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La 2e Guerre mondiale en Belgique

29 avril 2013
La 2e Guerre mondiale en Belgique

Comment les Belges, et plus spécifiquement les Wallons, ont-ils vécu la Deuxième Guerre mondiale ? Plusieurs ouvrages d’analyses ou de témoignages, parfois illustrés, viennent répondre à cette question. Et Philippe Raxhon, professeur d’histoire contemporaine et de critique historique à l’ULg, dont une partie des recherches portent sur la transmission mémorielle, replace ces parutions dans le contexte actuel.

La Wallonie occupée

La Wallonie sous l’Occupation, par Fabrice Maerten et Alain Colignon, La Renaissance du Livre et Soma/CEGES, 180 pages, 20 €

wallConstruit chronologiquement, La Wallonie sous l’Occupation, troisième titre de la collection « Villes en guerre » après Bruxelles et Anvers, est le premier ouvrage à rendre compte de la vie quotidienne des Wallons, de l’arrivée des Allemands à la Bataille des Ardennes. Il est illustré par plus de deux cent photos prises soit par les Allemands eux-mêmes ou leurs collaborateurs, soit par des Belges amateurs ou des photographes professionnels. Elles offrent ainsi un commentaire visuel d’un intérêt exceptionnel au texte lui-même. « Les histoires de l’Occupation ont surtout été belges ou flamandes, et très peu wallonnes, constate Fabrice Maerten, coauteur de l’ouvrage avec Alain Colignon. Il n’existait donc pas de synthèse sur ce sujet. Nous avons étudié les grandes villes, les banlieues industrielles et des petites villes. Les images permettent de voir cette période à la fois sous l’angle de l’occupant – la Wallonie apparaît comme formidable outil industriel où tout se passe dans l’ordre avec l’assentiment de la population  – et sous le regard de l’occupé. Énormément de photos ont été en effet prises pendant ces années-là, principalement de scènes quotidiennes ou de bombardements. Elles montrent comment l’Occupation est ressentie par la population : la pesanteur sur le plan politique, les contraintes économiques et sociales, etc. Cette tension va se traduire par une montée des extrêmes, une collaboration de plus en plus marginalisée et violente, une Résistance de plus en plus active, et dont Liège est un bastion majeur, une pression accrue des Allemands… Une chose qui me frappe, dans ces photos, c’est la misère des personnes âgées. Je ne savais pas qu’elles souffraient à ce point-là. »

Qu’avez-vous découvert d’autre ?

La faculté d’adaptation. La population subit le joug de l’occupant en acceptant bon an mal an le poids de la pénurie, du froid, des contraintes. D’une part, elle apprend à vivre avec moins. D’autre part, se développe un réseau de sociabilité et de solidarité qui protège les plus faibles, notamment les enfants. Même si la situation est moins difficile dans les petites villes du Luxembourg que dans le bassin industriel. Mais la fin de la guerre est nettement plus difficile.

Quelle est l’importance de la Résistance ?

Elle s’organise progressivement et va jouir d’un soutien populaire important. Elle naît dans une bourgeoisie sensible au rôle qu’elle occupait dans l’appareil d’État, et qui se sent menacée par l’arrivée de l’Ordre nouveau, ainsi que dans les milieux intellectuels de gauche, socialistes, démocrates-chrétiens et bientôt communistes. Ce sont des groupes dispersés qui ont tous leurs journaux et petit à petit des liens naissent entre eux. Au fur et à mesure vont apparaître deux grandes tendances divergentes qui empêcheront toute unification : le Front d’Indépendance chapeauté par les communistes et qui agrège toutes les forces de gauche et l’Armée secrète dirigée par des militaires où l’on retrouve surtout des catholiques et libéraux conservateurs.

Existe-t-il une Résistance économique ?

Il y a des grèves, notamment celle de 1941 à Liège et dans le Limbourg. Mais globalement la population ouvrière réagit plus tardivement, à partir de 1943, lorsque les contraintes deviennent de plus en plus fortes, que les travailleurs sont envoyés en Allemagne et que se dessine l’espoir d’une victoire. Les petits sabotages se multiplient alors, principalement dans les chemins de fer.

Et quid des collaborateurs ?

