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Thierry Michel, l'irrésistible ascension

16 avril 2013
Thierry Michel, l'irrésistible ascension

Thierry MichelCinéaste accompli, spécialisé en documentaire mais aussi maître de conférence à l’Université de Liège dans la section Arts du spectacle (pour un atelier de réalisation), Thierry Michel fera prochainement l’objet de deux séances spéciales aux Grignoux, l’une étant la projection de son dernier film et l’autre la diffusion d’un documentaire sur lui-même et son œuvre. Rapide présentation du réalisateur et des films prévus.

Né en 1952 à Charleroi, Thierry Michel s’inscrit dès ses 16 ans à l’Institut des Arts de Diffusion pour devenir réalisateur. Il vit alors les derniers moments de Mai 68, ses révoltes, ses espoirs et sa volonté de changer le monde. Cette période de lutte associée à son enfance au « Pays noir » vont considérablement le marquer : le cinéma de Thierry Michel se situe dans la veine délicate et tendue du documentaire social et engagé, vecteur d’un regard acerbe et critique sur un monde en dysfonctionnement. Ses premiers films, Pays Noir, Pays rouge et Chronique des saisons d’acier abordent la vie difficile des sidérurgistes en Belgique, tandis que sa première fiction Hiver 60 revient sur les fameuses manifestations en réaction aux mesures d’austérité appelées « Loi Unique » de Gaston Eyskens1.

Derrière la caméraAprès ce film, Michel va se désintéresser peu à peu du milieu ouvrier pour rechercher celui des laissés pour compte, du peuple en marge : Hôtel Particulier suit le destin d’une poignée de détenus en prison, tandis que Gosses de Rio et À Fleur de terre décrivent la difficile survie dans les favellas au Brésil, notamment des enfants. En 1992, Thierry Michel va entamer une œuvre monumentale : pendant les 20 prochaines années, il va dresser, à travers une série de films différents, le portrait d’un Congo en crise, tant d’un point de vue économique et politique. Il écrit l’histoire du pays à travers ses grandes figures (Mobutu, Roi du Zaïre, l’Affaire Chebeya, un crime d’état ? qui lui vaut d’être interdit de séjour au Congo2), de ses problèmes de société (Zaïre, le cycle du serpent, Katanga Business) mais aussi des rapports historiques entre le pays et le colonialisme (Les derniers colons, Nostalgie post-coloniale) jusqu’à réfléchir sur sa propre place dans ce pays (Congo River).

 

Derrière la caméra

Derrière la caméra 2Son dernier film, L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi, est une sorte de synthèse thématique de son œuvre dédiée au Congo. Déjà figure majeure de Katanga Business, Moïse Katumbi est un homme politique et d’affaires extrêmement important à Katanga, province méridionale du Congo dont la superficie est équivalente à celle de l’Espagne. Manager intrépide, négociant sévère mais aussi propriétaire d’un club de football important et riche businessman, Moïse Katumbi est arrivé au pouvoir en 2006 et a su se faire aimer du peuple à coups de dons, de promesses d’emploi et d’attention portées aux plus démunis. Sa popularité est telle qu’il représente une sérieuse concurrence possible pour Joseph Kabila aux prochaines élections présidentielles. Après avoir mis en place son personnage, profondément mégalo dans sa soif de reconnaissance et de pouvoir mais d’apparence bon et généreux, Thierry Michel nous invite dans l’intimité d’un homme de spectacle, brillant communicateur qui a su s’attirer la sympathie des foules en créant l’image d’un « papa » du peuple. Évitant tout documentaire à charge, Thierry Michel offre au spectateur les éléments nécessaires à la compréhension de ce prodige politique qui a su, malgré des accusations de fraudes et des promesses non tenues, être l’objet d’une pétition de plus d’un million de signatures pour qu’il se représente aux prochaines élections.

Il faut un certain temps avant que le film de Thierry Michel ne décolle vraiment, l’alternance entre Katumbi et ses détracteurs étant parfois trop convenue pour pleinement séduire le spectateur. Le film prend toutefois son envol aux premiers couacs rencontrés par Katumbi, lorsque celui-ci doit faire face à une foule d’ouvriers exploités et révoltés : sans avoir l’air d’y toucher, Thierry Michel nous offre quelques séquences admirables d’intelligence et de synthèse de son œuvre, rappelant la misère sociale d’un pays corrompu et surexploité par des entreprises sans scrupules (on en voit deux dans le film) tandis que Katumbi, se considérant comme un messie (il s’amuse de la prédestination de son prénom), dévoile toute son ambiguïté à travers un malaise perceptible. On aurait aimé voir plus de moments comme ceux-là (et le film en regorge dans sa seconde moitié), où ce ne sont pas tant les discours des opposants qui façonnent la personnalité de Katumbi que ses propres contradictions qu’il tente de dissimuler derrière un sourire de façade. L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi n’en demeure pas moins un portrait fascinant de ce personnage presque shakespearien, parti de rien pour atteindre la gloire et la fortune dont on n’a pas fini d’entendre parler, et la somme d’une œuvre colossale de Thierry Michel sans doute condamné, aujourd’hui, à ne plus pouvoir filmer l’Histoire du Congo en train de s’écrire ; le film, comme l’Affaire Chebeya, a créé une polémique sans précédent au Congo3

 

Devant la caméra

devant la caméra 1Réalisé par José-Luis Peñafuerte pour la collection « Cinéastes d’aujourd’hui » de la Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles, L'homme de sable, le cinéma de Thierry Michel revient sur l’œuvre et les influences morales du cinéaste depuis son enfance à Charleroi jusqu’à la polémique de l’Affaire Chebeya alors d’actualité au moment du tournage. Ancien étudiant de Thierry Michel à l’IAD, José-Luis Peñafuerte semble avoir bien retenu les leçons du maître (les mêmes enseignées à l’ULg, parole d’ancien master) à savoir que dans le documentaire, seul le sujet compte réellement : il n’y a pas plus dans le film de Peñafuerte que dans ceux de Michel d’effet de style inutile, d’esbroufe visuelle qui ne ferait qu’alourdir le film.

 

devant la caméra 2Ce que Peñafuerte tente via son portrait, ce n’est pas tant de saisir le cinéaste (encore qu’il est souvent question de sa façon de filmer) que l’homme dans ce qu’il a de plus intime, dans son enfance passée sur les hauteurs d’une région sinistrement industrialisée à ses difficultés humaines de faire des films (censure et pressions), en passant par sa rencontre avec son épouse et productrice Christine Pireaux (également maître de conférence en production cinéma à l’ULg). Peñafuerte enchaîne davantage les rencontres entre Michel et ses amis que les analyses de ses œuvres, et touche presque au sublime quand, au détour d’une dernière séquence, le réalisateur explique à travers les propos de Thierry Michel la raison du titre L’homme de sable. Un complément intéressant pour qui veut comprendre davantage la manière dont Thierry Michel voit le monde et, par conséquent, le filme depuis près de 40 ans.

 

Bastien Martin
Avril 2013

 

L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi sera projeté le mardi 16 avril au cinéma Le Parc à 20h, en présence de Thierry Michel.

L'homme de sable, le cinéma de Thierry Michel sera projeté le lundi 6 mai au cinéma Sauvenière à 20h, en présence de José-Luis Peñafuerte et Thierry Michel.



1 Plus d’infos : FEAUX Valmy, Cinq semaines de lutte sociale. La grève de l'hiver 1960-1961, Éditions de l'Institut de Sociologie - ULB, Bruxelles, 1963.

2 Voir ici 

3 Voir ici 



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