fur et à mesure de la poursuite de la guerre. La déstructuration de la société et la misère ont poussé certaines personnes à entrer dans la collaboration, comme d’autres sont devenus résistants. En particulier dans le Hainaut où se forment des bandes rexistes. En 1944, attentats et contre-attentats se multiplient, la population est prise entre deux feux.

shoahLa Shoah en Belgique

C’est une chercheuse allemande, Insa Meinen, qui, puisant dans les archives belges, allemandes et françaises, a étudié dans La Shoah en Belgique, l’ampleur et le mode opératoire de l’arrestation et de la déportation des Juifs de Belgique, rappelant que le fort de Breendonk est « devenu l’un des centres de torture les plus abjects de l’Europe de l’Ouest ». Elle constate notamment que, contrairement à ce qui s’est passé en France ou aux Pays-Bas, plus de la moitié des quelque 25000 Juifs déportés depuis la Belgique et le Nord de la France vers Auschwitz entre août 1942 et juillet 1944, et dont 1027 seulement ont survécu, n’ont pas été arrêtés lors des vastes rafles qui ont principalement eu lieu à Anvers et Bruxelles, où vivaient plus de 95% des Juifs inscrits en Belgique, mais seuls ou en petits groupes. Et elle estime que, vu la faible proportion de Juifs arrêtés dans ces deux villes, la participation des forces de police y a été limitée. Elle écrit même qu’à Bruxelles, la police municipale a refusé « de procéder à des arrestations considérées comme illégales ». Ce sont des instances des forces d’occupation, et principalement, la DSK (Service de Protection des devises), qui sont en grande partie responsables de l’arrestation des Juifs, notamment dans des cachettes où ils croyaient être à l’abri, livrés ensuite à la Police de sécurité. Insa Meinen consacre aussi un long chapitre au convoi XXI parti de Malines le 31 juillet 1943  avec à son bord 1560 Juifs, dont un grand nombre d’enfants (parmi lesquels 14 nourrissons), et arrivé à Auschwitz le 2 août.

La Shoah en Belgique, par Insa Meinen, La Renaissance du Livre, 300 pages, 24 €

 

résistantsTémoignages des camps

Les résistants belges dans les camps rassemble les témoignages d’anciens déportés wallons, flamands ou bruxellois publiés dans différents ouvrages ou sur Internet (les sources figurent en annexe). Dans sa préface, Alain Leclercq rappelle que sur environ 100000 résistants belges, 30000 ont été arrêtés et 15000 tués dont 6000 dans des camps de concentration. De leur arrestation à leur libération, en passant par leur emprisonnement au fort de Breendonk ou dans la prison de Saint-Gilles à Bruxelles, leur transfert dans des convois inhumains, leur vie dans les camps et leurs « marches de la mort », l’ouvrage suit le chemin de croix de nombre d’entre eux. Ces survivants racontent les tortures et la crainte de ne plus pouvoir encore nier le lendemain, les Juifs enterrés vivants après avoir été caillassés, l’obligation de se tenir accroupi dans les wagons bondés sous peine d’être fauché par une balle ou ces impitoyables marches dans le froid de squelettes épuisés et affamés, quasiment incapables d’avancer, battus à la moindre faiblesse.

Les résistants belges dans les camps, réunis par Alain Leclercq, Éditions Jourdan, 286 p., 18,90 €


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