La courbe est inverse de celle des résistants : ils sont de moins en moins nombreux au fur et à mesure de la poursuite de la guerre. La déstructuration de la société et la misère ont poussé certaines personnes à entrer dans la collaboration, comme d’autres sont devenus résistants. En particulier dans le Hainaut où se forment des bandes rexistes. En 1944, attentats et contre-attentats se multiplient, la population est prise entre deux feux.

shoahLa Shoah en Belgique

C’est une chercheuse allemande, Insa Meinen, qui, puisant dans les archives belges, allemandes et françaises, a étudié dans La Shoah en Belgique, l’ampleur et le mode opératoire de l’arrestation et de la déportation des Juifs de Belgique, rappelant que le fort de Breendonk est « devenu l’un des centres de torture les plus abjects de l’Europe de l’Ouest ». Elle constate notamment que, contrairement à ce qui s’est passé en France ou aux Pays-Bas, plus de la moitié des quelque 25000 Juifs déportés depuis la Belgique et le Nord de la France vers Auschwitz entre août 1942 et juillet 1944, et dont 1027 seulement ont survécu, n’ont pas été arrêtés lors des vastes rafles qui ont principalement eu lieu à Anvers et Bruxelles, où vivaient plus de 95% des Juifs inscrits en Belgique, mais seuls ou en petits groupes. Et elle estime que, vu la faible proportion de Juifs arrêtés dans ces deux villes, la participation des forces de police y a été limitée. Elle écrit même qu’à Bruxelles, la police municipale a refusé « de procéder à des arrestations considérées comme illégales ». Ce sont des instances des forces d’occupation, et principalement, la DSK (Service de Protection des devises), qui sont en grande partie responsables de l’arrestation des Juifs, notamment dans des cachettes où ils croyaient être à l’abri, livrés ensuite à la Police de sécurité. Insa Meinen consacre aussi un long chapitre au convoi XXI parti de Malines le 31 juillet 1943  avec à son bord 1560 Juifs, dont un grand nombre d’enfants (parmi lesquels 14 nourrissons), et arrivé à Auschwitz le 2 août.

La Shoah en Belgique, par Insa Meinen, La Renaissance du Livre, 300 pages, 24 €

 

résistantsTémoignages des camps

Les résistants belges dans les camps rassemble les témoignages d’anciens déportés wallons, flamands ou bruxellois publiés dans différents ouvrages ou sur Internet (les sources figurent en annexe). Dans sa préface, Alain Leclercq rappelle que sur environ 100000 résistants belges, 30000 ont été arrêtés et 15000 tués dont 6000 dans des camps de concentration. De leur arrestation à leur libération, en passant par leur emprisonnement au fort de Breendonk ou dans la prison de Saint-Gilles à Bruxelles, leur transfert dans des convois inhumains, leur vie dans les camps et leurs « marches de la mort », l’ouvrage suit le chemin de croix de nombre d’entre eux. Ces survivants racontent les tortures et la crainte de ne plus pouvoir encore nier le lendemain, les Juifs enterrés vivants après avoir été caillassés, l’obligation de se tenir accroupi dans les wagons bondés sous peine d’être fauché par une balle ou ces impitoyables marches dans le froid de squelettes épuisés et affamés, quasiment incapables d’avancer, battus à la moindre faiblesse.

Les résistants belges dans les camps, réunis par Alain Leclercq, Éditions Jourdan, 286 p., 18,90 €


Témoignages des Ardennes

Établies à Neufchâteau, dans la province de Luxembourg, les éditions Weyrich ont une collection de livres consacrés à la Seconde Guerre mondiale. Dans 1940-1945 « Ils m’ont volé mes plus belles années », préfacé par Francis Balace, professeur ordinaire honoraire à l’ULg, le journaliste Philippe Carrozza a réuni plus de quarante témoignages de résistants, prisonniers de guerre ou anciens chasseurs ardennais, qui, d’Arlon à Bouillon, en passant par des dizaines de cités luxembourgeoises, racontent la manière dont ils ont vécu ces années-là. C’est à la fois passionnant d’un point de vue historique et profondément humain, ces hommes et femmes souvent nonagénaires racontant avec simplicité et humilité des événements vieux de plus de soixante ans dont ils se souviennent avec précision. Ils racontent qui ils étaient dans les années 1930 – certains n’avaient que 12 ou 14 ans en 1940 –, dans quel état d’esprit ils ont vécu l’entrée en guerre de la Belgique et comment ils ont traversé le conflit. Certains d’entre eux ont eu des responsabilités, comme Edmond Leroy, né en 1922, alias Monsieur François, qui a dirigé près de cinq cents agents. Il était membre du MNB (Mouvement national belge), tout comme Fernand Wauthier qui fut résistant puis, après le débarquement, « voulant en découdre », a rejoint le 12e bataillon de fusiliers de Charleroi. Une autre témoin, Irène Frères, 93 ans, a connu les camps nazis d’où son père et son frère ne sont pas revenus. « Ce que j’ai vécu est inimaginable, raconte-t-elle, et il n’y a pas de mots assez forts pour décrire ce qui ressemble à l’enfer. Je n’ai aucune vengeance parce que je suis chrétienne, mais je prie ; j’y pense tous les jours, et je pleure. »

annéesenfer

1940-1945 «Ils m’ont volé mes plus belles années», par Philippe Carrozza, Weyrich, 480 pages, 29 €
Un mois en enfer, collectif, Weyrich, 324 pages, 25 €

D’autre part, l’éditeur réédite Un mois en enfer, récits des derniers témoins de la Bataille des Ardennes en province de Luxembourg. Construit chronologiquement du 16 décembre 1944 au 18 janvier 1945, cet ouvrage illustré alterne leurs souvenirs avec le Journal d’Élisabeth M., infirmière volontaire. Ces hommes et femmes, dont plusieurs étaient encore de très jeunes enfants à l’époque, racontent le passage des convois et des avions, les bombardements (à Houffalize, par exemple, ils ont provoqué la mort de plus de 10% de la population) et les incendies (à Villers-la-Bonne-Eau, celle de la maison d’une famille dont la fillette de 5 ans, traumatisée, meurt d’une maladie indéterminée). Certaines demeures sont aussi occupées par des Allemands – l’un deux surgissant dans la chambre à coucher d’un témoin avec sa baïonnette… pour couper un morceau de jambon. Et pendant ce temps, dans Bastogne bombardée, sous la neige et dans le froid (jusqu’à moins 20°c), Élisabeth raconte son quotidien auprès des blessés, portée par le sentiment de se sentir « utile ».

Les Belges dans les guerres

belgesBelges en guerre, publié à l’occasion d’une exposition qui s’est tenue à l’Abbaye Saint-Pierre de Gand, aborde les multiples conflits mondiaux dans lesquels ont été impliqués nos concitoyens depuis la fin du 19e siècle à partir de photographies venant témoigner, comme l’écrivent les auteurs, « de l’implication de la Belgique dans l’histoire d’un 20e siècle sanglant ». La Première Guerre mondiale est évoquée par la photo, à Sainte-Adresse, de Gaston Blaise chargé de réorganiser les Établissements d’artillerie ou par celle du corps expéditionnaire belge des auto-canons-mitrailleuses qui, en juillet 1917, combat les troupes austro-allemandes sur le front russe de Galicie orientale. Sur un autre cliché, on aperçoit les corps des sept victimes du bombardement perpétré le 1er juillet 1923 par des activistes d’extrême-droites à Hochfeld, dans le Ruhr où stationne l’armée belge. À Barcelone, le 1er mai 1937, onze jeunes femmes venues d’Anvers et de Bruxelles posent devant un grand hôtel. De nombreuses photos concernent la Deuxième Guerre mondiale. Celle prise par le photographe de presse Xavier Rensing, qui montre des hommes et des femmes embarquant à bord d’un camion découvert, est l’une des rares témoignant de la déportation de Juifs d’Anvers. Voici le cadavre du journaliste Paul Colin, rédacteur en chef du Nouveau Journal et héraut de la collaboration intellectuelle francophone abattu par un partisan le 14 avril 1943. Maria Liekens, agent de liaison pour la Résistance à Heist-op-den-Berg, marche dans une rue d’Anvers et, dans un champ, gisent les corps de cinq jeunes résistants hennuyers fusillés en septembre 1944 par des membres de l’armée allemande en retraite. Figure encore d’autres photos terribles. Celle prise par un aumônier militaire à Stanleyville en novembre 1964 montrant des civils en fuite abattus sur une route (on voit des valises et une poussette). Ou à Kigali le 11 avril 1994, peu après le déclanchement du génocide rwandais, celle de l’évacuation de personnes réfugiées à l’hôtel des Mille Collines prise par un photographe flamand qui raconte ces six jours d’angoisse.

Belges en guerre, par Bruno De Wever, Martine Van Asch et Rudi Van Doorslaer, La Renaissance du Livre, 160 pages,

Entretien avec Philippe Raxhon

Pourriez-vous préciser quelle est la nature de votre enseignement et sur quoi portent vos recherches ? 

131- ©tilt ulg dr -  151106Philippe Raxhon © Michel Houet - ULg 

Je suis chercheur qualifié honoraire du FNRS et professeur ordinaire dans notre université. J’enseigne l’histoire contemporaine, la critique historique, l’histoire des conceptions et des méthodes de l’histoire, et l’histoire de l’Amérique latine. Je suis par ailleurs, président du Conseil de la transmission de la mémoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une institution mise en place par un décret de 2009 visant à évaluer et financer des projets, essentiellement pédagogiques, en matière de mémoire des génocides, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et actions de résistance contre eux.

Concernant mes recherches, elles portent sur les relations entre l’histoire, ce qui s’est passé, et la mémoire, c’est-à-dire la manière de réinvestir ce passé à chaque génération, la présence du passé dans nos sociétés. Je mets actuellement sur pied, avec pour l’instant le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et de notre université, pionnière dans cette aventure, un Centre de recherches et d’études sur la transmission de la mémoire, qui sera adossé à MNEMA-Cité Miroir, installé dans les anciens bains de la Sauvenière, dont l’inauguration est prévue à l’automne 2013. Car transmettre la mémoire est une chose, mais il faut aussi en faire un objet d’études et de recherches, c’est la première mission d’un universitaire.

Le 24 janvier dernier, le Sénat belge a voté à l’unanimité une résolution visant à reconnaître la responsabilité de l’État belge dans la persécution des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme historien, qu’en pensez-vous ? 

Je pense qu’il s’agit d’une étape de plus, et pas la moindre, dans un processus mémoriel très complexe, et très important puisqu’il s’inscrit dans les fondements même de la civilisation d’après-guerre, celle qui s’est rebâtie sur des ruines et des cendres après un conflit idéologique d’une amplitude jamais atteinte. La mémoire de la Shoah fut longue à se construire, pour différentes raisons qui sont trop vastes pour être explicitées ici. Mais il a fallu plusieurs années, sinon des décennies, pour que se libère la parole des rescapés, s’élabore une historiographie, et que les États impliqués dans la guerre affrontent leur passé respectif. En outre, à partir des années 1970, le retour de la crise économique, la montée des extrémismes et du racisme, l’implantation de partis fascistes dans les assemblées élues de certains pays, la transition générationnelle avec la disparition progressive des derniers témoins, le négationnisme, le retour perpétuel de l’antisémitisme dont le sens de l’adaptation à l’actualité a toujours été aiguisé, et d’autres perspectives encore, tout cela a contribué à donner à la mémoire de la Shoah une dimension d’urgence en matière d’ancrage dans nos enseignements et plus largement dans notre culture citoyenne.

Mais pourquoi le Sénat a-t-il voté cette résolution maintenant, et pas plus tôt, ou plus tard ?

Il y a une conjoncture favorable. D’un point de vue de la connaissance historique d’abord. Le Sénat lui-même a commandité une recherche scientifique approfondie, menée par le CEGES, le Centre de recherches et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines, qui a abouti à un rapport sur la Belgique docile, c’est son titre, docile à l’égard des mesures anti-juives prises par l’occupant, administratives d’abord, d’internement ensuite, et de déportation enfin, essentiellement vers Auschwitz sans espoir de retour.

citesiardenteLe cas Liégeois est d’autant plus intéressant qu’il est bien connu, il a fait l’objet d’une importante monographie de Thierry Rozenblum, Une cité si ardente, qui analyse précisément le sort de tous les Juifs liégeois à l’époque, et dont une adaptation sous la forme d’une exposition est présentée actuellement au Musée Grand Curtius sur ce thème, avec un monument commémoratif élaboré pour la circonstance, dont on espère qu’il trouvera une place définitive digne de lui dans notre environnement urbain liégeois.

Il faut noter que cette exposition s’est inscrite dans une année particulière pour la Belgique, puisque depuis 2012 et jusqu’en mars 2013, l’État belge a présidé la Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and Research, la plus importante association d’États en la matière, soutenue par l’ONU. Or sa récente réunion plénière s’est justement tenue à Liège en décembre dernier.

Mais surtout, au delà de cette conjoncture, se concentrent toutes les raisons que je viens d’évoquer dans ma réponse précédente, doublées d’un élément fondamental quand on parle de transmission de la mémoire. La mémoire peut être officielle, d’initiative démocratique dans nos systèmes parlementaires, ou tyrannique dans les systèmes totalitaires, mais cette mémoire est également dite « vive », ou « venant d’en bas », car le terreau de cette mémoire est le vécu des populations concernées. Or nous sommes un pays qui a connu l’occupation nazie de 1940 à 1944, la résistance, la répression et la déportation politique, et qui a subi de plein fouet la politique raciale de l’occupant, près de 25 000 Belges juifs ou résidents en Belgique ayant été exterminés, à une époque dont il reste encore aujourd’hui des témoins vivants, des survivants. Nous avons chez nous, malheureusement dirais-je, une double mémoire, celle de la répression politique et celle de la persécution raciale, poreuses entre elles lorsqu’il s’agit de thème comme celui des Justes, des citoyens souvent ordinaires qui ont pris le risque de protéger et cacher des Juifs, dont beaucoup d’enfants, pendant l’occupation. Les liens tissés entre sauveurs et sauvés et maintenus après la guerre constituent une des pages les plus fortes de l’histoire de la mémoire.

Ces épisodes ne sont ni distants dans le temps, ni dans l’espace, nous en sommes directement issus, ils ont forgé les valeurs que nous revendiquons, et que combattent avec un acharnement et des stratégies toujours renouvelées les ennemis de la liberté et de la dignité humaine.

Donc la multiplication de publications sur le sujet actuellement ne vous étonne pas ?

Non, elle va se poursuivre, d’autant que des rendez-vous commémoratifs nous attendent, et surtout que des découvertes archivistiques ont encore lieu, et qu’en outre, en histoire, la réinterprétation du passé à chaque époque est une pratique normalisée classique.

Évoquons par exemple, les archives Bad-Arolsen, soit les archives du Service International de Recherches et de la Croix Rouge internationale qui, au moment de la fin de la guerre, ont rassemblé des archives considérables liées à la déportation et aux persécutions nazies, notamment pour rechercher les innombrables personnes disparues. Ces archives ne sont ouvertes aux chercheurs que depuis novembre 2007, et la consultation des copies numériques de ces archives chez nous aux Archives générales du Royaume, n’est possible que depuis septembre 2011, sous certaines conditions. Il y a encore du pain sur la planche.

Récemment trois ouvrages sont parus qui concerne la Belgique, de nature différentes, pouvez-vous nous en parler ?

Oui, il y a d’abord l’ouvrage d’une chercheuse allemande, Insa Meinen, intitulé sobrement La Shoah en Belgique, paru aux éditions de la Renaissance du livre à Bruxelles. C’est un travail solide et sérieux, fruit de patientes recherches. Elle y décrypte les rouages de la machine nazie dans notre pays, ses conséquences, l’attitude des autorités, les réactions de la population belge, et les stratégies de riposte. Ce livre complète bien la lecture du rapport cité plus haut, dans la mesure où ces interprétations ne sont pas nécessairement identiques, loin de là, ce qui enrichit le propos général et le débat.

Ensuite il y a La Wallonie sous l’occupation, de Fabrice Maerten et Alain Colignon, publié par le CEGES, où travaillent les deux auteurs, et la Renaissance du livre. Ce livre, qui cible la situation spécifique en Wallonie, se distingue par une abondante iconographie, et un récit accessible au grand public, dans la collection « villes en guerre ». Ils témoignent de la politique d’ouverture vers la vulgarisation des recherches, une nécessité pour les chercheurs en histoire et les structures dans lesquelles ils évoluent.

Enfin, un recueil de témoignages sur Les résistants belges dans les camps, dans la collection « Carnets de Guerre 39-45 » des Éditions Jourdan. Il s’agit de textes de déportés belges, essentiellement politiques, réunis par Alain Leclercq, une initiative qui vient ajouter une pierre à un thésaurus de témoignages constitués au fil des ans dans cette catégorie importante de littérature historique.

Donc ce sont trois ouvrages très différents, bien que traitant de la même période, et qui illustre parmi bien d’autres travaux, la diversité de la présence mémorielle de la Deuxième Guerre mondiale, une tragédie collective sans précédent et sans équivalent dans l’histoire du monde, y compris pour notre pays.

Entretien par Michel Paquot
Avril 2013

crayongris2Michel Paquot est journaliste indépendant.

 

 


microgrisPhilippe Raxhon enseigne la critique historique et l'histoire contemporaine à l'ULg. Ses principales recherches portent sur les relations entre l'histoire et la mémoire.


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